L'hydrogène suscite de fortes attentes tout autant qu'il reste une énergie encore difficile à appréhender pour les entreprises. C'est le constat qu'a fait Alain Garrouy, président de Lucie, le club des entreprises de Coulaines et Saint-Pavace (55 membres), lors d'une soirée d’information le 2 juin au cours de laquelle treize chefs d’entreprise ont rencontré les principaux acteurs du dossier Eco H2 Le Mans Sarthe, projet d'implantation d'un site de production local d'hydrogène vert au moyen de la biomasse agricole.
Résultat : un faible enthousiasme de la part des dirigeants de PME. "Nous restons dans l'expectative. Nous avons des attentes de court terme, alors qu'il s'agit d'un dossier de long terme, analyse Alain Garrouy. Nous nous situons en aval en tant que consommateurs potentiels mais nous ne voyons pas d'application pour nous aujourd'hui."
Première production attendue fin 2023
Pourtant, depuis fin 2019, Le Mans engage d'importants efforts pour se positionner sur l’hydrogène : une réflexion poussée par Le Mans Métropole et l’Automobile Club de l’Ouest (ACO, organisateur de la course des 24 heures du Mans), avec initialement l’investissement dans une voiture prototype H24, une station de ravitaillement, et un bus pour la Ville. D’ici un an, la collectivité prévoit d’acheter neuf bus supplémentaires ainsi que six camions-bennes à ordures ménagères. L’hydrogène de la station est produit par l'entreprise nantaise Lhyfe.
L’étape suivante consiste à produire de l’hydrogène en Sarthe. Deux projets en cours doivent y parvenir. Celui de Qairos Energies consiste à produire de l’hydrogène par pyrogazéification du chanvre. Les travaux sur le site de Trangé sont prévus pour 2023, avec un début de production espéré pour fin 2023-début 2024. L’autre source de production sera un système d’électrolyse de l’eau à partir de l’incinérateur de déchets de la métropole. Le délai évoqué est 2025. La puissance dégagée sera d’un ou deux mégawatts. Les porteurs du dossier établiront leur choix en fonction des besoins, qui restent à quantifier. "Nous devons comprendre les usages attendus pour calibrer l’électrolyseur", décrit Yann Fauconnier, chargé de mission Plan Climat au Pays du Mans. L’unité de Qairos sera adaptable à la demande (le méthane produit peut être injecté dans le réseau), au contraire de l’incinérateur. Mettre en place un écosystème nécessite d’avancer simultanément les pions de la production, de la distribution et des usages. "Notre travail consiste à réussir à coordonner les acteurs", expose Yann Fauconnier.
Un fort potentiel, à concrétiser
Dans la filière, certaines entreprises sont déjà positionnées, tel PowiDian, fabricant de véhicules, et E4V, producteur de batteries. Mais sur les usages, on en reste à des supputations. "Le cœur de cible sont les entreprises de transport et de logistique, le train. Par exemple, la ligne Alençon-Le Mans-Tours n’est pas électrifiée. L’hydrogène sera l’une des solutions", plaide Yann Fauconnier. Côté transporteurs, Stef ou les transports Chabas (qui possèdent des sites en Sarthe), et Delanchy (installé en Mayenne), commencent à tester l’hydrogène. L’agglomération compte des logisticiens tels Socamaine, Carrefour Logidis, voire des industriels agroalimentaires comme Yoplait, des entreprises "dont le potentiel de consommation avec des chariots élévateurs est important". Yann Fauconnier imagine aussi que des entreprises de livraison avec des véhicules utilitaires se montreront concernées par la zone à faibles émissions qui interdira l’accès aux véhicules polluants dans douze métropoles françaises, dès le mois de juillet. Toutefois, ce ne sont encore que des utilisateurs potentiels. Rien de concret n’est engagé à ce jour.
Entrepreneurs frileux
Malgré ces incertitudes, les pions avancent. En témoigne la visite de la commissaire européenne Mariya Gabriel le 31 mars pour découvrir les projets de l’ACO. En témoigneront également les acteurs réunis le 8 juin au Symposium Hydrogène, au Mans, dont plusieurs entreprises : E-Neo, Lhyfe, CMAR, Hyvia, etc. A travers les collectivités locales et le Conseil régional, "différentes aides existent pour accompagner les entreprises", rappelle Yann Fauconnier. La formation n’est pas ignorée : autre acteur de la filière, le groupe Comeca participe aussi à un projet de chaire régionale d’application industrielle avec l’Université de Nantes.