Reprise : ces entreprises qui ne voient toujours rien venir
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Reprise : ces entreprises qui ne voient toujours rien venir

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Pour certains secteurs de l’économie, la reprise d'activité liée au déconfinement n’est pas encore pour maintenant. Plus d’un mois après la levée progressive des restrictions prises pour lutter contre le Covid-19, des entreprises restent à quai et regardent le train économique redémarrer sans elles. Qu’elles n’aient pas été invitées à y monter ou n’aient pu y trouver leur place, elles forment un contingent hétéroclite, et néanmoins fourni, des laissés-pour-compte. Passage en revue du bataillon des oubliés de la reprise.

En France, le maintien de l'interdiction des rassemblements condamne de fait toute idée de reprise pour les acteurs de l'événementiel, comme les centres des congrès (ici, celui d'Angers) — Photo : Olivier Hamard JDE

La reprise, quelle reprise ? Dans certaines entreprises, si ce n’est pour des pans entiers de l’économie, le déconfinement n’a jamais vraiment eu lieu. Et ses différentes étapes (le 11 mai, puis le 2 juin) n’ont laissé, au mieux, transparaître qu’une maigre lueur au bout de leur tunnel. Pis, quand nombreux sont les patrons à se demander si leur activité reviendra à la normale, d’autres s’inquiètent de savoir simplement quand ils pourront redémarrer. Autant dire que sonnent bien creux, à leurs oreilles, les appels répétés à « pleinement faire repartir l’économie », ainsi que l’a encore demandé le président de la République Emmanuel Macron le 14 juin.

Mais qui sont ces « oubliés » de la reprise, pour qui le chemin du retour à la vie d’avant s’avère plus long et périlleux que pour les autres ? Trois catégories se dessinent, autour de secteurs aussi variés que la restauration, l’événementiel, les services aux entreprises et l’industrie des transports.

Les oubliés du déconfinement : l’activité impossible

Le 11 mai, rien n’a changé pour elles. Le déconfinement a viré au mirage, dans une traversée du désert qui n’en finit plus de s’éterniser depuis la mi-mars. L’activité de ces entreprises reste impossible, car entravée, voire interdite, par le maintien de règles sanitaires strictes. Il s’agit principalement du monde de la culture, du sport et de l’événementiel, paralysé par le maintien de la limitation des rassemblements publics à moins de dix personnes.

• Événementiel : les compteurs à zéro

Congrès, séminaires, foires, salons, rencontres sportives et manifestations culturelles, sans oublier mariages (bien que réautorisés le 2 juin) et autres fêtes privées… la liste est longue de ces événements rendus impossibles par l’irruption du coronavirus en France. Celle des entreprises qui en pâtissent l’est tout autant.

De l’organisation à l’accueil, en passant par les prestations de sonorisation, électrification, restauration, transport, fret, etc., c’est toute une chaîne de services qui se retrouve sur la touche. L’Union des métiers de l’événement (Unimev) estimait déjà à 15 milliards d’euros les pertes subies par ces entreprises, fin avril, après seulement un mois et demi de confinement. Six semaines plus tard, avec des règles quasi-inchangées, il ne serait pas étonnant que la facture ait doublé.

« Nous avons été les premiers obligés à fermer et serons peut-être les derniers à rouvrir. »

Têtes de pont du secteur, les grands parcs d’exposition et centres de congrès d’Europe ont fini par tirer la sonnette d’alarme, le 10 juin, à travers l’Emeca. « Nous avons été les premiers obligés à fermer et serons peut-être les derniers à rouvrir », s’est inquiétée l’association, à laquelle participe l’Eurexpo de Lyon. L’organisation évalue à 125 milliards d’euros au niveau européen les pertes du premier semestre et à -60 % la baisse de chiffre d’affaires au second. Une situation intenable vécue notamment par Saint-Brieuc Expo Congrès, le gestionnaire du parc des expositions de la préfecture des Côtes-d’Armor.

Le coronavirus laissera en tout cas des traces durables sur tous les acteurs de l’événementiel. L’exercice 2020 est donc clairement compromis, pour ne pas dire irrécupérable. Avec de probables conséquences en cascade, que redoute déjà iEvent, en Sarthe. Et un coup rude porté à certaines économies locales, comme à Cannes, deuxième destination d’affaires en France.

Mais les effets de la crise ne s’arrêteront pas à cette saison. Dans le Var, le patron d’Electrika s’attend à passer trois à cinq années difficiles. En Haute-Savoie, celui d’Éphémère Square a tout simplement abandonné l’événementiel sans attendre. La crise aura toutefois permis, aussi, de resserrer les rangs du secteur, avec la création d’un nouveau syndicat implanté en Région Sud.

• Culture : une distanciation problématique

Même punition dans l’univers culturel. L’interdiction des regroupements de plus de dix personnes condamne toute idée de reprise. Principales victimes, les festivals, abonnés aux reports ou annulations (à l’image du Reggae Sun Ska, en Gironde), ainsi que les discothèques, maintenues résolument fermées et qui pourraient perdre jusqu’à 9 000 emplois.

Quand bien même l’accueil du public serait de nouveau autorisé, c’est l’application de la distanciation sociale qui, cette fois, hypothèque toute notion de rentabilité. Et va jusqu’à nier l’esprit même d’activités culturelles, fondées sur l’expérience collective.

C’est le sens de l’appel lancé par trois organisations du spectacle vivant (Prodiss, Camulc et Syndicat National du Théâtre Privé), le 12 juin. Elles exigent un « déconfinement total et sans distanciation », alors que « plus de la moitié des entreprises [du secteur sont] en risque de faillite ». En avril, le Prodiss évaluait à 590 millions d’euros la perte de chiffre d’affaires du spectacle vivant privé, sur la période du 1er mars au 31 mai. Avec des répercussions chez les prestataires. Audiolite, en Bretagne, se désespère ainsi du « grand stand-by » de la culture et craint un report de facto de la reprise à 2021.

• Voyages : les tour-opérateurs en pause

La fermeture des frontières, l'annulation des vols, la propagation de l'épidémie et, dans son sillage, la multiplication des mesures de confinement à travers toute la planète... le contexte de ces derniers mois a rendu impossible le travail des agences de voyages et tour-opérateurs. Au point que leur syndicat, le Seto, a fini par recommander, à la mi-mai, le report de tous les départs jusqu'au 26 juin inclus, pour les voyages au forfait.

Palais des Festivals de Cannes — Photo : DR

Les oubliés de la reprise : l’activité ralentie

Le 11 mai, le confinement a bel et bien pris fin pour eux. Mais les ennuis n’ont fait que continuer. Dans ces secteurs, le retour au travail s’est fait sans reprise d’activité. Et un mois plus tard, ils continuent de tourner en sous-régime, victimes du double choc de l’offre et de la demande, à l’échelle domestique comme internationale.

• Hébergement-restauration : un retard fatal à l’allumage ?

Ils sont devenus les symboles de la France mise à l’arrêt, et le sont restés bien après le 11 mai. Les bars, cafés et restaurants ont attendu le 2 juin pour pouvoir enfin remettre le couvert (et le 15 en Ile-de-France, pour le service en salle). Les hôtels, eux, n’étaient pas obligés de fermer par la loi, mais y ont été conduits par les circonstances.

Les deux ont souffert, et ils continuent à subir la situation, avec une reprise poussive et sous contraintes, là aussi en raison des nouvelles exigences sanitaires imposées aux établissements. Mais aussi parce qu’ils sont repartis plus tard : « Le secteur de l’hébergement-restauration reste déprimé, compte tenu du décalage dans les mesures de déconfinement », notait la Banque de France, dans son point de conjoncture du 9 juin.

« Le secteur de l’hébergement-restauration reste déprimé, compte tenu du décalage dans les mesures de déconfinement. »

Les chefs d’entreprise de la restauration situent ainsi leur niveau d’activité, en mai, à 7 % de la normale et l’attendent à 41 % fin juin. Dans l’hébergement, c’est encore pire : de 3 % en mai, les professionnels pensent tourner à 17 % de leur potentiel un mois plus tard. Il s’agit des plus mauvais chiffres sectoriels contenus dans cette enquête.

Pas étonnant, dès lors, que des voix s’élèvent déjà pour assouplir les règles : dès le 15 juin, le Groupement national des indépendants (GNI) a exigé la levée de la distanciation sociale « pour pouvoir cesser de travailler à perte » et l’autorisation de « la consommation debout ». Fin mai, un front commun des organisations professionnelles disait redouter plus de 30 % de faillites avant l’été, en l’absence de nouvelles mesures de soutien.

• Tertiaire : les services aux entreprises à la peine

De manière générale, le secteur des services enregistre, en mai, « un rebond de l’activité, toutefois moins marqué que dans l’industrie et inégal selon les secteurs », constate la Banque de France.

Les plus touchés : les services aux entreprises. Dépendants du dynamisme général de l’économie, et de l’industrie en particulier, ils « craignent notamment des reports d’investissements ». Résultat, dans le juridique, la comptabilité et le conseil de gestion, les chefs d’entreprise interrogés sont les moins optimistes de tous les secteurs analysés, en ce qui concerne leur prévision d’activité pour juin.

Viennent ensuite la publicité et les études de marché. Un domaine où les professionnels estiment, après avoir été à moitié à l’arrêt en mai, qu’ils seront encore 37 % sous leur niveau habituel d’occupation à la fin du premier semestre. Soit l’un des taux les plus faibles mesurés par la Banque de France dans le tertiaire, après l’hébergement-restauration et le travail temporaire. Le secteur redoute donc une année noire, avec un marché de la communication publicitaire rétréci de 23 % en 2020, soit près de 8 milliards d’euros en moins.

• Édition : le pessimisme à l’œuvre

Ce n’est toutefois ni dans les restaurants ni dans les services qu’il faut chercher le secteur le plus pessimiste de la reprise… mais dans l’édition. Elle est le seul domaine analysé par la Banque de France, dans lequel l’activité en mai a été majoritairement considérée comme négative pour le troisième mois consécutif. Et les prévisions des entreprises pour juin sont parmi les plus modérés de l’enquête de conjoncture.

Le plan d’aide de l’État à la culture (1,3 milliard d’euros) et l’effort ciblé sur le livre ne seront pas de trop pour ces professionnels, très tôt mobilisés contre les effets de la crise. D’autant que, dans l’ombre, certaines branches souffrent encore plus, comme les éditeurs vidéo : soixante d’entre eux ont appelé à l’aide début juin, après avoir « perdu près de 75 % de ventes potentielles » depuis le confinement, par rapport à leur volume habituel.

• Industrie : les transports à la dérive

En dépit d’un rebond plus marqué, l’industrie n’est pas pour autant épargnée par les difficultés à la reprise. « Le niveau des carnets de commandes apparaît en effet globalement faible », s’inquiète la Banque de France. Les usines continuent donc de tourner au ralenti : le taux d’utilisation des capacités de production était de 61 % en mai. En progression de 13 points sur un mois, mais 17 points sous son niveau d’avant-crise.

Deux secteurs sont particulièrement touchés. En premier lieu, l’industrie des transports. Le coronavirus a complètement fait caler l’automobile, une réalité durement vécue dans les régions qui en dépendent, comme les Hauts-de-France, ou par des entreprises déjà fragiles avant la crise, comme le groupe Renault. En mai, les usines françaises ne tournaient ainsi qu’à 36 % de leur potentiel (10 % en avril). En juin, le niveau d’activité attendu restera 38 % sous la normale, selon les chefs d’entreprise interrogés. Même résultat chez les autres fabricants de matériels de transport (comme l’aéronautique, où les sous-traitants souffrent, dans le sillage d’Airbus).

Ces difficultés sont d’autant plus aiguës que l’ensemble de la chaîne a été mis à mal pendant le confinement, entre effondrement des ventes automobiles (-88,8 % en avril sur un an) et dégringolade du trafic aérien (tombé à 5 % de son niveau habituel pendant le confinement), sur fond de fermeture des frontières. Le maritime est lui aussi touché : les Chantiers de l’Atlantique semblent avoir résisté à la tempête, mais, à l’autre bout du spectre, le sort de la compagnie Brittany Ferries, toujours à quai, inquiète. De son côté, le géant marseillais du transport maritime CMA CGM a obtenu un prêt garanti par l’État (PGE) de plus d’1 milliard d’euros.

Deuxième filière industrielle à la peine depuis la fin du confinement : l’habillement-textile. Les capacités de production n’y tournaient qu’à moitié en mai, alors qu’en aval, de nombreuses enseignes ont été placées en redressement judiciaire (André, Camaïeu, La Halle, Naf Naf…). Dans une moindre mesure, la métallurgie peine aussi à repartir.

La problématique est quelque peu différente pour les acteurs du recyclage. Le syndicat professionnel Federec se disait ainsi victime, le 18 mai, de « l’effondrement des commandes », dû à l’arrêt de l’industrie, et de la « chute des cours des plastiques issus du pétrole », qui rend ces derniers plus compétitifs. Quant au recyclage textile, c’est le grippage de l’export qui met en difficulté les entreprises, expliquait, le 8 juin, l’éco-organisme Eco TLC.

Dans l'usine Renault de Maubeuge (Nord) — Photo : Renault

Les oubliés des plans de soutien : l’activité démunie

Elles subissent la double peine depuis le 11 mai. Une activité réduite et un soutien minimal. Des entreprises qui gravitent autour des filières les plus durement touchées par la crise et qui, pourtant, n’ont pas été intégrées aux différents plans de soutien sectoriels mis en place par l’État.

• Tourisme : les fournisseurs ignorés

Le tourisme est le premier à avoir bénéficié d’un plan de soutien sectoriel du gouvernement. Un effort massif, répété et large, au profit de l’hébergement-restauration, l’événementiel, le sport et la culture… mais pas pour leurs fournisseurs, ou ce que la CPME a appelé les « activités connexes ». Un oubli dont s’émeut, depuis des mois, la Confédération française du commerce de gros et international (CGI).

« Ces entreprises, situées à l’amont de ces secteurs, enregistrent depuis le 15 mars une perte de chiffre d’affaires entre 50 et 100 % », indique-t-elle dans un communiqué du 10 juin, signé par trois autres organisations (Ania, Geco Food Service et La Coopération agricole). Or, « l’arrêt du tourisme international va sans doute représenter en France, cette année, 50 milliards d’euros d’activité en moins, prévient l’économiste Xavier Timbeau de l’OFCE, avec des conséquences en cascade sur l’hébergement, la restauration… et tous les secteurs fournisseurs. »

« Aucune amélioration significative de la situation n’est envisagée avant la rentrée de septembre voire le printemps 2021. »

Qui sont-elles justement, ces victimes collatérales ? Elles œuvrent dans la « distribution en denrées alimentaires, boissons, équipements de cuisine, vaisselle, linges et textiles manufacturés », énumère la CGI. Et dépendent quasi-exclusivement de la restauration hors domicile (traiteurs, hôtels-restaurants, mais aussi cantines scolaires, universitaires ou d’entreprise, etc.), mise à l’arrêt par l’épidémie. Exemples : Restoria, à Angers, ou le géant de la distribution de produits alimentaires Pomona, qui a obtenu un PGE en mai, pour un montant non-communiqué. Problème, dans ces secteurs, « aucune amélioration significative de la situation n’est envisagée avant la rentrée de septembre voire, pour le tourisme et l’événementiel, le printemps 2021 », affirme la CGI.

Exclus du plan tourisme, déçus par le dernier projet de budget rectificatif, ces professionnels réclament le même régime d’aide que leurs clients. Une requête qu’avait déjà lancée, avant eux, le transport routier de voyageurs, avec succès. De quoi soulager les autocaristes, comme le groupe Richou (Maine-et-Loire), qui ont, eux aussi, pâti de l’absence des touristes comme de la fermeture des écoles.

• Aéronautique : le Gifas et Air France privilégiés

Comme l’automobile, la filière aéronautique dans son ensemble bat de l’aile, mais le gouvernement a volé à son secours avec un programme d’aide dédié, présenté le 9 juin. Sauf que ce plan se limite à l’écosystème du « Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et à Air France », a dénoncé le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (Scara), le 10 juin. Il y voit « l’abandon » de « tout un pan de la chaîne de valeur du transport aérien, allant des entreprises d’assistance en escale aux aéroports, des compagnies d’aviation d’affaires (comme le rennais Voldirect, NDLR) aux compagnies d’hélicoptère, des sociétés de maintenance aux sociétés de handling, des avitailleurs aux écoles de formation, sans oublier en premier lieu toutes les compagnies aériennes non Air France ».

Pas sûr que la reprise en cours, très progressive, du trafic dans les principaux aéroports français (comme à Lyon, Lille, ou Nantes) suffise désormais à compenser les pertes de l’ensemble de ces acteurs, au moment où les frontières commencent à peine à rouvrir.

« Les chefs d’entreprise font état de fortes incertitudes sur l’évolution de la demande au cours des prochains mois. »

Car toute la question est là : les clients seront-ils, à leur tour, au rendez-vous de la reprise ? C’est désormais la grande inconnue, et la principale menace pour tous les oubliés de la reprise. « Les chefs d’entreprise font […] état de fortes incertitudes sur l’évolution de la demande au cours des prochains mois », signale la Banque de France. Des craintes identifiées dès la mi-mai, dans une autre étude.

Montée de l’épargne de précaution, changements des comportements d’achat, désertion des touristes étrangers… Tout indique que les clés de la reprise pourraient bien ne plus être entre les mains des entreprises et de leurs salariés, mais plutôt dans la poche des consommateurs.

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