Pays de la Loire
Les brasseries artisanales montent en pression
Enquête Pays de la Loire # Industrie

Les brasseries artisanales montent en pression

S'abonner

En France, les bières artisanales ont le vent en poupe. Quatre nouvelles marques se créent chaque semaine dans l'Hexagone. En Pays de la Loire, on compte 125 brasseries. Sur ce marché en pleine ébullition, approche-t-on du trop-plein ? Alors que certains acteurs grossissent, d'autres disparaissent, sous la pression des coûts de production. Enquête.

Laurent Boiteau, Mélusine — Photo : David Pouilloux

En 2007, la France comptait deux cents brasseries. En 2023, le compteur en affiche près de 2 500, retrouvant le niveau de l’âge d’or de la bière en France au début du XXe siècle lorsqu'il existait près de 3 000 brasseries dans l’Hexagone. Rien que dans les Pays de la Loire, en 2022, 125 brasseries artisanales étaient recensées, pour 108 en 2021. "En 15 ans, le nombre de brasseries a été multiplié par dix, en France, et ce phénomène se poursuit avec une création de marque de bière tous les un à deux jours dans notre pays, explique Sonia Rigal, déléguée générale du SNBI (Syndicat national des brasseries indépendantes) et autrice de l’annuaire des brasseries artisanales et régionales, le Rigal de la bière. Et cette vague touche toute la France, bien au-delà des deux grandes régions brassicoles traditionnelles que sont le Grand Est et les Hauts-de-France."

Aujourd’hui, la France est le pays au monde qui compte le plus de brasseries par habitant, alors que notre pays est dernier de la classe européenne en termes de consommation avec 33 litres par an et par habitant, et quarante et unième au niveau mondial. Bien loin de nos voisins allemands avec 106 litres ou tchèques avec 146 litres. Ce paradoxe d’un pays créateur de marques tout en étant peu consommateur de breuvage houblonné, contient en lui un déséquilibre. "La France reste un pays de vin, note Laurent Boiteau, patron de Mélusine, l’une des plus belles réussites dans le domaine des bières artisanales, dont le siège et le site de production se trouvent en Vendée, à Chanverrie. Certes la France est passée de 31 à 33 litres consommés par habitant, mais en dix ans ! Ce n’est pas une croissance folle. Notre secteur est en train de se restructurer. Des nouvelles brasseries se créent, mais pas mal d’entre elles mettent la clé sous la porte. Pour moi, il y a aujourd’hui une offre de brasseries supérieure à la demande réelle."

Un moment de vérité

Derrière l’ébullition incontestable du secteur, les derniers chiffres donnent raison au dirigeant vendéen. Certes, l’année 2022 a vu naître 240 nouvelles marques de bières artisanales en France, mais, dans le même temps, une cinquantaine a jeté l’éponge, comme la Brasserie Charlotte, à Nantes, produisant pourtant des bières réputées. La bière artisanale goûterait-elle son premier moment de vérité ? "Il s’en crée plus qu’il n’en disparaît, relève Sonia Rigal. Mais il est vrai que beaucoup d’amateurs se sont dit que c’était sympa de faire de la bière locale, dans l’air du temps, et ils ont monté une brasserie. Mais il faut aussi être entrepreneur, penser à la commercialisation, à la distribution, au marketing et investir car le matériel est cher. Porter toutes ces casquettes n’est pas simple." Un signe ne trompe pas : sur le site du syndicat, sur la page dédiée aux petites annonces, Sonia Rigal note "une augmentation significative de la vente de matériel d’occasion".

Le contexte de l’inflation est également en partie responsable de fermetures qui s’ajoutent à un écrémage naturel. "Le verre a pris 60 % d’augmentation, relève Sonia Rigal. Or, le verre représente les deux tiers du coût de revient d’une bière." Avec l’augmentation du prix du malt, de l’énergie et du matériel en général, les acteurs les plus fragiles du secteur ont mis un genou à terre. "Il y a eu des hausses de prix colossales, et personne ne pouvait envisager un tel impact, relate la déléguée générale du SNBI qui compte 850 adhérents, parmi les 2 500 brasseurs français. Le monde de la brasserie a été touché de toute part, et c’est pour cette raison que nous avons écrit une lettre au gouvernement."

Ce courrier, en mai 2023, a alerté sur le gouvernement sur la gravité de la situation économique du secteur, mis sous pression. "Certains fournisseurs claironnent en annonçant des bénéfices en hausse, alors que la filière est étranglée par leur hausse de prix", s'insurge Sonia Rigal, qui défend les brasseries indépendantes, via notamment une plateforme d’achats groupés. Dans le viseur, le géant Verallia, troisième producteur mondial de bouteilles et d’emballages en verre, qui a annoncé en février dernier une hausse de 43 % de son bénéfice net en 2022, à 356 millions d’euros ! Une hausse, précise Verallia, permise par la "couverture des coûts de l’énergie, assortie de hausses régulières de ses tarifs." Un discours que brasseurs, cidriers et vignerons ont peu apprécié et qui est remonté jusqu’aux oreilles de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie.

Croissance et investissements

Sonia Rigal, déléguée générale du SNBI et autrice du Rigal de la bière, ouvrage de référence sur les brasseries artisanales — Photo : DR

Cet épisode de tourmente n’empêche pas certains acteurs de tirer leur épingle du jeu et de parier sur la croissance du secteur des bières de qualité. Le dirigeant de Mélusine vient ainsi d’investir dans une nouvelle chaîne d’enfûtage, qui permet de doubler le volume de passage en fût, avec une cadence de 120 fûts à l’heure. "C’est un million d’euros d’investissement, précise Laurent Boiteau. Nous avons également acheté pour 600 000 euros de fûts". La bonne santé de l’entreprise, et sa croissance, obligent même le dirigeant à un nouvel investissement. "Nous allons bâtir un nouveau bâtiment pour la logistique, entre 3 000 et 6 000 m2, pour concentrer la production sur le site historique, explique le patron vendéen dont les bières font notamment la joie des festivaliers du Hellfest ou de Poupet. C’est 3 à 4 millions d’euros d’investissement." Mélusine vient de doubler son chiffre d’affaires en deux ans à 7,5 millions d’euros, écoule 30 000 hectolitres de bières (15 bières différentes) et compte aujourd’hui une quarantaine de salariés.

Le boom des bières artisanales, à l’image du succès de Mélusine, est incontestable. Aux Etats-Unis, pays pionnier en la matière, la filière des "Craft Beers" ou bières d’atelier, occupe 15 % du marché de la bière et trace des perspectives encourageantes pour les acteurs de l’Hexagone. "Dans notre pays, la bière artisanale a pris des parts de marché au vin et aux bières industrielles, explique Sonia Rigal. Désormais, elle occupe environ 8 % du marché, en volume, et 10 % en valeur." Cet écart de prix est un fait : les bières artisanales sont plus chères que les bières industrielles, et cela s’explique par le dimensionnement des installations et aussi la qualité des produits intégrés dans les recettes. "Elles sont aussi meilleures, glisse Laurent Boiteau, qui utilise à 80 % du malt bio, donc plus cher que le malt conventionnel. Les gens font attention à ce qu’ils mangent et à ce qu’ils boivent. Ils mettent le prix à condition que ce soit bon." Il ajoute : "Mais la bière doit rester un produit populaire, à un prix accessible."

Ce discours est également tenu du côté du Cellier, en Loire-Atlantique, par Fabien Marzelière, dirigeant de la Brasserie Tête Haute. En 2022, ce brasseur a produit 3 000 hectolitres, franchit le million d’euros de chiffre d’affaires, et conclut l’année par une levée de fonds de deux millions d’euros. “En 2023, nous visons 4 500 hectolitres et environ 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires”, résume le dirigeant. Environ 50 % des volumes partent en fûts, pour des événements, bars, et festivals. Le reste est partagé entre les bouteilles en bio vendues via des épiceries et caves, et des bouteilles conventionnelles pour les grandes enseignes. “Notre objectif est de garder l’esprit populaire de la bière et donc d’être présents chez les grandes surfaces. Or, économiquement, nous ne pouvions pas nous positionner à la fois sur un tarif accessible, pour du bio, et en économie sociale. Des concessions étaient nécessaires. Après de longues discussions en interne, nous avons décidé de développer une bière conventionnelle pour la grande distribution, afin de conserver le volet social à un tarif accessible.” Fabien Marzelière le reconnaît : "notre ambition est d’être une sorte d’intermédiaire entre une brasserie artisanale et un producteur industriel.”

Le boom des produits locaux et artisanaux

La Piautre, brasserie angevine, bénéficie du boom de la consommation de produits régionaux et artisanaux — Photo : ©Lorraine Hellwig

La Fabrique des Bières d’Anjou, dans le Maine-et-Loire, propose, elle, La Piautre et toutes ses déclinaisons depuis 2004. Installé à La Ménitré avec 11 salariés, générant 1,7 million d’euros de chiffres d’affaires, Vincent Lelièvre fait partie des belles réussites du breuvage à l’amertume si appréciée en été. "L’essor de la bière artisanale participe d’un mouvement plus global de consommation de produits locaux et artisanaux, raconte le pionnier angevin. Depuis 5 à 10 ans, celui-ci a été renforcé par la volonté des bars, des magasins et des cavistes de proposer ce type de produits à leur clientèle. À la création de la Fabrique des Bières d’Anjou, ils n’étaient pas encore prêts à suivre. Parallèlement, on était aussi allé très loin avec les bières traditionnelles fabriquées industriellement et le consommateur avait la volonté de découvrir autre chose. Le goût différent a séduit de plus en plus de monde."

Pour Sonia Rigal, le marché propose "des bières pour tout le monde, pour tous les goûts. En France, il y a 15 ans, la bière était peu bue par les femmes. Aujourd’hui, chez les jeunes adultes en particulier, les femmes boivent de la bière parce qu’elles trouvent des bières qui leur plaisent. "Vendre un produit qui n’est pas bon n’a pas de sens, estime de son côté Laurent Boiteau. Les industriels font des bières sans défaut, mais qui ont peu de goût. Notre premier rôle, c’est de faire nettement mieux au niveau du goût." Bières aux fruits, aux épices, bières IPA avec beaucoup de houblons, bières fumées, bières de festival plus légères, les idées et la créativité des brasseurs indépendants font qu’ils ont séduit les consommateurs et qu’ils se sont ouvert les portes des GMS.

Stratégie nationale

Fabien Marzelière, dirigeant de la brasserie Tête Haute — Photo : Benjamin Robert

Franchir de nouvelles marches n’impressionne pas Tête Haute, qui se voit dorénavant à l’échelle nationale. Elle vise une nouvelle levée de fonds d’ici un an et demi, afin de financer ses futurs outils industriels et la construction d’un nouveau bâtiment de 3 000 m², à Nantes, dans le quartier de Doulon. “Les brasseries trop petites ont tendance aujourd’hui à stopper leurs activités ou à fusionner. Le métier nécessite une taille minimale sur le long terme”, remarque Fabien Marzelière. Ce nouveau lieu de production, qui devrait être opérationnel en 2025, permettra de multiplier environ par dix la production pour atteindre les 40 000 hectolitres à terme. “Nous sommes aujourd’hui présents dans le grand Ouest, et visons l’échelle nationale avec cette future structure”, ajoute le dirigeant. Témoin de cette explosion, un récent partenariat avec la chaîne de magasins Biocoop va permettre une première diffusion sur le territoire français.

Mélusine n’est pas en reste. Mais sa stratégie de développement est différente. Mélusine fait partie désormais d’un groupe, Newbeers, fondé en 2020 par Laurent Boiteau, qui a opéré deux croissances externes : acquisition de la brasserie Parisis, en 2020, en Seine-et-Marne, et La Brasserie Saint Germain/Page 24, en 2022, dans le Pas-de-Calais. "Nous avions deux stratégies possibles, explique Laurent Boiteau, à la tête du groupe Newbeers. Pousser la marque Mélusine au niveau national, et donc construire des brasseries encore plus grandes ici et expédier notre bière partout. Or, nous sommes tous en train de consommer local et plus raisonnable. L’essence de notre projet, c’est une autre stratégie : faire grandir des brasseries déjà implantées en région. Cela permet de travailler en synergie au niveau du marketing, des fournisseurs, de la communication." Le groupe pèse aujourd’hui plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, vise les 12 millions d'euros pour la fin de l’année et 18 millions d'euros pour 2027, avec une production de 75 000 hectolitres.

La filière du houblon français

Un brasseur artisanal est considéré comme tel lorsqu’il produit moins de 200 000 hectolitres par an. Les trois plus grands brasseurs européens écoulent en France autour de 6 millions d’hectolitres… "Dans le cahier des charges, un brasseur artisanal doit concevoir les recettes, produire lui-même ses bières et préciser où elles sont embouteillées", précise Sonia Rigal. Un autre élément qui monte en puissance relève du choix des matières premières : malt et houblon en tête. Outre le social qui voit la brasserie défendre l’insertion, Tête Haute mise sur l’approvisionnement local notamment pour son houblon. “Nous possédons notre propre houblonnière d’un hectare, cultivée en agriculture biologique. Celle-ci répond à environ 15 % de nos besoins actuels. Pour le reste, nous nous fournissons autour du Groupement d’intérêt économique et Environnemental (GIEE) du Grand Ouest, afin de conserver au maximum l’aspect local”, témoigne le dirigeant, qui voit la filière du houblon français se développer dans les années à venir (lire par ailleurs). “De nombreuses brasseries artisanales se sont créées ces dernières années, entraînant une demande de houblon local et biologique. Plusieurs maraîchers de la région se lancent aujourd’hui sur ce marché”, relate Fabien Marzelière. Du côté de Tête Haute, deux hectares accompagneront le futur site nantais en 2025. “L’ambition à terme est de posséder une dizaine d’hectares”, planifie le dirigeant.

La canette pour le haut de gamme

Arthur Audouin, à gauche, cofondateur de la brasserie Aerofab — Photo : David Pouilloux

Boisson populaire, la bière touche tout le monde, et certains acteurs visent la niche supérieure en termes de prix. Dès leur création en 2018, les deux associés d’Aerofab ont opté pour une bière haut de gamme, mais vendue en canette, loin d’être, à première vue, le contenant le plus prestigieux. "Nous étions la première brasserie artisanale française à revenir à ce format, analyse Arthur Audouin, cofondateur de la brasserie implantée à Couëron, en Loire-Atlantique. Nous réalisons des bières très houblonnées, avec entre 10 à 25 g/L de houblon. Or, ces arômes se dégradent à la lumière. Le verre, même opaque, ne protège pas entièrement". Il précise : "La bière en canette avait alors une mauvaise image contre laquelle nous avons dû faire beaucoup de pédagogie. D’autres brasseries se sont lancées depuis et cela a permis de rassurer les consommateurs”. En 2022, Aerofab, qui compte sept salariés, a produit 3 000 hectolitres pour un chiffre d’affaires de 1,4 million d’euros. “La moitié est vendue en fûts pour les bars, et l’autre moitié en canettes pour les caves”, précise le codirigeant. Un endroit où la bière côtoie désormais les meilleurs crus.

Encadré 1 : Les brasseurs, partenaires de la première heure pour Bout' à Bout'

L'équipe dirigeante de Bout' à Bout : Yann Priou (Directeur général), Célie Couché (Présidente de l’entreprise), Nicolas D’Aprigny (Directeur technique) — Photo : Bout à Bout

Tête Haute et Bout' à Bout' étaient destinés à collaborer. Le brasseur et la société spécialisée dans la consigne des bouteilles en verre ont grandi ensemble, en 2018-2019 au sein des Écossolies, un réseau d’acteurs de l’économie sociale et solidaire à Nantes. "Avec d’autres brasseries émergentes comme Les Brassés, à Nantes, ils ont essuyé les plâtres de nos premiers essais, avec parfois des problèmes de qualité, mais ils ne nous ont jamais lâchés", remercie Célie Couché, fondatrice et présidente de Bout' à Bout'. "Leur présence à nos côtés nous permet aujourd’hui d’atteindre une qualité suffisante dans nos processus de lavage pour nous tourner vers de plus gros acteurs".

Bout' à Bout' a, depuis, levé plus de 7 millions d’euros et bâtit sa première usine, qui permettra de laver 60 millions de bouteilles et bocaux par an. Malgré ce changement d’échelle, les brasseurs restent les clients privilégiés de la société, et représentent 50 des 95 producteurs engagés avec l’entreprise. "Les bouteilles de bière sont plus adaptées au réemploi que celles du vin, car les brasseurs utilisent pour beaucoup le même format. Nous avons seulement un travail sur les étiquettes à faire avec eux pour le décollage. Une étape rapide par rapport au secteur viticole, où nous devons discuter longuement pour mettre en place des standards dans les formats de bouteilles", relate Célie Couché. De plus, les bouteilles de bière reviennent plus facilement en circuit court dans l’usine de Bout' à Bout', car elles sont consommées dans la région et rapidement, alors que les bouteilles de vin partent en partie à l’export, ou sont conservées parfois dans la durée. Néanmoins, si les brasseurs sont des partenaires déjà dans les starting-blocks du réemploi, les autres acteurs du verre devront bien suivre. "Nous allons bientôt atteindre un rythme de croisière avec la filière brassicole, alors que nos marges de progression sont encore grandes sur les autres secteurs : le vin, les softs, le cidre, les limonades, le lait… À terme, la brasserie représenterait 10 % de nos activités en volume", précise la fondatrice.

Encadré 2 : Les producteurs de houblon sur la corde raide

Matthieu Cosson, le Champ du Houblon — Photo : DR

Matthieu Cosson est l’une des figures de proue du monde du houblon, en Pays de la Loire. Houblonnier à Villeneuve-en-Retz, près de Nantes, pionnier local, il est également président de l’association Houblon de l’Ouest. "Je produis entre 2 à 2 tonnes et demie de houblon sur mes quatre hectares, précise Matthieu Cosson qui a lancé son exploitation en 2018. Depuis le départ, certains brasseurs ont joué le jeu, comme les Brassés, Tête Haute, La Piautre ou les Coureurs de Lune, pour d’autres le houblon, bio, local, est un produit d’appel, mais les commandes ne suivent pas." Bref, au moment où la bière artisanale, locale, a le vent en poupe, des brasseurs se fournissent essentiellement aux Etats-Unis ou en Nouvelle-Zélande. "La différence de prix n’est pas si importante, et le houblon représente un coût marginal, note Matthieu Cosson. Au lieu d’utiliser 1 % de houblon local, il pourrait monter à 10 ou 20 %, cela nous garantirait des volumes. On doit pouvoir en vivre."

En Vendée, en 2020, les premières pousses de houblon ont fait leur apparition. Marie Migne est alors devenue la première productrice de houblon du département, après avoir lancé son exploitation, nommée Poppin’s Hop’s, en bio près de Montaigu en Loire-Atlantique, avec un hectare. Dès 2022, elle s’est agrandie pour atteindre les trois hectares. "En Alsace (département qui détient plus des deux tiers des surfaces de production du pays, NDLR), cette surface est souvent considérée comme la taille minimale pour atteindre le seuil de rentabilité", témoigne Marie Migne, qui visait dès le départ cet agrandissement. Elle emploie actuellement entre trois et quatre saisonniers pour s’occuper des 2 500 plants par hectare de l’exploitation, et vend principalement à des brasseries locales comme La Louette, basée aux Herbiers, ou encore Mélusine. Trois autres exploitations de houblon ont aujourd’hui poussé dans le département. "J’ai reçu au départ de nombreux appels de personnes qui souhaitaient se reconvertir. Certains se lancent, mais cela nécessite de nombreux investissements dans le matériel, la transformation du sol, et la culture", souligne Marie Migne. "C’est une culture particulière avec des outils spécifiques, ce qui oblige à investir sans pouvoir emprunter d’engins à l’agriculteur ou au maraîcher voisin". Afin de contrer cette solitude, les producteurs de Houblon de l’Ouest sont réunis depuis 2021 sous la forme d’un Groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE). "Cela nous permet d’échanger sur nos retours d’expériences. Certains brasseurs passent par ce groupement pour se fournir en houblon local".

Si la culture du houblon tend à se démocratiser, la marge de progression semble encore importante. "Une dérogation permet encore actuellement aux brasseurs de produire une bière classée bio, sans utiliser de houblon bio sous prétexte que la plante ne représente qu’une petite partie du volume de la bière", s’agace Marie Migne.

Encadré 3 : Le distributeur V and B fabrique aussi sa bière artisanale

Louis Grossard-Blanquet, dans la brasserie Mont Hardi du distributeur mayennais V and B — Photo : Rémi Hagel

Le concept V and B, c’est à la fois un bar et un magasin où l’on peut consommer et acheter de la bière ou du vin. Lancé il y a vingt ans par un duo, Jean-Pierre Derouet et Emmanuel Bouvet, le distributeur réalise un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros et 270 franchises sont présentes sur le territoire français, tandis que le siège se trouve à Château-Gontier, en Mayenne. L’émergence des bières locales n’a pas échappé à l’enseigne qui a vendu 235 000 hectolitres de bières en 2022, soit l'équivalent de 65 millions de bières de 33 cl. "C’est une tendance évidente, estime Emmanuel Dersoir, directeur délégué aux achats du groupe V and B. Tous les V and B proposent au moins une bière locale." Il ajoute : "En 20 ans, il y a eu une révolution. Le Français est devenu amateur de bière, plus spécialiste et épicurien, comme nous pouvons l’être pour le vin. Désormais, on retrouve des bières de qualité sur des tables étoilées." Depuis 5 ans, une brasserie, la Mont Hardi, a été créée au sein du groupe V and B, dans des locaux attenants au siège. "Nous sommes passés des bières de couleur (blonde, brune) à des bières plus houblonnées, de type API, rapporte Louis Grossard-Blanquet, responsable de la brasserie Mont Hardi à Château-Gontier. La brasserie a été créée parce que ces tendances émergeaient et qu’il n’existait pas de réponse à ces univers en interne."

"En tant que précurseur et leader du marché des caves-bars, il y avait toute légitimité à se mettre à produire, sachant que nous disposions de notre propre réseau de distribution, donc le risque financier était minime, reconnaît Emmanuel Dersoir. L’enjeu pour une brasserie n’est pas tant la production, très accessible, mais la capacité à la vendre. Par ailleurs, nous sommes sur de petites volumétries, 4 000 hectolitres, ce qui permet de répondre à des tendances de marché sans difficulté."

Aujourd’hui, la brasserie Mont Hardi de V and B produit cinq bières classiques, cinq bières craft, deux saisonnières et dix-sept bières éphémères orientées craft. "Le marché français est très demandeur de ces bières originales, de nouveauté, note Louis Grossard-Blanquet. Ce sont des produits de dégustation, comme un vin. Ainsi, nous avons expérimenté une bière au safran, avec de l’abricot pour le sublimer ".

Pays de la Loire # Industrie # Banque # Agroalimentaire # Commerce # Distribution