Comment les Toques Blanches veulent booster Lyon

Comment les Toques Blanches veulent booster Lyon

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L'association imaginée il y a 80 ans par quelques copains est entrée dans une nouvelle ère. Puissance d'attraction, lobbying, marketing territorial... elle revendique un rôle croissant quant à la manière dont se façonne l'attractivité gastronomique du territoire.
— Photo : Le Journal des Entreprises

Piloter une association comme une PME. Telle est la méthode du chef Christophe Marguin, président des Toques Blanches, de 2006 à 2011 et de nouveau depuis 2014 jusqu'en 2018. En un mandat et demi, l'homme qui dirige son propre établissement dans l'Ain (CA : 800k€ 10 salariés) a réussi son pari : fédérer les chefs restaurateurs derrière le célèbre blason consacrant le bien-vivre à la lyonnaise. Un symbole à fort capital de sympathie qu'il a réussi à monétiser et qu'il s'apprête à régionaliser. Comment ? D'abord en rassemblant de vraies personnalités, par nature peu enclines à travailler pour le pot commun. Mais il a réussi ! Au total, 116 établissements, du petit bouchon lyonnais à l'établissement trois étoiles (Anne-Sophie Pic, Paul Bocuse, Georges Blanc...). Du bouchon réalisant 200K€ de chiffres d'affaires à 4,5 M€ pour les plus gradés, ils arborent tous de plus en plus fièrement le logo à la porte de leurs établissements. Christophe Marguin ne pratique pas de sport collectif mais il a pourtant su instaurer un esprit rugby dans l'association, dont le chiffre d'affaires consolidé de ses membres pèse plus de 40 M€ pour 2.000 salariés. « Pour fédérer, il faut parfois taper du poing sur la table. Avec nous, ça se passe comme ça, on gueule un peu en cuisine mais quand on franchit la porte, c'est fini ».




200k€ de partenariats

À son actif dernièrement, l'organisation avec l'Institut de formation Paul Bocuse des 80 ans des Toques Blanches, en juin dernier au Sucre. Plus de 520 convives étaient invités, pour un dîner de gala concocté par le chef Emmanuel Renaut (Flocons de Sel à Megève - Haute Savoie ; 3* au Michelin) un futur adhérent. Mais les méthodes de Marguin peuvent parfois déplaire. Parmi les sponsors de l'association qui compte la marque DS, le champagne Mumm, la Maison Chapoutier, Châteaux et Domaines Castel, le matériel Kenwood figure aussi la marque Brake France, un des principaux fournisseurs de matière première pour les établissements de restauration, qui ne véhicule pas forcément une image très qualitative. Certains grincent des dents en voyant adossée la marque à leur prestigieuse association. Las, Christophe Marguin n'en a cure. « L'intelligentsia, et notamment la presse spécialisée, attaque cette marque. Or elle dispose de gammes de plusieurs milliers de produits. Nous, en tant que restaurateurs, nous intéressons à leur gamme de crémerie et produits de luxe. Et nouer un partenariat avec Brake France ne nous empêche pas de faire appel à des artisans locaux comme L'Huilerie beaujolaise, la Charcuterie Sibilia, les fromages de Renée Richard » rétorque le chef. « Les Toques blanches ont monté un comité pour aider le groupe à développer certaines de leurs gammes spécifiques. Brake France a besoin d'améliorer son image et on l'aide » assume le Président.



Guide Michelin vs Toques Blanches ?
Mis bout à bout ces partenariats rapportent gros. Au total 200K€ de sponsoring pour financer, dans le désordre, la refonte du site internet, la présence sur les réseaux sociaux, la déclinaison du logo, l'édition d'un annuaire anglais-français des 116 restaurants du réseau et le dîner des 80 ans... Lancements de nouveaux produits en présence ? et la caution ? d'un "Toqué", organisation d'un cocktail pour un événement corporate, les membres répondent présents. En se faisant parfois rémunérer, comme l'indique Christophe Roure le chef du 9e Art (2* au Michelin) qui a réalisé cinq prestations en 2 ans. « Pour notre établissement la référence reste le Guide Michelin mais localement l'association bénéficie d'une excellente image de marque. Elle a vraiment progressé grâce à des réseaux de plus en plus puissants » souligne celui qui a quitté la Loire pour Lyon il y a deux ans. Un avocat, M° Gutton, se charge de rédiger tous les contrats de sponsoring et les actes engageant l'image de l'association ou de ses membres. Une assistante à mi-temps, hébergée dans l'établissement de Christophe Marguin, réceptionne au moins 40 demandes d'intervention par an.




Clientèle d'épicuriens

C'est l'effet Christophe Marguin. Ce n'est pas la seule révolution dans cette petite association. Son nouvel enjeu : élargir géographiquement le cercle des membres. « Auparavant, le nombre d'adhérents était limité à cent. Sur les conseils de Monsieur Paul (Bocuse, NDLR) on a fait sauter le verrou. Désormais, je cherche à attirer des chefs restaurateurs ». Dans le viseur, l'Auvergnat Serge Vieira, 2* au Michelin, mais aussi Jean Sulpice à Val Thorens ou encore Emmanuel Renaut à Megève. L'homme souhaite également que les autres métiers de bouche, et pas seulement les cuisiniers, puissent adhérer, comme le font déjà les pâtissiers Philippe Bernachon et Sébastien Bouillet (Maison Bouillet, CA 2015 : 3,5 M€). « Ce qui me plaît, indique ce dernier, c'est que ce réseau véhicule les valeurs de Lyon. Porter ce label est pour moi une fierté ». Même point de vue pour le chef de La Régate Cédric Sachet (La Régate, Lyon 6º, 8 salariés, 550k€) qui a rejoint l'association il y a un an. « Depuis ma clientèle a changé, plus épicurienne, davantage éduquée culinairement, cela me permet de monter en gamme en utilisant des produits de luxe ». Christophe Marguin aspire à aller plus loin. En attirant dans son sillage les métiers connexes, tels que la coutellerie d'Auvergne par exemple. « Mon plan c'est de réussir à fédérer les autres départements de la région » explique-t-il, soulignant qu'« alors que Jean-Jack Queyranne ne nous a jamais reçus, Laurent Wauquiez a compris rapidement l'intérêt qu'il y aurait à amener dans ses délégations à l'étranger un représentant de la filière gastronomique. C'est une grande reconnaissance et une formidable avancée pour nous ». À Lyon également, Gérard Collomb s'est laissé séduire par cette bande de bons vivants très favorables à la Cité de la Gastronomie (lire ci-dessous). « En 2012, le Maire avait décliné le projet de faire partie des villes de la Gastronomie. Heureusement on a réussi à lui faire changer d'avis. Si la Cité de la Gastronomie voit le jour, je peux dire que c'est grâce à notre intervention », souligne Christophe Marguin.