Coronavirus : la délicate équation des acteurs de l’agroalimentaire en Auvergne Rhône-Alpes
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Coronavirus : la délicate équation des acteurs de l’agroalimentaire en Auvergne Rhône-Alpes

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Alors que l’industrie agroalimentaire travaille d’arrache-pied pour éviter la pénurie de produits de première nécessité, d’autres acteurs du secteur, fabricants et distributeurs en tête, pâtissent des conséquences de la crise du coronavirus. Entre perte d’activité et relations parfois délicates avec la grande distribution, les acteurs d'Auvergne Rhône-Alpes composent pour traverser la tempête sans trop de casse.

Les commandes en légumes secs et céréales pour la grande et moyenne surface ont plus que doublé en mars pour l'entreprise Sabarot permettant de compenser les pertes de revenus constatées pour la restauration hors foyers — Photo : DR

En première ligne pour assurer l’approvisionnement en denrées alimentaires du pays, les entreprises du secteur agroalimentaire ne baissent pas la garde. L’industrie agroalimentaire serait, d’après l’Insee, le secteur le moins affecté par la crise liée à l’épidémie de coronavirus. Pourtant, alors que les consommateurs dévalisent les grandes surfaces, les producteurs et fabricants régionaux du secteur ne sont pas épargnés. Loin de là.

À l’instar de la mobilisation des chocolatiers régionaux qui s’adaptent pour ne pas rater le coche en cette période clé de Pâques, le nougatier montilien (Drôme) Chabert & Guillot (CA 2019 : 23 M€ ; 160 salariés), a un peu hésité à poursuivre l’activité. « Nous sommes dans le spectre de l’alimentaire mais sommes-nous vraiment de première nécessité ?, s’est interrogée au début de la crise Marie-Claude Stoffel, directrice générale déléguée. En réalité, si les consommateurs se précipitent sur le lait, les œufs ou les pâtes, ils n’oublient pas pour autant de se faire plaisir ».

Le stock de nougat étant pour l’heure suffisant, la production s’est pour l’instant arrêtée. En revanche la production de pâte de nougat pour les industriels se poursuit de manière dégradée. « Le segment de la GMS (grande et moyenne surface, NDLR) continue de fonctionner même si les détaillants sédentaires se sont pour l’essentiel arrêtés », justifie-t-elle.

« C’était un atout puisque nous n’étions pas dépendants d’un gros canal de vente. Cette force d’hier est une faiblesse aujourd’hui. »

Diversité des canaux de distribution

Du côté des fabricants de produits de première nécessité, les situations sont parfois beaucoup plus tendues. « Nous rencontrons tous les cas de figure », déplore Hervé Kratiroff, patron lyonnais du groupe régional Solexia (CA 2019 : 86,7 M€ ; 374 salariés ; 10 entreprises) qui détient sept entreprises dans l’agroalimentaire.

Au sein de son groupe, le pôle Volaille – constitué de Vey (CA 2019 : 7,8 M€ ; 46 salariés), Sedivol (CA 2019 : 5,6 M€ ; 34 salariés) et Allier Volailles (CA 2019 : 14,2 M€ ; 78 salariés) – s’en sort grâce à des « canaux de distribution classiques et équilibrés malgré l’arrêt de la restauration ».
Les produits frais en revanche connaissent une chute d’activité brutale. La société Salaisons du Val d’Allier (CA 2019 : 16,7 M€ ; 47 salariés) a perdu 95 % de son activité avec l’interdiction des marchés et des foires, son principal canal de vente. Pour la Maison Chillet, l’activité saucissons a diminué de moitié, tout comme celle des jus de fruits Bissardon (CA 2019 : 7,5 M€ ; 22 salariés).

« La hausse de l’activité en GMS compensera la perte qu’on subit sur ce segment et le grand export pour le mois d’avril »

Près de la moitié de l’activité générale du groupe devrait être impactée au mois d’avril, selon le dirigeant qui s’interroge aussi sur le modèle de distribution idéal. « La société Salaisons du Val d’Allier distribue auprès d’une multitude de petits clients, c’était un atout puisque nous n’étions pas dépendants d’un gros canal de vente. Cette force d’hier est une faiblesse aujourd’hui », note Hervé Kratiroff.

Même situation disparate constatée par Antoine Wassner à la tête de Sabarot (CA 2019 : 56 M€ ; 150 salariés), spécialiste des légumes secs, céréales, graines, champignons et escargots en Haute-Loire. « Les commandes en légumes secs et céréales pour la grande et moyenne surface ont plus que doublé sur la deuxième quinzaine de mars, les ventes continuent d’être extrêmement soutenues », assure le dirigeant. En revanche, le food service (restauration hors foyer, NDLR) qui réalise habituellement jusqu’à 20 % de son activité sur ce segment est « à l’arrêt ». « La hausse de l’activité en GMS compensera la perte qu’on subit sur ce segment et le grand export pour le mois d’avril », espère-t-il.

Restaurants fermés : une chute vertigineuse

De fait, la fermeture des restaurants mi-mars a fragilisé toute la chaîne amont des fournisseurs. Fabricants et grossistes pâtissent de l’arrêt complet de la restauration individuelle et collective.

Ainsi, ce distributeur de la région, qui réalise plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffres d’affaires majoritairement auprès des restaurants, a perdu 75 % de son activité. « Notre trésorerie nous permet de tenir pour payer les traites et les salaires, mais elle fond très vite. D’autant que certains de nos clients ont déjà suspendu leurs règlements. On va se maintenir avec un chiffre d’affaires de 20 à 25 % en attendant la réouverture de nos clients et en faisant jouer les dispositifs existants », fait savoir ce patron, qui a souhaité garder l’anonymat. Le ralentissement des administrations l’a aussi poussé à suspendre un gros investissement immobilier le temps de sortir de cette mauvaise passe. « Si les mesures de restrictions s’arrêtent fin avril, on parviendra à maîtriser la casse, mais si cela dure une ou deux semaines de plus, on va au-devant de plus gros problèmes. Quels clients restera-t-il après la crise ? », s’interroge-t-il, par ailleurs.

Pour le charcutier lyonnais Provol & Lachenal (CA 2019 : 7,5 M€ ; 23 salariés) qui travaille avec les grossistes pour la restauration hors foyers, la chute est vertigineuse : « 90 % de l’activité est déjà perdue », fait savoir Michel Nigay, qui a racheté Drôme Salaisons (CA 2019 : 2M€ ; 12 salariés) en début d’année. Par chance, la société drômoise, moins dépendante de la restauration, parvient à maintenir un niveau d’activité de l’ordre de 60 %.

« Certains distributeurs exercent une forte pression pour avoir des promotions à l’occasion de Pâques »

Le double-jeu des distributeurs

La crise réveille aussi des velléités de certains partenaires de distribution, plus délicates à gérer. « Nous sommes en pleine négociation avec nos distributeurs pour les fêtes de fin d’année. Dans la mesure où les taux d’écoulement des produits sont bien plus mauvais qu’auparavant, le spectre de ces mauvais résultats pèse sur nos discussions », explique Marie-Claude Stoffel. Une pression qui vire dans certains cas au chantage. « Certains distributeurs exercent une forte pression pour avoir des promotions à l’occasion de Pâques afin que l’on reste référencé et disponible dans leur catalogue ». Un coup de billard à anticiper pour assurer une continuité de l’activité après la crise.

Mais ces relations parfois déséquilibrées répondent avant tout à des mécanismes commerciaux prenant en référence les chiffres de ventes de l’année précédente. « Les mauvais chiffres de cette année auront une répercussion l’an prochain », déplore la dirigeante.

Quand le chantage n’est pas de mise, ce sont les pratiques ordinaires de la grande distribution qui ont des conséquences concrètes sur les entreprises. « La grande distribution préfère s’approvisionner auprès de ses plateformes d’achats régionales, ce qui a des effets directs pour les fournisseurs de produits régionaux qui sont oubliés », raille Michel Nigay, prenant l’exemple des drives – en pleine explosion pendant le confinement – et qui référencent moins souvent les petits fabricants locaux.

Mais l’espoir que la crise pourrait aussi apporter « du mieux » demeure. « Nous ne pourrons pas continuer comme avant », veulent-ils croire. « Des acheteurs nous disent qu’après, il faudrait établir un meilleur référencement des produits régionaux. », partage Michel Nigay. Marie-Claude Stoffel retient quant à elle l’élan de solidarité né de cette situation : « La période est compliquée mais, dans l’ensemble, le secteur fait preuve de davantage de solidarité et d’humanité ». Un avis partagé aussi par le patron de Solexia : « De l’équarrisseur aux clients, toute la chaîne joue le jeu ».

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