Les 8 défis de la rentrée pour les entreprises françaises
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Les 8 défis de la rentrée pour les entreprises françaises

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Entre l’inflation galopante, la crise énergétique, les difficultés de recrutement et les tensions générées par les négociations sur les rémunérations, la rentrée ne s’annonce pas de tout repos dans les entreprises françaises. Voici les 8 grands défis que l’économie tricolore va devoir relever.

Les entreprises sont en première ligne sur le front du renchérissement des tarifs de l’énergie, des difficultés d’approvisionnement et des revendications salariales — Photo : Manuel Clauzier

Il y a quelques mois, la sortie de crise née de la pandémie de Covid laissait entrevoir le retour à la croissance. Hélas, la guerre en Ukraine a obscurci de façon durable l’horizon dans un quotidien déjà lourd de contraintes pour les entreprises confrontées aux difficultés de recrutement, à la nécessaire transition écologique pour lutter contre le réchauffement climatique, à l’émergence de nouvelles technologies nées de la transition numérique et aux nouvelles pratiques du management et du travail.

Des entreprises désormais en première ligne sur le front du renchérissement des tarifs de l’énergie, des difficultés d’approvisionnement et de la nouvelle mondialisation, des revendications salariales et de la hausse des coûts dans un contexte d’inflation soutenue.

Inflation, énergies, climat, pouvoir d’achat, ressources humaines, relocalisation industrielle, international et innovation technologique constituent les huit défis que doivent relever en cette rentrée les entreprises françaises pour continuer à aller de l’avant.

1. L’inflation maintient les trésoreries sous tension

Et si l’inflation était partie pour durer ? Depuis un an, la question hante les entreprises, surprises par une envolée des prix aussi soudaine que brutale. D’abord circonscrite à l’énergie et aux carburants, la flambée se propage désormais à l’alimentation et gagne les services. Dans la construction, les coûts ont bondi, au premier trimestre, de 7,6 % en un an, selon l’Insee. Dans l’industrie, les prix de production, eux, se sont envolés de 25 % en juin. Et pour ne rien arranger, dans ces deux secteurs, les difficultés d’approvisionnement n’ont jamais été aussi vives que cette année.

Alors jusqu’où ira cette folle ascension des prix ? Le phénomène a d’abord été présenté comme conjoncturel et "transitoire", selon la formule consacrée. Le coupable était alors la vigueur, plus forte qu’attendu, de la reprise mondiale. Las, aujourd’hui, l’inflation galopante est décrite comme un problème structurel et durable. Entretemps, la guerre en Ukraine a jeté de l’huile sur le feu, le Covid-19 est revenu mettre son grain de sel en Chine… et le Smic a augmenté quatre fois en dix mois en France. De quoi maintenir les finances des entreprises sous tension pour un long moment encore, alors que les revendications salariales se multiplient. Et ce n’est pas fini : à plus long terme, les leçons tirées de la pandémie (réorganisation des chaînes d’approvisionnement) et les surcoûts liés aux transitions (écologique et énergétique) continueront de gonfler les prix, prévient le ministère de l’Économie. Résultat, d’après la Banque de France, l’inflation devrait culminer à +5,6 % cette année, puis +3,4 % la suivante. Avant de péniblement retomber sous la barre des 2 % en 2024. Si tout va bien.

2. Énergies : le choc de la sobriété

La guerre en Ukraine va-t-elle servir d’électrochoc pour accélérer la transition énergétique ? Elle a en tout cas exposé au grand jour la dépendance de l’Union européenne aux énergies fossiles d’origine russes. Depuis, les Vingt-Sept sont engagés dans une course contre la montre pour disposer d’assez de gaz et de pétrole, au cas où Moscou ne ferme ses robinets pour de bon. Faute de quoi les entreprises françaises pourraient avoir à subir délestages et coupures dans les prochains mois. Face à ce risque, il va falloir que toutes les entreprises fassent des efforts en réduisant sans attendre leur consommation énergétique, a demandé fin août la Première ministre Elisabeth Borne.

La transition énergétique n’est plus seulement une urgence écologique, mais un impératif économique. Las, la France a pris du retard : elle est le seul pays de l’UE à avoir raté son objectif 2020 en matière de recours aux énergies renouvelables. Rien d’étonnant : en termes de puissance installée, l’éolien terrestre est loin de ses objectifs, les parcs marins peinent à sortir de l’eau et le solaire n’a réellement décollé qu’en 2021. L’État a bien promis d’accélérer, mais la loi d’urgence, prévue cet été, pour débloquer les projets d’installation, a déjà été repoussée à la rentrée. Et l’autre partie de la solution envisagée n’est pas pour demain : la relance du nucléaire ne produira ses effets qu’après 2035, quand l’hydrogène vert entre tout juste en phase d’industrialisation. Pour parer à l’urgence de la crise russo-ukrainienne, ne reste plus qu’une option : la "sobriété". Le gouvernement présentera un plan, fin septembre, pour réduire de 10 % en deux ans les consommations de gaz, électricité et carburant du pays. Une cure de frugalité aux accents de décroissance, à laquelle l’État compte bien faire participer l’ensemble des entreprises.

3. Climat : la révolution est en marche

Les entreprises ont-elles encore le choix de faire l’impasse sur la transition écologique ? Sans doute pas : pour elles, la question n’est plus tellement de savoir si, et pourquoi, elles doivent se lancer, mais quand, et comment, elles peuvent s’y mettre. Qu’elles le veuillent ou non, la course contre la montre climatique est déjà lancée.

En la matière, le cap est clair : l’Union européenne veut atteindre la neutralité carbone en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre dès 2030. Mais la pression environnementale sur les entreprises ne viendra pas seulement de la réglementation. Elle passera aussi par le financement. Depuis deux ans, l’UE a ouvert le robinet des aides publiques au profit des projets verts. Et elle compte bien pousser banquiers et investisseurs à l’imiter. Rediriger les fonds privés vers des activités labellisées "durables" : c’est précisément l’ambition de la "taxonomie" européenne qui entrera en vigueur au 1er janvier prochain.

De fait, les acteurs de la finance aussi sont soumis, de gré ou de force, aux injonctions environnementales. La Banque centrale européenne en fournit deux parfaits exemples. Comme investisseuse, elle va réorienter, à compter d’octobre, ses achats d’obligations d’entreprise vers celles "présentant de bons résultats climatiques". Comme superviseuse, surtout, elle pousse les banques de la zone euro à verdir leur bilan.

Dans ce contexte, tout l’enjeu des entreprises se résume donc à faire entrer la transition écologique dans leur équation économique. Car produire vert coûte aussi plus cher. Une réalité encore plus difficile à (faire) accepter, et encaisser, quand l’inflation atteint des sommets.

4. La nouvelle donne du pouvoir d’achat

Les employeurs doivent-ils préserver le pouvoir d’achat de leurs salariés ? Oui, estime le gouvernement, s’ils le peuvent. Et s’ils le veulent, ils ont désormais l’embarras du choix pour gonfler les rémunérations, sans toucher aux salaires : c’est tout l’esprit du "paquet pouvoir d’achat", adopté cet été.

Pour répondre à l’inflation, la loi offre ainsi aux entreprises la possibilité de piocher dans une boîte à outils élargie. À disposition : la "prime Macron" relevée et fractionnable ; des accords d’intéressement assouplis ; une défiscalisation accrue sur les heures supplémentaires, RTT monétisés et chèques-restaurants. Sans oublier le renforcement de la prime transport, du forfait mobilités durables et du remboursement des abonnements.

Reste un grand absent de cette panoplie : les salaires. Sur ce point, la ligne gouvernementale n’a pas varié depuis un an : parce que l’État fait déjà sa part, "toutes les entreprises qui le peuvent" doivent faire un effort. Mais pas question d’aller au-delà de cette pression amicale. Une étude de la Dares montre que les entreprises ont plutôt joué le jeu, avec une augmentation de 3 % des salaires depuis un an. Un record.

L’exécutif s’en tient également, et strictement, aux revalorisations automatiques du salaire minimum – il y en a déjà eu quatre en dix mois. Sa seule exigence : qu’aucun minimum conventionnel ne reste inférieur au Smic. Une obligation que près de deux tiers des branches ne respectaient déjà pas (ou plus) début juillet.

À vrai dire, le pouvoir d’achat ressemble à la quadrature d’un cercle vicieux : augmenter les salaires, c’est renchérir les coûts et alimenter l’inflation. Ne rien faire, c’est tendre les relations et assécher la demande. Hasard ou conséquence ? Depuis le début de l’année, la consommation des ménages, moteur traditionnel de la croissance, n’a cessé de se contracter.

5. Ressources humaines : la guerre des talents s’amplifie

Mais où sont donc passés les travailleurs ? La question taraude de plus en plus les entreprises. En juillet, les difficultés de recrutement frappaient 6 entreprises tertiaires sur 10 et jusqu’à deux tiers des industrielles – l’Insee n’avait jamais constaté pareilles proportions depuis le début de ses relevés (soit, respectivement, depuis 2000 et 1991) !

Et ce n’est pas la bonne santé actuelle de l’emploi qui va rassurer les recruteurs : le pic historique des embauches au printemps (6,97 millions de nouveaux contrats, hors intérim), ajouté à la baisse du réservoir des demandeurs d’emploi (-15 % en un an), ne fait qu’exacerber la concurrence entre entreprises. Mais dans cette course aux talents, l’enjeu n’est plus seulement d’attirer la main-d’œuvre, il faut savoir aussi retenir celle en poste. Surtout quand la démission n’est plus un tabou : près de 470 000 salariés en CDI ont quitté leur poste au premier trimestre, selon Pôle Emploi. Là encore, du jamais-vu.

L’urgence est telle que le gouvernement a prévu de faire du travail la priorité de cette rentrée 2022. Au programme : réforme bis de l’assurance chômage et refonte du RSA. Suffisant ? Rien n’est moins sûr. Selon Pôle Emploi, les entreprises se plaignent autant de l’absence de candidats (à 86 %) que de leur profil inadéquat (71 %). Un problème de formation et de compétences bien plus long et laborieux à régler. En attendant, les entreprises ne peuvent compter que sur elles-mêmes. Voilà qui tombe bien : deux études récentes de la Dares et de France Stratégie montrent qu’elles ont aussi une part de responsabilité dans leurs difficultés à recruter. Que ce soit du fait des conditions de travail ou de salaire proposées, de leur gestion RH ou de leur marque employeur.

6. L’espoir post-Covid de la relocalisation

La pandémie de Covid-19 laissera-t-elle à la France des usines en héritage ? La "relocalisation industrielle" s’est en tout cas imposée, à la sortie du premier confinement, comme l’un des piliers du fameux "monde d’après". Le cabinet Trendeo a d’ailleurs recensé 87 relocalisations en 2021 (plus que sur les cinq années précédentes réunies) et 120 ouvertures nettes d’usines. Du jamais vu depuis le début de ses relevés en 2009 ! De son côté, l’Insee a compté plus de 4 800 créations d’entreprises dans l’industrie, en juin dernier, 50 % de plus qu’avant le coronavirus ! L’avenir semble aussi radieux, avec l’arrivée programmée de plusieurs "gigafactories" comme Eastman en Normandie, d’ACC dans les Hauts-de-France ou de STMicroelectronics près de Grenoble.

À l’heure de la "souveraineté" et de la "résilience", l’État a redécouvert les vertus de la réindustrialisation, bonne pour la sécurisation des approvisionnements, la balance commerciale et même l’environnement. Résultat, les pouvoirs publics se sont mis à soutenir les usines comme rarement, entre baisse des impôts de production, subventions directes à la relocalisation et aux technologies 4.0.

Mais il en faudra plus pour relancer l’industrie française. D’autant qu’elle doit désormais faire face à l’impact de la guerre en Ukraine, sans s’être vraiment remise du Covid-19. En mai, la production manufacturière tournait toujours au ralenti (-5 %, comparativement à février 2020), les transports demeuraient en sous-régime (-25 %), et l’emploi salarié dans les usines affichait une perte nette de 15 400 postes au premier trimestre (par rapport à fin 2019). Autant dire que si la France s’est désindustrialisée en quarante ans, il en faudra bien plus de deux pour la voir renverser la vapeur.

7. International : le déficit commercial atteint des sommets

Les entreprises françaises retrouveront-elles un jour le chemin de la réussite à l’international ? Il y a urgence : le solde commercial plonge dans des profondeurs abyssales depuis un an. Sur les douze derniers mois, le déficit atteint des niveaux records (-121,9 milliards d'euros).

Et pourtant, les exportations de biens se redressent depuis l’été 2020. Mais elles progressent à un rythme inférieur aux importations. Pis, leur rebond est deux à cinq fois moins fort qu’en Allemagne, Italie ou Espagne. Résultat, l’Hexagone ne cesse de perdre des parts de marché à l’international depuis fin 2020. Et l’excellente performance des services n’y change rien : leur excédent historique du printemps (+18 milliards d’euros) n’empêche pas la balance des paiements française de multiplier son déficit par 8 en trois mois (-8,6 milliards au total).

L’État n’est pas resté les bras croisés devant la catastrophe en cours. Depuis deux ans, il ponctue ses plans d’urgence d’aides variées, à l’image des "chèques relance export" et des primes à l’embauche de VIE (volontaires internationaux en entreprise), maintenus jusqu’en décembre. Les entreprises elles-mêmes ont répondu présent : les exportateurs n’ont jamais été aussi nombreux en deux décennies (138 700 opérateurs recensés au premier trimestre, +5 % en un an).

Un paradoxe qui trouve en partie son explication dans les crises successives du Covid-19 et de l’Ukraine. La première a affaibli les points forts de l’export tricolore (tourisme, transports), la seconde a renforcé ses points faibles (fragilités industrielles et, surtout, dépendance énergétique). Mais le mal est plus profond, car le décrochage des échanges de biens ne date pas d’hier : le dernier excédent annuel de la France remonte… à 2002.

8. Le rendez-vous manqué de la transition numérique

Les entreprises françaises sont-elles en train de rater leur virage numérique ? Souvent présentée comme un accélérateur de la "digitalisation", la crise du Covid-19 apparaît, deux ans plus tard et à certains égards, comme une belle occasion manquée.

Les usages des consommateurs ont pourtant bel et bien évolué. En témoigne l’essor du commerce en ligne et ses 129,1 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2021 – un quart de plus qu’avant le coronavirus. Mais les entreprises, elles, n’ont pas vraiment changé leur logiciel., déplorent deux études du Boston Consulting Group pour le Medef et de l’école de commerce EM Normandie. Ce désintérêt est loin d’être exceptionnel : en matière d’intégration des technologies numériques dans les entreprises, la France pointe à la 19e place de l’Union européenne ; proportionnellement à leur nombre de salariés, les usines tricolores comptent deux fois moins de robots qu’en Allemagne.

L’État a pourtant mis les moyens pour faire prendre la greffe. Son plan France 2030 vise, entre autres, à soutenir ces investissements de modernisation, en plus du développement de solutions nationales. Un double enjeu présent, par exemple, dans les 800 millions d’euros dédiés à l’industrie 4.0. Des financements complétés par quelques initiatives d’accompagnement pour favoriser "l’appropriation" des technologies (démonstrateurs de cybersécurité, projet de campus sur la 5G industrielle…). Autant d’actions qui butent néanmoins sur un même écueil : le manque de compétences disponibles sur le marché du travail. Pendant ce temps-là, l’innovation, elle, n’attend pas : la révolution annoncée du métavers, du web3 et de la 6G, est déjà en marche.

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