Coronavirus : 15 milliards d'euros pour faire redécoller la filière aéronautique
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Coronavirus : 15 milliards d'euros pour faire redécoller la filière aéronautique

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Cloué au sol par la crise du coronavirus, le secteur aéronautique traverse une période de fortes turbulences depuis mars. Pour éviter le crash à cette filière-clé de l'industrie française et de l'économie régionale, le gouvernement avance un plan de sauvetage de 8 milliards d'euros (15 milliards, en y ajoutant les aides pour Air France). Avec l'emploi et l'environnement comme boussoles de l'action publique.

Le gouvernement vient au chevet de l'aéronautique et compte profiter de la crise du coronavirus pour engager la filière dans l'usine 4.0 et la transition écologique — Photo : Sabena technics

Aux mêmes maux, peu ou prou les mêmes remèdes. Deux semaines jour pour jour après avoir dévoilé son plan d’aide à l’automobile, le gouvernement a présenté, le 9 juin, un programme très similaire pour secourir l’aéronautique. Face aux turbulences provoquées par la crise du coronavirus, il prévoit tout un volet d’investissement dans les entreprises avec des contreparties sur l’emploi, saupoudré de soutien à la demande, le tout sur fond de transitions écologique et numérique.

La conjoncture alarmante de l’aérien

C’est que la filière a subi de plein fouet l’écroulement du trafic et la fragilisation des compagnies aériennes, provoqués par les restrictions de circulation et les fermetures de frontières. Au plus fort du confinement, le trafic était tombé à près de 5 % de son niveau habituel, selon l’Association internationale du transport aérien (Iata). Dans ses prévisions du 9 juin, elle évoque déjà « la pire année dans l’histoire de l’aviation » d’un point de vue financier.

Et pour cause, l’horizon n’est pas près de s’éclaircir. L’Iata anticipe, en 2020, un nombre de passagers et un chiffre d’affaires divisés par deux en un an, au niveau mondial. Un peu moins pessimiste, Euler Hermes n’en prédit pas moins 39 % de voyageurs transportés en moins, sur le marché français, en 2020 (-37 % au niveau planétaire), ainsi que 310 milliards de dollars (270 M€) de chiffre d’affaires envolés pour l’ensemble du secteur aérien mondial. Pour un rétablissement de la demande à son niveau d’avant-crise pas attendu avant 2023.

« Nous décrétons l’état d’urgence pour sauver notre industrie. »

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le ministre de l’Économie Bruno Le Maire décrète ni plus ni moins que « l’état d’urgence pour sauver notre industrie » aéronautique, ses 300 000 emplois directs et indirects, 34 milliards d’excédent commercial et 58 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018.

Découle de cette nouvelle mobilisation générale de l’État un plan chiffré à 15 milliards d’euros, dont près la moitié pour Air France (4 milliards d’euros fournis par les banques en prêt garanti et 3 milliards en aide directe de l’État, tels qu’annoncés fin avril).

Côté investissement, près de 3 milliards pour moderniser la filière

Comme pour l’automobile, le gouvernement entend profiter de la crise pour moderniser les usines aéronautiques françaises et les orienter vers la production d’engins plus respectueux de l’environnement.

• Consolidation industrielle

Avant toute chose, la priorité est au sauvetage des PME et ETI existantes. Un fonds d’investissement devrait donc être « opérationnel dès juillet » pour « renforcer les fonds propres des entreprises fragilisées et accompagner la consolidation du secteur ». Des prises de participation majoritaire seront possibles « si nécessaire », indique le dossier de presse.

Il sera doté de 500 millions d’euros dans un premier temps : 200 apportés par l’État, 200 par les industriels (Airbus, Dassault, Safran et Thales) et 100 par un gestionnaire à déterminer. Mais l’idée est de doubler ce montant à terme.

Bruno Le Maire a insisté sur la « révolution industrielle » que représente, selon lui, cette initiative : « C’est la première fois que les quatre [grands donneurs d’ordre] mettent de l’argent en commun pour soutenir le tissu industriel français. » À noter que le ministère des Armées participera pleinement à cet effort, à travers le fonds Definvest : sa dotation va doubler pour atteindre 100 millions d’euros, avec l’objectif de « garder des sociétés stratégiques pour notre défense, par des dotations en capital », a souligné la ministre des Armées Florence Parly.

• Transition numérique

Le gouvernement entend ensuite combler le retard technologique des sites français, avec un second fonds d’investissement de 300 millions d’euros sur trois ans. Ces fonds publics seront consacrés à « la numérisation, la robotisation et la diversification » des entreprises.

Là encore, les donneurs d’ordres sont invités à accompagner leurs sous-traitants dans leur conversion à l’usine 4.0, par du conseil, des outils, voire de l’investissement.

• Transition écologique

La relance sera écologique ou ne sera pas, martèle le gouvernement depuis quelques semaines. L’aéronautique n’échappera pas à ce verdissement, à travers un nouvel objectif : « Parvenir à un avion neutre en carbone en 2035, au lieu de 2050. » L’État ne se contente pas d’imposer à la filière cette exigence, il compte lui donner les moyens de l’atteindre : une enveloppe de 1,5 milliard d’euros (dont 400 M€ en provenance de l’Europe) sera débloquée progressivement jusqu’à fin 2022, au profit du Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac). « L’accélération des dépenses de R & D irriguera toute la filière sur le territoire », promet le gouvernement.

Il s’agira, entre autres, de « préparer le successeur de l’A320, en développant, pour le début de la décennie 2030, un avion court et moyen courrier ultra-sobre en consommation de carburant, avec un objectif de -30 %, et en préparant pour 2035 le passage à l’hydrogène pour un avion zéro émission », a détaillé la ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne.

Pour le gouvernement, cet investissement est stratégique à plus d’un titre. Il s’agit autant de maintenir en activité « 35 000 ingénieurs » que de donner à la France une longueur d’avance : « Avec ce plan, nous avons la capacité de fixer les nouveaux standards écologiques de l’aviation internationale pour les années à venir », a assuré Élisabeth Borne.

Côté demande, appel à l’Armée et aide à l’export

La crise du coronavirus a débouché sur une multiplication des reports de commandes par les compagnies aériennes. L’Armée est donc appelée à la rescousse pour pallier ce trou d’air, tandis que le gouvernement promet de nouvelles facilités à l’exportation.

• Commandes de l’État aux constructeurs aéronautiques

Pas de nouveaux achats, mais une anticipation des commandes prévue. C’est ce que prévoit le ministère des Armées pour donner de l’activité à la filière, le temps que les nuages du coronavirus se dissipent. Ce sont plus de 830 millions d’euros qui devraient ainsi finir dans les caisses des entreprises (dont la moitié au bénéfice des sous-traitants, a promis Florence Parly), pour un maintien espéré de 1 200 emplois sur trois ans.

« Je suis attentive à l’avenir de la chaîne industrielle du Rafale », a ajouté la ministre. Elle a promis des annonces sur le sujet dans les prochaines semaines.

• Soutien à l’export des compagnies aériennes

Autre levier d’action : les dispositifs de soutien financier à l’export vont être renforcés. D’abord par le biais de Bpifrance Assurance Export. Les compagnies aériennes vont ainsi bénéficier d’un moratoire de 12 mois, à compter de la fin mars 2020, sur les remboursements de leurs crédits à l’exportation. Les montants reportés pourront être étalés sur trois ans. Le gain en trésorerie pour les entreprises est estimé à 1,5 milliard d’euros.

Une autre piste est avancée, mais reste soumise à négociation au sein de l’OCDE : la France va proposer de décaler de 6 à 18 mois le démarrage du remboursement par les compagnies aériennes de leur crédit à l’export pour leurs achats de nouveaux avions. La mesure pourrait leur apporter une bouffée d’oxygène de 2 milliards d’euros.

Des contreparties demandées sur l’emploi

Le maintien de l’emploi est l’un des principaux enjeux de ce plan de soutien sectoriel. Selon le gouvernement, 100 000 postes dans la filière (soit un tiers du total) auraient été menacés de disparition dans les six prochains mois, sans intervention de l’État.

« L’heure n’est pas au profit, il est au maintien de l’emploi. »

• Bercy demande des engagements

Bercy a donc repris une ligne déjà adoptée avec l’automobile : pas d’argent public sans engagements des entreprises. Sauf que la contrepartie exigée paraît bien vague : « Nous demandons aux industriels d’éviter les départs contraints », a simplement indiqué le ministre de l’Économie.

Symbole de leurs engagements selon Bruno Le Maire, les principaux groupes de l’aéronautique (Airbus, Daher, Dassault, Safran, Thales) ont signé une « charte » avec « tous leurs sous-traitants », en faveur du « maintien de l’emploi et du tissu industriel dans les territoires ». Elle dresse notamment une liste de critères à privilégier dans le choix des fournisseurs, de manière à privilégier les français et les européens « dans une approche de coût global ».

• L’Armée exige des actes

Beaucoup plus tranchante que son collègue de l’Économie, Florence Parly a dicté aux industriels ses exigences de manière très claire : « Chaque euro versé par le Ministère des Armées [aux grands maîtres d’œuvre] doit être immédiatement répercuté vers la chaîne de sous-traitance. J’attends également de nos partenaires industriels qu’ils proposent des prix justes : l’heure n’est pas au profit, il est au maintien de l’emploi… et j’y veillerai. » Un avertissement suivi d’un autre, sur le « maintien en conditions opérationnelles » des appareils militaires, jugé insuffisant.

Les industriels sont prévenus : l’État n’est pas disposé à leur faire un chèque en blanc. Au moins sur le volet militaire de son plan d’aide.

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