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Coronavirus : en attendant la reprise, les restaurateurs lyonnais se réinventent
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Coronavirus : en attendant la reprise, les restaurateurs lyonnais se réinventent

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Lyon, capitale de la gastronomie, retient son souffle. Entre Rhône et Saône, le "vrai" déconfinement n’interviendra qu’avec l’ouverture des bouchons, bistrots et restaurants. Mais dans quelles conditions les chefs prévoient-ils de servir ? Va-t-on assister à une mue de la profession ? Contraints de limiter leurs capacités d’accueil en salle, les restaurateurs se soumettront-ils à la vente de plats à emporter ? De la Rue Neuve à la colline de la Croix Rousse en passant par Gerland et le 6e arrondissement lyonnais, témoignages de chefs dans les starting-blocks.

Claire Brillet, Franck Delhoum, Floriant Rémont et Mai Delhoum, les fondateurs du restaurant lyonnais "Le Bistrot du Potager" en 2010 — Photo : Ben Berzerker

Comme un athlète avant le top départ. Les restaurateurs lyonnais, contraints de fermer leurs établissements mi-mars, trépignent d’impatience… Mais tous ou presque redoutent le moment où ils rouvriront la porte de leurs restaurants. C’est le cas de Christophe Marguin, le président de la célèbre association lyonnaise Les Toques Blanches qui rassemble 115 adhérents. Celui qui a cédé son restaurant familial de Miribel, dans l'Ain, il y a trois ans pour reprendre "Le Président", établissement de 40 couverts dans le 6° arrondissement de Lyon (10 salariés, CA 2019 : 780 000 €) oscille entre inquiétude et impatience.

Le dirigeant a contracté un prêt garanti par l’État (PGE) à hauteur d’un quart de son dernier chiffre d’affaires. « Beaucoup de confrères ont fait comme moi, avec l’espoir de ne pas avoir besoin de tout dépenser afin de rembourser rapidement à taux zéro », indique-t-il. Prudent, il garde l’argent au frais. « Et je conseille aux adhérents de faire pareil, glisse-t-il. Pourquoi dépenser 4 000 euros en masques alors qu’on ne sait pas encore s’ils seront obligatoires ? »

Des mesures sanitaires contraignantes

Franck Delhoum, à la tête de quatre restaurants lyonnais, ne voit pas les choses ainsi. Dans ses établissements (deux enseignes "Le Bistrot du Potager", le bouchon "La Meunière" et un emplacement au Food Traboule de la Tour Rose), les achats se font au fil de l'eau pour éviter la pénurie. La perspective d’ouvrir "Le Bistrot du Potager" est une source d’angoisse pour lui. De 70 couverts, il devrait passer à 25. Et de dérouler en un souffle la longue liste de problématiques auxquelles il lui faudra répondre d’ici là. « Mettre en place la distanciation en cuisine, réduire les effectifs en salle, rassurer les clients sur l’hygiène des verres, assiettes et couverts, remplacer les détergents antibactériens par du virucide, élargir les créneaux pour s’adapter aux horaires des bureaux qui ne sortiront plus tous à midi, et décaler le temps de travail des équipes pour éviter trop de personnel dans les vestiaires… ». La litanie des contraintes est sans fin.

Heureusement, les idées sont là : actionner une clochette tous les quarts d’heure pour chorégraphier un lavage de mains des serveurs devant les clients, proposer des couverts dans leurs emballages, annoncer le menu à voix haute… « Ce ne sera pas super glamour, mais c’est le prix à payer pour donner confiance. Les clients nous paraissent à la fois très inquiets face à ce virus tout en ayant très envie de retrouver la chaleur d’un restaurant », se rassure Franck Delhoum.

De restaurateur à traiteur

Avec ses trois associés, et sans mobiliser les salariés (44 au total pour un CA consolidé de près de 4,5 M€), il cuisine depuis le 8 mai des plats à emporter depuis son restaurant de Gerland. « C’était une façon de se revoir, de refaire des projets et de partager nos idées », justifie-t-il. Depuis quelques jours, il apprend « un nouveau métier » : la vente à emporter n’a pas beaucoup à voir avec le service en salle, il faut proposer des recettes qui se réchauffent. « C’est presque davantage un travail de traiteur que de restaurateur », admet le chef.

« Le samedi 14 mars fut l’une des soirées les plus dingues, comme une fin du monde »

Sur sa colline de la Croix Rousse, Franck Blanc, débonnaire patron du restaurant "Le Canut et les Gones" depuis 26 ans, affiche un moral d’acier. Pour lui, pas de « prise de tête ». Il travaille avec un laboratoire d’hygiène qui l’a rassuré sur les process déjà en œuvre. Sans salaire depuis le confinement, avec un petit mois d’encours dans les caisses, il estime que le prêt garanti par l'État va lui permettre de repartir sans licencier. « J’ai fait le point avec mon expert-comptable, qui est d’ailleurs passé le samedi 14 mars. Ce fut l’une des soirées les plus dingues, comme une fin du monde. Les clients partageaient les bouteilles, l’un s’est offert un Richerbourg (grand vin de Bourgogne à 700 euros, NDLR), on est resté ouvert jusqu’à 2 heures du matin… ». Depuis quelques jours, lui aussi propose de la vente à emporter et met « des bons plats dans des petites boîtes ». Pas facile car il faut acheter des contenants, produire plus de déchets. La démarche est un peu contre-nature pour lui.

Réinventer le bouchon « à emporter »

« Il faut imaginer le restaurant de demain », commente Camille Carlier, consultante en communication spécialisée dans l’accompagnement des chefs restaurateurs. Et la plupart de ses clients restaurateurs franchissent le pas sans hésitation. « Mais la situation n’est évidemment pas homogène. Cela dépend de la situation du restaurant, en centre-ville ou pas. Et il faut aussi repenser l’offre, la simplifier, réfléchir au mode de distribution » avance-t-elle. La consultante conseille Franck Delhoum mais aussi Joseph Viola, patron du bouchon lyonnais "Daniel et Denise". Comme "La Mère Brazier", un autre bouchon lyonnais très connu, il s'est lui aussi converti à la vente à emporter. Désormais le pâté en croûte au foie gras et ris de veau, le paleron de bœuf confit ou la mousseline de carottes se dégustent à la maison dans des boîtes en carton.

Camille Carlier fait le pari d’une tendance pérenne. « On ne sait pas si les écoles fonctionneront normalement en septembre, alors les restaurants… ». Et de citer à l’autre bout de la région l’initiative de Jean Sulpice, le chef doublement étoilé au Guide Michelin et Cuisinier de l’année Gault & Millau. À la tête de "L’Auberge du Père Bise" à Talloires-Montmin (Haute-Savoie), il a été le premier chef étoilé à se lancer dans cette aventure du plat à emporter.

« On ne pourra pas garder tout le monde »

Dès le 20 mai, les 12 restaurateurs ou artisans de Food Traboule proposeront à leur tour une livraison express. Passage obligé pour cet établissement de la Tour Rose, au cœur du Vieux Lyon, dont la capacité d’accueil va mécaniquement passer de 300 à 100 couverts. Et un sacré pari pour les fondateurs Tabata et Ludovic Mey, chefs étoilés du restaurant lyonnais "Les Apothicaires". Le "food court" Food Traboule enregistrait 1 200 couverts par jour quelques semaines après l’ouverture en février, avec des pointes à 2 000 couverts le samedi.

À l’écoute des 115 adhérents des Toques Blanches, Christophe Marguin se montre prudent face à la tendance du « click & collect », qu’il estime « aléatoire et coûteux ». En attendant d’en savoir plus - la date de réouverture des cafés-restaurants sera fixée dans la semaine du 25 mai, avec réouverture possible le 2 juin a indiqué Edouard Philippe - le chef redoute les conséquences de la reprise sur l’emploi. « Pour l’heure, tous nos salariés perçoivent le chômage partiel. Mais quand on va recommencer, avec moins de clients et un chiffre d’affaires en conséquence, on ne pourra pas garder tout le monde », alerte-t-il.

Pour Franck Blanc, le doute n’est pas permis. « Cet été, les gens n’iront pas en concert, pas au théâtre ni au cinéma, ils auront envie de convivialité et reviendront dans les restaurants », promet-il avec le sourire et beaucoup d’espoir.

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