L'industrie française a encore du mal à apprivoiser la 5G
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L'industrie française a encore du mal à apprivoiser la 5G

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La 5G pourrait ouvrir de nouvelles perspectives à l’industrie française. Elle a pourtant bien du mal à passer la porte des usines : un rapport pointe du doigt les freins au développement de cette technologie en France. À commencer par l’attentisme des industriels.

Malgré l’activisme de quelques entreprises, les industriels sont rares à expérimenter les possibilités offertes par la 5G — Photo : Monopoly919

Les industriels français sont-ils en train de passer à côté de la révolution annoncée de la 5G ? Pour le moment, ils ne sont qu’une poignée à s’être emparé de cette technologie, censée leur apporter de nouvelles perspectives en numérisant les usines et en massifiant les données tout au long du cycle de vie d’un produit.

Chargée en octobre 2021 par le gouvernement de faire le point sur le sujet, la mission "5G industrielle" présidée par Philippe Herbert vient de remettre son rapport.

Une douzaine d’expérimentations en France

Le document recense un peu plus d’une douzaine d’expérimentations 5G à visée industrielle sur le territoire. Neuf d’entre elles sont soutenues par un appel à projets lancé en août 2020 dans le cadre du plan de relance. C’est le cas de la SNCF à Rennes. La 5G est indispensable pour que le groupe ferroviaire français utilise la réalité augmentée pour des opérations de maintenance de son technicentre. C’est aussi le cas d’Acome dans son usine de Romagny (Manche), d’Arcelor dans ses sites de Florange (Moselle) et de Dunkerque (Nord) ou d’Haropa qui déploie un réseau 5G sur le port du Havre. Ces industriels sont soutenus par des "politiques publiques fortes", notent les auteurs du rapport. L’État prévoit ainsi d’engager 735 millions d’euros d’ici à 2025 pour développer la 5G au sein des usines françaises.

En parallèle de ces expérimentations accompagnées par la puissance publique, plusieurs initiatives privées ont été lancées par Schneider Electric dans son usine de Vaudreuil (Eure), par le fabricant de cartes électroniques Merem Électronique (Saône) ou par le groupe nantais Lacroix dans sa toute nouvelle usine de Beaupréau (Maine-et-Loire).

"La grande majorité du tissu industriel français est dans une posture que nous nommerons ici attentiste"

Mais seulement voilà, malgré l’activisme de ces pionniers et malgré le volontarisme politique, les industriels sont rares à expérimenter la 5G. "La grande majorité du tissu industriel français est dans une posture que nous nommerons ici attentiste", constate la mission "5G industrielle" dans son rapport. La raison ? Les industriels "attendent d’avoir une meilleure compréhension et un plus grand nombre de retours d’expérience".

Alors, que faire pour faciliter le développer de la 5G, ce "facteur clé de la compétitivité de notre industrie", comme l’assure le secrétaire d'État chargé de la Transition numérique Cédric O ? L’équipe pilotée par Philippe Herbert identifie plusieurs freins au déploiement de la 5G que le gouvernement tente de surmonter par une série de décisions.

Encore des freins techniques

Le premier frein à l’adoption de la 5G par les industriels est technique. Les modalités d’accès aux fréquences "ne permettent pas un développement de la 5G industrielle à son plein potentiel", note le rapport. Aujourd’hui, les industriels désirant adopter la 5G ont deux possibilités. Ils peuvent, d’une part, choisir de recourir à un guichet pour accéder à la bande 2,6 GHz.

Une solution critiquée par les auteurs du rapport en raison de délais d’attribution trop longs et de coûts trop élevés. Pour une entreprise, l’accès coûte environ 70 000 euros (pour pouvoir déployer la 5G sur une surface minimum de… 100 km² !). En Allemagne, il en coûte seulement 3 000 euros pour une superficie, plus raisonnable, de 4 km². D'autre part, les industriels peuvent choisir d’accéder aux fréquences d’un des quatre opérateurs télécoms. Mais, là encore, cette option est loin de faire l’unanimité, les industriels se plaignant notamment du manque d’offres adaptées à leurs besoins. Face à cette première problématique de fréquence radio, le gouvernement compte corriger le tir en révisant les modalités d’accès à la bande 2,6 GHz.

Toujours sur le plan technique, les auteurs du rapport jugent insuffisants les équipements et services adaptés à la 5G industrielle. Notamment parce que "les équipements disponibles dans la bande 2,6 GHz, peu ou pas utilisée au niveau mondial en 5G, sont très peu nombreux". Pour les auteurs du rapport, il faut favoriser des offres clés en main. Et pour y parvenir, l’État compte flécher des financements aux entreprises qui se lancent sur ce marché, dans le cadre de l’appel à projets relatif à la stratégie d’accélération sur la 5G (ouvert jusqu’en juin 2022) et via des dispositifs de Bpifrance et de la Banque des Territoires.

Vers la création de campus 5G pour les industriels

Deuxième grand point bloquant : la méconnaissance des enjeux de la 5G par les industriels. Certaines initiatives, à l'instar des laboratoires d’Orange ou de Capgemini, permettent de faire émerger un début d’écosystème français autour de la 5G, en permettant aux entreprises d’apprivoiser cette technologie. Pour la Mission, il faut aller plus loin. "Il est nécessaire de démontrer l’intérêt de cette technologie au travers de dialogues concrets et de rencontres de terrain entre acteurs de l’industrie et des télécoms", notent les auteurs du rapport, qui plaident pour la création de "campus fablab 5G industrielle" rassemblant en de mêmes lieux tous les acteurs pour élaborer des solutions 5G industrielle. Le gouvernement va lancer "dès que possible" un appel à manifestation d’intérêt sur ces campus devant réunir industriels, opérateurs de services et d’infrastructures, éditeurs de logiciels, intégrateurs et autres experts de la 5G.

De son côté, Bpifrance va déployer une animation spécifique autour de la 5G afin de sensibiliser start-up et PME. Enfin, le gouvernement renouvelle un appel à projets franco-allemand autour de la 5G industrielle, visant encourager de gros déploiements (pour des budgets d’au moins 2 millions d’euros) de 5G dans des industries en France et/ou en Allemagne. Les candidats ont jusqu’au 14 juin pour candidater, sur le site de Bpifrance.

La France n’est pas en avance

Les prochains mois seront décisifs. Une course contre la montre s’engage pour que l’industrie hexagonale ne rate pas le train de la 5G. Pour autant, les auteurs du rapport ne versent pas dans l’alarmisme. "La France n’apparaît pas comme étant réellement en retard à l’échelle mondiale, surtout si l’on se réfère à l’horizon de maturité de la 5G industrielle, soit pas avant 2024". Mais préviennent tout de même : "Les déploiements de réseaux privés 5G dans l’industrie sont moins nombreux que dans d’autres pays et la dynamique expérimentale française a besoin d’être largement amplifiée".

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