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Brasserie du Pays Flamand : "Ne pas avoir de stratégie RSE mettrait notre PME en difficulté"
Interview Nord # Agroalimentaire # RSE

Mathieu Lesenne codirigeant de la Brasserie du Pays Flamand "Ne pas avoir de stratégie RSE mettrait notre PME en difficulté"

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La Brasserie du Pays Flamand, basée à Merville (Nord), consent un investissement d'un million d'euros afin de réduire son empreinte carbone. Connue pour ses bières Anostéké et Bracine Tripel, cette PME emploie 49 collaborateurs, pour un chiffre d'affaires de 12 millions d'euros. L'un de ses dirigeants, Mathieu Lesenne, revient sur les tenants et aboutissants de cette démarche RSE.

Mathieu Lesenne, cofondateur et codirigeant de la Brasserie du Pays Flamand, basée à Merville — Photo : Elodie Soury-Lavergne

Vous investissez un million d’euros pour accélérer la décarbonation de l’activité, par quoi cela va-t-il se traduire ?

Nous allons investir un million d’euros sur cinq ans, avec une première action qui va consister en la récupération de 50 % de l’énergie des chaleurs fatales. Nous avons identifié plusieurs puits de chaleurs fatales, en lien avec notre chambre chaude, qui permet de refermenter nos bières. Nous allons récupérer cette énergie pour la réintroduire dans le processus de production. Notre objectif, c’est d’apporter ainsi 1 gigawatt d’énergie sur les 2 gigawatts utilisés. Sur le deuxième semestre de cette année, nous allons également mettre en place un système permettant de recycler l’eau utilisée pour le lavage des cuves, tout en maintenant la température, afin de pouvoir laver plusieurs cuves de manière successive. Ce deuxième projet entraînera une diminution de la consommation d’eau et d’électricité.

Comment déterminez-vous les actions RSE les plus pertinentes pour votre PME ?

Nous avons choisi de mettre en place une véritable stratégie RSE. Tout a démarré par un diagnostic, mené avec l’accompagnement d’un bureau d’études. C’était une chance de bénéficier d’un regard extérieur. Ce partenaire a pointé du doigt des actions qui pourraient paraître évidentes mais que nous n’avions pourtant pas identifiées. Je pense par exemple à l’achat de bidons de détergent. En tant qu’entreprise de l’agroalimentaire, nous désinfectons en permanence et nous achetions jusque-là le détergent en bidon de 25 kg. Le cabinet d’études nous a orientés vers des contenants d’une tonne, consignés, qui diminuent notre impact et nous permettent par ailleurs de faire des économies.

"Lors de la réalisation de notre premier bilan carbone, nous avons été surpris de constater que 46 % de nos émissions de CO2 sont liées au verre"

En 2023, la brasserie a intégré le programme accélérateur décarbonation lancé par Bpifrance et l’Ademe, qui nous accompagne dans la mise en place d’une stratégie en lien avec les accords de Paris, à savoir la baisse des émissions de gaz à effet de serre de 4,2 % par an. Lors de la réalisation de notre premier bilan carbone, nous avons été surpris de constater que 46 % de nos émissions de CO2, qui s’élèvent à 3 400 tonnes par an en moyenne, sont liées au verre. Nous utilisons pourtant des bouteilles composées à 90 % de verre recyclé. Mais broyer et refondre une bouteille en verre dans un four à 1 500 degrés, cela n’a plus de sens… La solution c’est de laver les bouteilles pour les réemployer. Nous menons actuellement des études, en lien avec d’autres brasseurs, pour la mise en place de collecteurs.

Quelles sont les grandes lignes de votre stratégie RSE ?

Notre plan de décarbonation est orienté autour de cinq piliers : les emballages, l’énergie, les intrants et matières premières, la stratégie commerciale et enfin, l’eau, le cadre de vie et la biodiversité. Chacun de ces piliers est piloté par un groupe de collaborateurs de la brasserie, à travers un comité qui se réunit tous les deux mois. Sur la stratégie commerciale par exemple, notre objectif est de réaliser, à terme, 50 % du chiffre d’affaires en fûts dans les CHR, contre 40 % actuellement, car l’impact carbone du fût est moins important que celui de la bouteille en verre vendue en GMS, un circuit de distribution qui représente 40 % du chiffre d’affaires.

"Nous sommes convaincus qu'il faut agir rapidement"

Sur le volet emballage, nous allons tenter de développer la bière en canettes, qui est moins émettrice que la bière en verre. La canette représente 1 à 2 % de notre chiffre d’affaires et la volonté est de tendre vers les 10 %. En ce qui concerne les matières premières, nous privilégions par exemple les orges bas carbone auprès de nos fournisseurs, ce qui représente un surcoût de 15 à 20 % sur le prix du malt, mais cela reste viable sur nos coûts de revient.

Est-ce que les investissements consacrés à la RSE grèvent la rentabilité de l’entreprise ?

Nous sommes en tout cas convaincus qu’il faut agir rapidement. D’une part, en raison de l’urgence climatique. D’autre part, ne pas avoir de stratégie RSE mettrait notre PME en difficulté. Il faut savoir que l’engagement d’une entreprise lui donne plus de facilités d’accès au crédit vert. Par ailleurs, les banques mettent aujourd’hui en place des cotations RSE… L’empreinte carbone des entreprises devient un vrai sujet, suivi de près par les actionnaires et autres soutiens financiers. Par ailleurs, les investissements réalisés dans le cadre de la RSE sont des investissements rentables. Nous avons par exemple investi 300 000 euros dans un système de récupération de la biomasse présente dans nos rejets, qui nous permet de faire 30 000 euros d’économies par an. Nous réalisons également des économies d’énergie… Pour financer ces différentes actions, il est possible de bénéficier de subventions de l’Ademe. Pour une entreprise, il vaut mieux choisir que subir la réduction de l’empreinte carbone. Comme l’a souligné Jean-Marc Jancovici, pour résoudre le réchauffement climatique, il faudra soit une sobriété volontaire, soit une décroissance subie.

Nord # Agroalimentaire # RSE # Investissement # PME