"Toutes les entreprises seront dans le métavers"
Interview # Industrie

Ridouan Abagri fondateur du Metaverse College "Toutes les entreprises seront dans le métavers"

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Le métavers est-il l’avenir d’internet ? Ridouan Abagri revient sur les enjeux de cette "nouvelle révolution". Fondateur et directeur du Metaverse College (Paris), qui ouvrira en septembre 2022, ce dernier formera les futurs talents en charge de concevoir ce monde virtuel fascinant, dans lequel évolueront bientôt toutes les entreprises mondiales, assure-t-il.

Ridouan Abagri, fondateur et directeur du Metaverse College (Paris) — Photo : DR

À la rentrée 2022, vous allez ouvrir le Metaverse College à Paris. Avec des cursus allant jusqu’à bac + 5 pour former des experts de ce monde virtuel. En quoi consiste vraiment le métavers ou metaverse en anglais ?

Plus qu’un monde virtuel, il s’agit d’un monde parallèle. Dans un métavers, le but est de pouvoir faire exactement la même chose que dans la vraie vie : faire du shopping, visiter un appartement, une école, un musée, aller sur les réseaux sociaux… À la différence que vous évoluez dans un monde virtuel avec un avatar, comme dans un jeu vidéo. Aujourd’hui, vous pouvez notamment voir des contenus Netflix ou Youtube dans le métavers. Des concerts y ont aussi déjà eu lieu, comme celui du rappeur américain Travis Scott dans l’univers du jeu vidéo Fortnite. Car il existe déjà des applications possibles. Avec le casque Oculus Quest 2, par exemple, vous accédez à des expériences immersives très sympas, qui commencent à dépasser l’aspect gadget. Cela ouvre aussi des possibilités du côté de la réalité augmentée.

Vous évoquez l’usage de la réalité augmentée, via le métavers. C’est-à-dire l’action d’ajouter des images virtuelles sur le monde réel, visibles grâce à des lunettes connectées, un smartphone…

Oui. Beaucoup en ont déjà fait l’expérience avec le jeu Pokémon GO. Avec un smartphone, une tablette ou des lunettes connectées par exemple, vous allez pouvoir vivre une expérience immersive : voir une montre apparaître en 3D sur votre poignet comme dans les films futuristes, visiter une exposition d’art qui s’affiche virtuellement dans les rues de votre ville… Le métavers ne se résume pas à un monde virtuel. C’est aussi inviter le virtuel dans le réel, créer un univers mélangé ou plutôt des univers… Vous vous souvenez de la série TV de science-fiction Sliders ? Eh bien c’est ça. Il existera autant de mondes parallèles que vous le voulez dans le métavers.

Qu’est-ce qui prouve qu’il s’agit aujourd’hui d’une tendance de fond ? Et non d’un énième rêve de science-fiction ?

Le fait de voir que les plus grands groupes au monde comme les GAFA s’en emparent. Or ce sont eux qui dictent les tendances. Concrètement, si Facebook (qui a annoncé des milliards d’euros d’investissement dans le métavers, NDLR) prend le pli, puis qu’Apple qui s’y met, cela signifie qu’ils vont repenser un modèle de consommation ainsi qu’un modèle économique avec le métavers. Et ces grands acteurs imposeront leur modèle…

"Toutes les entreprises vont s’y mettre, même celles qui ne le veulent pas"

Puisqu’on parle d’affaires, ces nouveaux mondes vont-ils intéresser les entreprises ?

Oui. À mon avis, toutes les entreprises vont s’y mettre, même celles qui ne le veulent pas. Parce que c’est toujours le marché qui décide. Si le consommateur exige ce type d’expérience enrichie, on sera obligé de lui fournir. D’ici une dizaine d’années, la majorité des entreprises sera dans le métavers. Ou aura une activité en lien avec lui. À long terme, elles y seront toutes. Je pense qu’on est vraiment dans une nouvelle révolution.

Quels profils seront les premiers concernés ?

Des secteurs comme le jeu vidéo et l’événementiel ont été précurseurs et figurent déjà dans le métavers. Le commerce et le négoce feront aussi partie des premiers. Car si ce monde virtuel attire le consommateur, il faudra les suivre, avoir une visibilité sur ce support. Des emplacements publicitaires vont s’y créer. On va faire du "marketing métavers", vendre des produits et services spécifiques… Globalement, les premiers à investir le métavers seront les entreprises ciblant les particuliers avec des produits de grande consommation. Les activités B to B arriveront plus tard, peu à peu. D’abord avec les agences de marketing puis l’industrie du divertissement, les médias, etc.

Il y a aura aussi des applications internes aux entreprises…

Effectivement, pour beaucoup, les premiers cas d’usage concerneront davantage l’aspect RH et organisationnel. Qu’il s’agisse de tenir des entretiens à distance, d’opérations de recrutement… Vous voyez déjà des salles de réunion dans le métavers où vous croisez des gens qui se promènent dedans avec leur avatar 3D.

À propos du commerce. Les boutiques 3D vont aussi fleurir ?

Oui. Un commerçant va pouvoir créer sa propre boutique virtuelle. Avec la possibilité d’offrir à la fois des vêtements classiques ainsi qu’une tenue qui vous habille dans le monde virtuel. Pour rappel, Nike et Adidas ont déjà débloqué de gros budgets afin de concevoir leurs univers ainsi que des collections spécifiques. En sachant qu’il y aura un investissement important au départ, certes, mais potentiellement de plus grosses marges au final. Prenez une grande marque qui sort des éditions limitées de chaussures virtuelles, les collectionneurs vont avoir envie de les acquérir… Et elle pourrait sans doute les vendre plus cher que dans le monde réel…

Cela ouvre des opportunités pour renforcer son modèle économique ?

Même si modéliser des chaussures ou des vêtements en 3D coûte plus cher que de concevoir des chaussures pour les magasins lambda, au final, vous allez économiser la production en usine, la logistique, la livraison et ainsi de suite. Ça fait une sacrée différence. Quand vous voulez vendre une centaine de vêtements dans un magasin physique, vous devez en fabriquer ou en acheter une centaine. Là, vous allez payer pour un seul produit, certes très cher, mais que vous pouvez revendre à l’infini.

Comment créer un métavers ou des produits aujourd’hui ? Une entreprise doit passer par des prestataires ?

Oui. Il faut faire appel à des start-up essentiellement. Ce sont elles qui vont lancer la musique. C’est à la fois plus rapide et plus simple. Car il est encore trop tôt pour internaliser les compétences. Il n’existe pas encore d’écoles qui forment à ces métiers, c’est d’ailleurs pour ça qu’on lance le Metaverse College en septembre prochain.

En quoi consisteront vos formations ?

D’un côté, il y aura des formations généralistes, de type chef de projet métavers. De l’autre, des enseignements ciblant des métiers spécifiques comme celui de product designer, expert en modélisation 3D, ou de développeur XR pour ce qui touche aux applis de réalité virtuelle et augmentée. Ou encore un diplôme en management de la cryptomonnaie, des NFTs et du metapatrimoine. Ces compétences s’avéreront nécessaires pour connecter des moyens de paiement, gérer des portefeuilles d’activité, etc.

"Nous prévoyons d’accueillir environ 50 étudiants la première année, puis 5 000 à 10 000 d’ici 5 ans"

Nous prévoyons d’accueillir environ 50 étudiants la première année, puis 5 000 à 10 000 d’ici 5 ans. Sur un campus de 6 500 m² dont le cœur sera situé sur l’Arche de la Défense à Paris. Avec l’ambition de dupliquer notre formation sur les 10 campus français du Digital College, que j’ai aussi créé, et qui forme déjà aux métiers du numérique. En commençant probablement par Lyon et Marseille. Le but étant d’aller là où se développent les start-up du métavers, afin que nos écoles puissent leur fournir les profils dont elles ont besoin. Pour rappel, ces deux écoles font partie du groupe Collège de Paris, qui accompagne 10 000 étudiants par an.

Petite question budget… Ça coûte cher de se lancer sur le métavers aujourd’hui ?

Extrêmement cher ! Beaucoup plus qu’une appli mobile, pour comparer. Facilement deux fois plus cher, voire plus.

Cet espace commun va réunir une foule de nouvelles technologies et de nouveaux concepts : blockchain, NFT, cryptomonnaie…

C’est justement la concrétisation de toutes ces technologies. On va utiliser des jetons NFT pour faire l’acquisition d’une œuvre d’art virtuelle, acquisition certifiée grâce à la blockchain… C’est donc déjà le cas et ça marche très bien.

"En France, le premier grand rendez-vous aura lieu d’ici environ 5 ans, je pense. La première étape consistera à faire du shopping virtuel"

À quelle échéance pensez-vous qu’on surfera vraiment sur le métavers ?

En France, le premier grand rendez-vous aura lieu d’ici environ 5 ans, je pense. La première étape consistera à faire du shopping virtuel. En soi, on peut déjà en faire un peu aujourd’hui. Mais demain, cela devrait devenir aussi naturel et régulier que de faire ses achats sur des sites e-commerce.

Certains prédisent que le métavers finira par remplacer internet…

C’est possible. À terme, internet pourrait se faire absorber par le métavers. On préféra probablement y aller pour consulter ses e-mails, ses sites préférés… plutôt que d’utiliser l’internet classique. Avec des expériences immersives qui offrent davantage de sensations et d’émotions bien sûr. Plutôt que d’aller sur Skype ou Zoom on pourra voir son interlocuteur en 3D avec un son "spatialisé" dans son casque, qui vous donnera l’impression qu’il est à côté de vous.

On pourra aussi se voir de façon encore plus réaliste à terme ? Via des hologrammes…

Oui (sourire). Je pense qu’on y arrivera… Mais dans longtemps.

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