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Guy Le Bars (Even) : "Il faudra faire passer d’autres hausses de prix"
Interview Bretagne # Agriculture # Conjoncture

Guy Le Bars président de la coopérative Even "Il faudra faire passer d’autres hausses de prix"

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Le groupe coopératif Even affiche des résultats solides en 2021, avec une hausse de 7 % du chiffre d’affaires. Le président, Guy Le Bars, reste cependant vigilant face aux enjeux que représente l’inflation, la transition énergétique ou encore le renouvellement des générations dans les exploitations agricoles.

Guy Le Bars, président de la coopérative Even — Photo : Isabelle Jaffré

Quels sont les résultats d’Even pour 2021 ?

Dans le contexte d’instabilité dans lequel nous sommes aujourd’hui, nous confirmons la solidité du modèle coopératif d'Even. En 2021, le chiffre d’affaires a progressé de 7 % par rapport à 2020 à 2,3 milliards d’euros. Les performances de la coopérative et du groupe sont plutôt de bon niveau, ce qui a permis aussi d’accompagner nos adhérents. L’effectif du groupe est resté stable avec 6 180 salariés.

Dans le cadre de notre diversification, nous avons racheté deux PME : Artimat à Millau et Occitanie Distribution à Albi (25 M€ de chiffre d'affaires à elles deux) pour renforcer l’activité vers la restauration hors domicile et particulièrement vers les boulangeries.

Avez-vous investi ?

45 millions d’euros ont fait en 2021 dans des investissements corporels. Entre 7 et 8 millions ont par exemple été investis dans un entrepôt pour notre filiale Bondu, près de Morlaix. Un investissement pluriannuel est prévu à Créhen (Côtes-d’Armor) pour augmenter notre capacité de production sur le fromage frais Madame Loïk, qui est un véritable succès.

Ces bons résultats ont-ils permis de mieux rémunérer les agriculteurs de la coopérative ?

Nous vivons une période un peu particulière. Nous sortons de deux années de Covid et il y a la guerre en Ukraine. Tout cela perturbe beaucoup de choses. Il y a des éléments à la fois très conjoncturels comme l’inflation, et puis des éléments plus structurels qui se mettent en place.

Dans ce contexte chahuté, nous avons tout de même pu faire un retour de résultat historiquement haut à 8,3 millions d’euros, en plus du prix du moyen du lait payé aux adhérents. Il porte ce prix à 371,45 euros les 1 000 litres pour 2021. La situation est paradoxale car le prix du lait est historiquement haut, ce qui est une bonne chose pour les exploitants mais, dans le même temps, le prix des intrants et de l’énergie n’a, lui aussi, jamais été aussi haut.

L’inflation plombe-t-elle vos perspectives ?

Il y a des inflations partout : chez nos adhérents, au niveau des outils industriels. Le sujet est de préserver autant que faire se peut nos marges. Le contexte de marché laitier nous aide en ce moment car il est plutôt orienté à la hausse, notamment au niveau mondial. Et ce, pour la première fois depuis de nombreuses années. Tous les secteurs géographiques au niveau mondial sont en baisse de production. Les États-Unis, qui avaient une croissance de production laitière importante, décrochent. L’Europe, et notamment les trois premiers pays producteurs de lait que sont l’Allemagne, la France et le Pays Bas, décrochent depuis septembre 2021, et la situation perdure aussi en Océanie. L’offre est en baisse et fait monter les prix dans un contexte de demande qui reste positif.

Comment se passent les négociations avec la grande distribution ?

Quand on regarde la façon dont cela se passe en France par rapport à beaucoup d’autres pays européens, l’inflation reste modérée. Les prix ont augmenté de façon beaucoup plus importante dans beaucoup de pays européens. La loi Besson-Moreau (dite "Egalim 2" du 19 octobre 2021 introduisant de nouveaux dispositifs de régulation et de transparence visant à une meilleure rémunération des agriculteurs français, NDLR) nous a permis de faire passer des hausses auprès des distributeurs et c’est très bien. Mais elle ne prévoit rien pour la hausse des coûts industriels. Or, eux aussi connaissent des augmentations très importantes de l’énergie, des ingrédients.

Ce contexte doit nous aider à faire passer les hausses dont nous avons besoin auprès de la distribution. Des négociations se sont achevées fin février, mais nous aurons besoin de passer de nouvelles hausses, car les prix des intrants et de l’énergie continuent de grimper. Les exploitations n’ont pas les moyens d’absorber ses hausses. Au final, c’est au distributeur de faire des arbitrages puis aux consommateurs.

Guy Le Bars, président d'Even et producteur de lait à Ploudaniel (Finistère) — Photo : Emmanuel PAIN / EVEN

Avec un marché du lait à l’international plus favorable, êtes-vous tentés de faire davantage d’export ?

Aujourd’hui, la part de l’export de notre filiale Laïta (avec les coopératives Eureden et Terrena, 3 020 salariés, 1,4 Md€ de CA) est de 30 %, principalement en Europe. C’est une performance honnête mais nous pouvons mieux faire. La tentation peut être grande, cependant nous nous inscrivons dans le temps long. Nous pourrions aller faire un coup, mais ce n’est pas notre genre. Et cela poserait d’autres complications également car le marché international est plus volatil et la baisse pourrait être tout aussi soudaine. Mieux vaut rester sur le marché français pour construire des relations à long terme, comme nous le faisons aujourd’hui.

Quels sont les autres enjeux pour Even et le monde agricole en général ?

Ceux que nous avons identifiés chez Even sont la souveraineté alimentaire et les transitions environnementales. Nous faisons de plus en plus d’actions concrètes sur ces thématiques avec deux facteurs clés de succès : les hommes et les femmes d’Even et les moyens économiques pour mener à bien ces politiques. La solidité du groupe est en effet essentielle pour faire face aujourd’hui.

L’autre sujet qui est important pour la coopérative est la transmission des exploitations à une nouvelle génération. Depuis 2015 et la fin des quotas laitiers, nous avons installé 138 jeunes, dont 16 en 2021. Cela ne couvre pas tous les départs en retraite mais les exploitations sont devenues également plus grandes. L’objectif d’Even est de maintenir une dynamique laitière sur le territoire. La transmission ne se fera pas toute seule, il faut rendre le métier attractif pour les jeunes, c’est un vrai défi.

Quelles sont les actions que vous avez mises en place ?

En 2020, nous avons démarré un fonds RSE. Une partie du résultat y est dédiée (1,6 million d’euros). Cela représente en moyenne 2 500 euros par exploitation alloués à des actions qui sont liés à au développement durable. Nous avons mis en avant trois thématiques : le bien-être humain (48 %), le bien-être animal (23 %) et l’environnement (29 %). Le fonds a donc servi à financer des journées de remplacements des exploitants pour congés, maladie, formation ou encore pour surcharge de travail. Il a également financé des équipements d’automatisation pour réduire la pénibilité du travail et nous avons investi pour du bocage, des chemins d’accès aux pâturages, des installations de panneaux photovoltaïques. Côté bien-être animal, il a servi à acheter des tapis, des brosses, tout ce qui améliore leur confort.

Bien évidemment, ce fonds RSE est reconduit pour l’année prochaine. D’autant que l’enjeu environnemental rejoint la problématique de l’inflation du prix de l’énergie. En tant que coopérative, nous ne sommes pas là pour imposer ou dire ce qu’il faut faire aux adhérents. Ce n’est pas notre culture. Notre rôle est de leur donner aux éléments de contexte. Naturellement, ils arrivent aujourd’hui à la conclusion qu’il faut agir pour consommer moins d’énergie.

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