Xavier Timbeau (OFCE) : « La question est de savoir si l’économie va redémarrer vite ou pas »
Interview # Conjoncture

Xavier Timbeau économiste et directeur général de l’OFCE Xavier Timbeau (OFCE) : « La question est de savoir si l’économie va redémarrer vite ou pas »

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Xavier Timbeau, directeur général de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), milite pour la mise en place d’un dispositif spécifique d’aide aux entreprises portant sur les coûts du capital immobilisé pendant le confinement. Il confesse le manque d’expérience des économistes pour savoir à quel rythme la reprise sera au rendez-vous.

L'économiste Xavier Timbeau, directeur général de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), encourage des relocalisations industrielles pour les produits critiques à l'échelon européen — Photo : DR

En quoi la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19 est-elle différente d’autres crises majeures que nous avons connues dans le passé : crise financière de 2008, éclatement de la bulle internet et krach boursier de 2001-2002 ?

Xavier Timbeau : Il ne s’agit pas d’une crise endogène, mais d’abord d’une crise sanitaire venue de l’extérieur. Pour y faire face, nous avons dû arrêter l’économie brutalement afin de limiter les interactions sociales pendant quelques semaines, ce qui a provoqué la chute de l’activité. C’est ce qui fait la différence avec les crises économiques que nous avons connues précédemment, quand l’activité économique dysfonctionne progressivement et s’accompagne de licenciements, de la montée du chômage, de pertes de revenus. Là, au contraire, nous identifions parfaitement le point de départ de cette crise, nous savons quand elle commence et avec quelle ampleur, nous avions le diagnostic avant même qu’elle ne se produise. C’est vraiment très différent de la crise de 2008, dont on a espéré pendant très longtemps qu’elle resterait limitée à certains segments de l’économie, et qui, petit à petit, s’est diffusée. Et il a fallu en gros dix ans pour en sortir.

L’autre grande différence, c’est que les pouvoirs publics sont immédiatement intervenus pour soutenir la situation économique des ménages, par le maintien de leur revenu avec le chômage partiel, et des entreprises, avec ce même dispositif de chômage partiel qui amortit certains de leurs coûts de masse salariale et avec des dispositifs exceptionnels de trésorerie, pour leur permettre de gagner du temps par rapport à leurs créances et leurs échéances. L’idée était de maintenir au maximum le tissu économique dans son intégrité. À partir du 11 mai, puis du 1er juin, tout le monde s’attendait peu ou prou au redémarrage de l’économie et au retour à une situation normale. Depuis, nous sommes tous un peu circonspects car nous n’avons pas beaucoup d’expérience en la matière. L’arrêt de l’économie a été très brutal et très profond, la question à présent est de savoir si elle va redémarrer vite ou pas. Les premiers constats sont plutôt positifs et encourageants mais c’est un peu comme si on arrêtait le cœur de quelqu’un et qu’on le gardait arrêté quelque temps avant de décider de le faire repartir.

Pourquoi le recul du PIB est-il plus fort en France que dans le reste de la zone euro, notamment qu’en Allemagne ?

Xavier Timbeau : Nous n’avons pour l’instant que des éléments partiels, des premières estimations, et tout dépend de comment est mesurée la croissance. Néanmoins, la dureté du confinement en France peut expliquer que l’impact sur le PIB ait été plus fort qu’en Allemagne, d’autant que le gouvernement a tout de suite annoncé qu’on allait maintenir les revenus avec le chômage partiel pour une large gamme de rémunérations, avec un coût faible pour l’entreprise. Le message transmis aux entreprises c’était « vous pouvez arrêter votre production ». Ce message était sans doute moins clair dans d’autres pays. En Allemagne le confinement a été moins dur avec plus de mobilité possible et donc plus de possibilité d’organiser la production et plus de consommation.

« Les Français ont épargné environ 80 milliards d’euros pendant le confinement »

Quels sont les secteurs économiques en France qui ont été les plus touchés ?

Xavier Timbeau : D’abord ceux qui ont fait l’objet de fermetures administratives comme les commerces, la restauration. Ensuite la fabrication de biens durables, en particulier les automobiles, pour lesquelles l’acte d’achat est un peu compliqué et suppose un investissement de la part du consommateur pour répondre à un besoin. Comme le besoin de transport a été suspendu le temps du confinement, les ventes d’automobiles se sont arrêtées du jour au lendemain avec des conséquences pour la production. C’est la même chose pour l’électroménager, l’ameublement. D’autres secteurs ont été impactés comme l’hébergement, le transport, les secteurs en amont du commerce, de la restauration. Le bâtiment, lui, a souffert de ce que les conditions pour produire n’étaient pas remplies, les chantiers étaient fermés, les matériaux n’étaient pas disponibles. Certains secteurs ont été moins touchés : ceux qui répondent à des consommations sous forme d’abonnements comme les loyers, le gaz, l’électricité, internet, mais aussi tous les produits alimentaires et les biens de première nécessité pour lesquels la demande est restée solide. Mais attention, dans l’agroalimentaire par exemple, les perdants sont du côté des fournisseurs de la restauration, les gagnants du côté de la grande distribution pour les repas pris au domicile, et ce ne sont souvent pas les mêmes entreprises.

Quand et comment va-t-on sortir de cette crise ?

Xavier Timbeau : Il y a deux grands enjeux. Le premier c’est le redémarrage de l’économie. Or nous avons encore des doutes sur un retour complet et rapide à la normale. Ainsi, l’arrêt du tourisme international va sans doute représenter en France, cette année, 50 milliards d’euros d’activité en moins, ce qui n’est pas négligeable, avec des conséquences en cascade sur l’hébergement, la restauration et tous les secteurs fournisseurs en amont. Sur un autre registre, les Français ont épargné pendant le confinement environ 80 milliards d’euros. Que va devenir cette épargne ? Va-t-elle être dépensée en partie pour des consommations ayant été reportées, comme l’automobile, qui devrait bénéficier de l’effet prime à la casse et pour qui ce sera peut-être finalement une bonne année ? La restauration ou l’hébergement risquent, eux, de terminer l’année avec une activité en recul de 30 %. Il faudrait donc pouvoir limiter la casse en jouant par exemple sur les taux de TVA pour la restauration, ce qui supposerait de solliciter de Bruxelles une exception à la directive TVA européenne. Ce ne serait pas illogique et c’est demandé par la profession. Autre priorité : rétablir cet été un tourisme européen.

Le deuxième enjeu porte sur les traces laissées par les deux mois de confinement sur les finances des entreprises. Elles ont accumulé des dettes, leurs bilans sont très dégradés et des facteurs récessifs risquent de se manifester progressivement avec à la clef des dépôts de bilan et des licenciements dont l’ampleur va conditionner la gravité de la récession à venir.

« Une solution serait de reproduire pour le capital ce qui a été fait pour le chômage partiel »

À cet égard le patronat réclame l’annulation des charges qui ont été reportées pour de nombreux secteurs économiques. Est-ce envisageable ?

Xavier Timbeau : C’est un des éléments importants qui est sur la table avec les plans d’aide sectoriels (tourisme, automobile, aéronautique, NDLR). L’inconvénient c’est que l’annulation des charges sociales profite d’abord aux entreprises qui ont de larges masses salariales et qui ont déjà bénéficié du chômage partiel. La difficulté c’est de toucher les entreprises qui ont surtout des coûts en capital. Pour elles une solution serait de reproduire pour le capital ce qui a été fait pour le chômage partiel. Chaque entreprise pourrait déclarer les actifs productifs qu’elle n’a pas utilisés durant le confinement - une salle de restaurant, un avion, une chaîne de production - et elle obtiendrait alors une aide correspondant au coût du capital pendant cette période, pris en charge par l’État. Le coût d’une telle mesure serait, selon nos calculs, de l’ordre de 15 milliards d’euros, soit moins que le chômage partiel, et elle coûterait moins cher qu’une baisse générale des impôts de production. Pourtant il faut bien reconnaître que pour l’instant cette proposition n’a pas rencontré un grand succès, ni du côté des entreprises ni du côté du gouvernement.

La crise économique née de la crise sanitaire aura-t-elle un impact durable sur la mondialisation des échanges et de la production ? Comment encourager des relocalisations industrielles ? Pour quelles activités ?

Xavier Timbeau : Il y a eu un coup d’arrêt à la production en janvier et février en Chine et on a craint, notamment dans l’automobile, les ruptures d’approvisionnement en composants. Mais si on n’a pas fabriqué d’automobiles en mars et avril c’est parce que les chaînes étaient à l’arrêt car on ne vendait plus d’automobiles. Si on analyse objectivement la situation, là où la production a repris en premier c’est en Asie. Les fournisseurs défaillants n’étaient pas en Asie mais en Europe. Le bâtiment, par exemple, a beaucoup souffert de l’arrêt de la production de matériaux de construction produits localement. Cette idée selon laquelle nous serions dépendants d’une Chine chaotique est donc fausse. En revanche l’idée qui émerge est qu’il est possible que les frontières se ferment en cas de crise sanitaire ou politique et que si l’on n’est pas capable de fabriquer tel ou tel produit critique qui peut être d’une très grande banalité, pas du tout high tech, comme des masques, des tuyaux pour des respirateurs, des aiguilles, des cotons-tiges, on ne sera pas prioritaire pour s’approvisionner en cas de demande exceptionnelle.

Les États vont devoir prendre en compte ces scénarios pour favoriser la production, sur leur territoire, de ces éléments critiques dont la liste est très, très longue. Cette stratégie est impossible à gérer au niveau national car elle suppose la mise en œuvre d’une logique d’économie d’échelle, avec des équipements de grandes tailles pour garantir des coûts très bas et des capacités de production très élevées. La solution est plus facile à mettre en œuvre au niveau européen avec une répartition de ces activités un peu partout en Europe. L’Union européenne pourrait garantir à un pays qui aurait besoin d’exercer une souveraineté sur une production, que même s’il n’a pas la capacité de produire sur son territoire, il bénéficiera d’un cadre juridique adéquat pour mobiliser cette production. Ce qui est nouveau dans le droit européen avec cette crise, c’est la possibilité de réquisitionner de façon supra nationale et d’interrompre le fonctionnement normal de marché pour des questions d’intérêt général.

La crise va-t-elle engendrer de nouveaux modes de fonctionnement des entreprises ?

Xavier Timbeau : Dans toutes les crises il y a un moment de vertige quand on se dit « plus jamais ça, nous devons tirer les conséquences de ce qui s’est passé ». Et puis une force très grande nous pousse au retour à la normale et nous fait oublier ce qui s’est passé. Cette tentation est déjà présente, elle va limiter les conséquences structurelles de la crise. Il va se passer des choses mais pas forcément là où on l’attend et dans l’ampleur qu’on attend. Exemple : le télétravail. Il va enclencher des changements pour un certain nombre d’entreprises qui voient dans le développement de ce mode de travail la possibilité de réduire leurs surfaces de locaux et donc leurs coûts. Dès lors le télétravail ne sera plus un élément optionnel marginal mais un élément de réduction des coûts qui peut induire des changements assez profonds, en cascade, dans nos économies. Derrière, il y a par exemple la question de la réduction des transports entre le domicile et le travail qui va redonner une place à l’automobile au détriment des transports en commun, en décongestionnant le trafic dans un contexte de crainte sanitaire. Les salariés vont peut-être également modifier leur comportement vis de leur logement, de sa localisation. Ces changements vont à l’opposé de logiques plus sobres et plus économes, et ce ne sont pas exactement les changements qu’attendent nombre de personnes qui voudraient que les choses changent à l’occasion de cette crise.

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