Ces industriels qui cherchent à révolutionner leurs usines avec la 5G
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Ces industriels qui cherchent à révolutionner leurs usines avec la 5G

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Les industriels français sont-ils en train de passer à côté de la révolution annoncée de la 5G ? Pour le moment, ils ne sont qu'une poignée à s'être emparé de cette technologie, censée leur apporter de nouvelles perspectives en numérisant les usines et en massifiant les données tout au long du cycle de vie d'un produit. Nous sommes allés à leur rencontre.

Le fabricant de câbles Acome fait partie des rares industriels français à s’intéresser à la 5G. Il est en train de tester un réseau en Normandie — Photo : Acome - S. Meyer

Une révolution dans les usines est en train de se préparer avec l’arrivée de la 5G, cette cinquième génération de communications mobiles qui débarque actuellement en France. Augmentation du débit, réduction de latence et massification des connexions possibles font partie des performances accrues grâce à la 5G. Des atouts décrits comme "le triangle de la 5G", au sein duquel s’élaborent de nouveaux usages, peu ou pas accessibles aujourd’hui, selon l’expression de Matthieu Evrard. Ce dernier occupe des fonctions de directeur marketing chez Acome (2 000 salariés, 550 M€ de CA), un fabricant de câbles et de composants pour les télécoms et l’automobile.

Peu connue du grand public, cette compagnie normande joue pourtant un rôle de défricheur dans ce secteur des nouvelles technologies. Acome s’apprête à lancer dès l’été une plateforme d’expérimentation 5G sur son site de Romagny, dans la Manche, afin de tester les nouveaux usages de l’industrie 4.0. Elle commencera par installer son réseau d’antennes privées cette année, avant une expérimentation en 2023-24.

Acome : détecter les erreurs de production

Encore en réflexion, les tests s’orienteraient notamment vers une réduction des déchets liés aux erreurs de production. Un enjeu de productivité. "Pour faire face à l’internationalisation de la concurrence, les cadences ont augmenté dans l’industrie au sens large. Ce qui fait qu’il est de plus en plus difficile de bien contrôler le processus de fabrication, constate Matthieu Evrard. Mécaniquement, vous avez un risque d’augmenter le taux de rebut en sortie de chaîne."

Matthieu Evrard, directeur marketing chez Acome — Photo : Acome

D’autant plus chez Acome qui réalise une "extrusion plastique à près de 100 km/h sur sa chaîne de production de gaines de câbles, destinés entre autres à la fibre optique", précise le directeur marketing de la branche building city & transport d’Acome. À cette vitesse, le moindre défaut envoie quasi systématiquement le produit à la benne…

Par mesure de prévention, des caméras mobiles HD et haute vitesse, connectées en 5G, pourraient bientôt se positionner à différents points de la ligne de production, afin de surveiller image par image les diamètres d’extrusion et diverses étapes de fabrication. Des clichés analysés en différé par des yeux des experts. Ou permettant de créer un système d’alerte informatique, indiquant par exemple qu’on s’éloigne des réglages initiaux et qu’il risque d’y avoir des défauts.

Couvrir un campus industriel de 42 hectares

Ici, la 5G offre une mobilité du matériel, car il faudra déplacer régulièrement les caméras en fonction des zones de productions jugées à risque… sur ce vaste campus industriel de 42 hectares où s’élèvent sept usines. "Quand vous avez une couverture 5G dans le bâtiment, pas besoin de retirer un câble optique ou de cuivre pour déployer un nouvel objet connecté. Sauf s’il a besoin d’énergie. Sur un certain nombre d’applications vous allez ainsi accélérer vos projets…".

La 5G ouvre aussi la voie à une remontée massive d’information, depuis chaque îlot de production équipé de capteurs, vers un "lac de données". Acome envisage d’ailleurs d’installer pas moins de150 capteurs dans le but d’alimenter une intelligence artificielle. "On sortirait ici de la supervision ponctuelle d’une zone, comme prévu avec les caméras. L’IA aurait alors la capacité de fournir des recommandations générales visant à améliorer les paramètres de production."

"La 5G facilite le déploiement de nouvelles applications"

D’autres cas d’usages restent aussi en réflexion. Comme l’utilisation de la 5G pour piloter à distance des AGV, ces petits véhicules autonomes qui transportent des pièces dans l’usine. Reste à évaluer la pertinence de la technologie. Si la 5G "ne vient pas forcément remplacer" des fonctions que la 4G, le Wifi ou la fibre optique ne peuvent pas remplir, "elle facilite le déploiement de nouvelles applications, là où les autres ont plus de mal à suivre", assure déjà Matthieu Evrard. "Les technologies se complètent. L’intérêt sera de trouver le bon mix en fonction des besoins, détaille-t-il. Et d’atteindre un retour sur investissement pour les cas d’usage 100 % 5G."

Outre ces tests, Acome compte réaliser des études sur la santé au travail, notamment pour mesurer les émissions d’ondes radios, en sollicitant des laboratoires. Coté impact environnemental, la Scop aimerait même évaluer l’ACV complet (l’analyse du cycle de vie) d’un réseau 5G, incluant aussi bien le bilan carbone, l’utilisation des matières premières ou le recyclage des équipements.

La 5G pour sécuriser le port du Havre

Les industriels qui testent la 5G restent encore rares. D’après le récent rapport de la Mission 5G industrielle, commandé par le gouvernement, il n’existerait qu’une douzaine d’expérimentations 5G à visée industrielle en France. La plupart soutenus dans le cadre du plan de relance. C’est le cas d’Acome, mais aussi d’Haropa qui déploie un réseau 5G sur le port du Havre.

Dans l’estuaire de la Seine, Haropa Port cherche à renforcer la sécurité et améliorer ses opérations de maintenance. Il s’agit par exemple de garantir une voie d’accès fluide et sans aucun risque pour les navires. L’ambition ? Créer un "plan d’eau connecté" pour que les bateaux qui interviennent sur l’entretien du port puissent échanger des données en temps réel. Qu’il s’agisse d’opérations de bathymétrie destinées à mesurer les profondeurs et le relief du fond marin ou qu’il s’agisse des missions de dragage. Les premières guidant les secondes.

Obtenir des données en temps réel

"L’idée est d’obtenir les données le plus rapidement possible, sans avoir à attendre parfois jusqu’à 12 heures. Ce qui aidera à optimiser les campagnes de dragage, à faire en sorte de bien réduire le niveau aux endroits où la cote s’est relevée et de ne pas trop creuser là où ce n’est pas nécessaire, vulgarise Cyril Chedot, responsable mission innovation au sein d’Haropa Port. Cela devrait avoir également un impact sur les coûts de maintenance, ainsi que sur l’environnement, car on espère réduire les volumes de dragage."

Avec la 5G, le port du Havre veut créer "un plan d’eau connecté". Ce qui doit notamment permettre de développer des systèmes d’assistance vidéo pour faciliter le remorquage des navires — Photo : DR

Sécurité encore, avec la capacité de développer des systèmes d’assistance vidéo pour effectuer des remorquages "plus précis", en connectant davantage de caméras pour aider un remorqueur à mieux se positionner sur le navire qu’il est en train d’assister. Sécurité enfin, en imaginant un système anticollision pour prévenir les chocs entre les chariots cavaliers - ces immenses engins, culminant à 12 mètres de haut, chargés de déplacer les containers sur le terminal portuaire - et les autres engins et véhicules du site.

"Sur un kilomètre carré de réseau en 4G, vous pouvez connecter 10 000 objets simultanément sans faire sauter le réseau. Sur la même superficie, vous montez à un million d’objets"

En plus de ces objectifs sécuritaires, le port normand compte sur la 5G pour intégrer des capteurs et objets connectés sur les équipements du port en vue de leur maintenance prédictive. Ici en détectant qu’une pompe de dragage vibre ou surchauffe anormalement. Là, en contrôlant la pression des pneus ou les niveaux d’huile d’un chariot cavalier.

Car, outre la promesse d’un réseau stable et haut débit, la 5G décuple le nombre d’objets qu’il est possible de connecter. " Pour donner un ordre de grandeur : sur un kilomètre carré de réseau en 4G, vous pouvez connecter 10 000 objets simultanément sans faire sauter le réseau. Sur la même superficie, vous montez à un million d’objets en 5G ", observe Cyril Chedot.

Réseau expérimental

Tout comme ses concurrents d’Anvers, de Rotterdam et d’Hambourg, tout comme les ports italiens et espagnols, Haropa Port a donc décidé d’ouvrir un réseau privé expérimental sur son terminal avec une première antenne opérationnelle au printemps 2022. Ce "5G Lab" a été lancé par un collectif associant Haropa, la communauté urbaine locale, Nokia, Siemens et EDF. Un dispositif nécessitant 2 millions d’euros d’investissement sur trois ans, financé en partie par l’État via le programme d’investissements d’avenir.

Pour Cyril Chedot, le passage à la 5G devrait s’imposer à l’avenir, notamment au vu de l’augmentation constante des données à traiter. "La 5G deviendra un facteur de compétitivité en local. Il s’agit d’offrir aux entreprises ce qui se fait de mieux en matière de télécoms, synthétise ce dernier. Notamment aux sociétés qu’on espère attirer sur des sujets innovants : les énergies renouvelables, les smart grid, l’efficacité énergétique… Tout ça se pilote avec des réseaux performants, sans limite de débit, avec peu de latence et sur lesquels brancher des objets connectés".

SNCF : de la réalité augmentée pour les opérations de maintenance

Plus avancés, certains ont déjà un premier retour d’expérience sur l’intérêt de la 5G. C’est le cas de la SNCF, qui teste plusieurs applications dans la gare de Rennes depuis 2020. Comme le téléchargement instantané (notamment de vidéos) offert aux voyageurs. "On a mesuré un débit de 4,4 gigabits par seconde. De quoi télécharger une série TV entière en quelques secondes, voire en une seconde", indique Hacene Lahreche, directeur innovation et connectivité à la direction numérique du Groupe SNCF.

Lunettes connectées

Le groupe de transport profite aussi de la 5G pour de la "télémaintenance assistée". Grâce à des lunettes connectées, des techniciens ont pu filmer leur réparation de bornes de billetterie en temps réel. À distance un expert les a alors guidés, en superposant des annotations ou des plans sur l’image affichée dans leurs lunettes, grâce à un système de réalité augmentée.

Après avoir testé depuis deux ans la 5G dans la gare de Rennes, la SNCF envisage de l’implémenter au sein de ses centres de maintenance industrielle bretons, qui rénovent les rames des TGV — Photo : SNCF

Un dispositif que la SNCF envisage de dupliquer sur ses deux gigantesques technicentres industriels et de maintenance basés à Rennes.

Géolocaliser les trains à 50 centimètres près

En Bretagne, les expérimentations vont aussi débuter avec un déploiement du réseau espéré courant juin. Avec certaines perspectives futuristes à long terme, comme la création d’un jumeau numérique complet du site ou la géolocalisation précise des trains (à 50 centimètres près), afin d’améliorer la logistique. But de l’opération : accélérer le retour des trains en maintenance sur tout le réseau breton.

Hacene Lahreche, directeur innovation et connectivité à la direction numérique du Groupe SNCF — Photo : SNCF

La priorité de la SNCF s’avère aussi aujourd’hui beaucoup plus terre à terre. "Cette priorité, c’est la continuité de service numérique", souligne Hacene Lahreche. Autrement dit, la 5G permet de ne jamais perdre le réseau en se déplaçant sur un site de maintenance vaste de 19 hectares… Un espace complexe à connecter avec des bâtiments en béton et en métal, comme autant d’obstacles aux ondes. Aujourd’hui, la 4G est insuffisante et le Wifi exigerait d’installer un très grand nombre de bornes d’accès. " Quand plusieurs corps de métiers opèrent sur un même train, pour contrôler l’usure des freins, etc., il vous faut une synchronisation sans faille pour que la maintenance soit fluide et efficace ", ajoute l’expert. Notamment pour éviter qu’un technicien ne mette en retard un autre technicien. Une problématique de connectivité commune à un grand nombre d’industriels…

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