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Idrogénia : "Nous serons un laboratoire d’idées et un acteur de Private Equity dédié à l’hydrogène"
Interview Nancy # Production et distribution d'énergie # Innovation

Christophe Hecker dirigeant d’Idrogénia "Nous serons un laboratoire d’idées et un acteur de Private Equity dédié à l’hydrogène"

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Le groupe nancéien Mentor vient de lancer un nouveau département dédié au secteur de l’hydrogène, Idrogénia. À la manœuvre, Christophe Hecker, qui va commencer par identifier les "champions de demain" avant de financer leur développement.

Christophe Hecker est le dirigeant du nouveau département dédié à l’hydrogène au sein du groupe Mentor — Photo : SLI - Etienne LIST - Groupe Mentor

Comment avez-vous réussi à convaincre le président du groupe Mentor (CA : 260 M€ ; 1 400 salariés), Benoît Michaux, de créer un département consacré à l’hydrogène au sein du groupe ?

Deux événements m’ont convaincu qu’il y avait dans l’hydrogène une thématique d’investissement pour le groupe Mentor. D’abord, la signature de l’Inflation Reduction Act, aux États-Unis, qui fait déferler des centaines de milliards de dollars de subventions en faveur de l’industrie des énergies propres. Puis la découverte en Lorraine d’un gisement d’hydrogène blanc. C’est une découverte symbolique, parce qu’il faudra beaucoup de temps avant que ce gisement puisse être exploité, car il y a toute une filière à bâtir. Mais le signal est intéressant et l’histoire pourrait, potentiellement, être magnifique : les anciens bassins miniers lorrains qui pourraient retrouver une seconde vie. Dans le cadre de mes missions pour Cairus, un cabinet de fusion-acquisition qui est aussi une filiale du groupe Mentor, j’ai été amené à côtoyer Benoît Michaux. Au mois de juin, j’ai eu une discussion informelle avec lui, puis nous nous sommes revus trois ou quatre fois et la décision a été prise rapidement de lancer Idrogénia. Je lui ai proposé ce développement, parce que je savais que des dirigeants comme Benoît Michaux et ses fils ne pouvaient pas être insensibles au sujet de l’énergie. De plus, le groupe Mentor est toujours à la recherche de thématiques d’avenir. Sur le long terme, je suis convaincu que l’hydrogène sera la future thématique du groupe.

Comment est structuré Idrogénia, ce nouveau département au sein du groupe ? Comment allez-vous travailler sur ce vaste sujet de l’hydrogène ?

Aujourd’hui, Idrogénia est une marque déposée par le groupe Mentor. Demain, ce sera une société à part entière. Nous avons deux axes de travail qui sont aussi deux phases en termes de chronologie. La première phase, c’est de rentrer dans l’écosystème de l’hydrogène, de rencontrer un maximum d’acteurs, de créer notre réseau. Et de profiter de cette phase d’observation et de veille pour identifier les champions de demain dans la chaîne de valeur de l’hydrogène. Cette première phase va durer entre un an et 18 mois. À l’issue de cette phase, l’idée est d’investir. Premièrement, avec le groupe Mentor directement, qui investira dans des structures à travers Idrogénia. Et la deuxième idée, c’est de créer un fonds d’investissement. Lorsque le groupe Mentor commencera à investir dans ce secteur, d’autres investisseurs voudront peut-être y aller, et l’idée est de fournir à ces gens-là à la fois le véhicule, donc le fonds d’investissement, et toutes les connaissances sur lesquelles nous auront capitalisées. Donc, Idrogénia sera un laboratoire d’idées et un acteur de Private Equity dédié à l’hydrogène.

Vous allez donc adresser un spectre très large de projets, notamment pour le financement. Est-ce un grand écart délicat ?

Les perspectives sont monumentales dans le domaine. Notre envie n’est pas de tout faire, mais de devenir un acteur de référence dans le domaine de l’hydrogène. Aujourd’hui, il y a des très gros fonds d’investissement qui existent sur l’hydrogène. Le fonds Hy24, créé à Paris, a levé 2 milliards d’euros et va investir plutôt dans des entreprises structurées ou des gros projets d’infrastructures. Nous voulons faire un peu la même chose, mais à notre échelle, en nous concentrant sur l’amorçage. C’est très stimulant d’identifier aujourd’hui les champions de demain.

La chaîne de valeur dans l’énergie en général, et dans l’hydrogène en particulier, est très longue. Quels types de projets ciblez-vous ?

Dans le pétrole et le gaz, la chaîne de valeur commence avec celui qui creuse le trou jusqu’au transporteur qui livre le particulier en fioul. Demain, ce sera la même chose dans l’hydrogène. Entre le premier et le dernier, il y a toute une myriade d’acteurs. Aux États-Unis par exemple, dans l’industrie du pétrole, la taille moyenne des entreprises, c’est 11 salariés. On a tendance à réduire le secteur du pétrole aux majors pétrolières, mais c’est très atomisé, il y a beaucoup de petits acteurs et dans l’hydrogène, ce sera exactement pareil. Donc l’idée, c’est de ne rien s’interdire, de s’intéresser aussi bien à l’amont qu’à l’aval. Par contre, nous voulons identifier les entreprises quand elles sont vraiment à leur genèse, les trouver lorsqu’elles ont besoin de lever leurs premiers fonds. Rentrer dans des entreprises qui sont déjà fortement valorisées ne va pas nous intéresser.

Comment la filière hydrogène peut-elle démarrer ? Faut-il commencer par des projets de consommation ou assurer une production ?

C’est le sujet autour de l’hydrogène partout dans le monde quel sera le point de départ qui permettra de structurer la filière. Pour cela, il faut de la demande. Aujourd’hui, nous sommes absolument certains que l’industrie va réussir à produire de l’hydrogène dans des proportions économiques raisonnables. Le levier que nous pourrons activer, c’est de donner des idées du point de vue de la demande. La première idée, c’est de réaliser une étude, en s’appuyant sur des spécialistes, qui nous permettra de démontrer à des gros industriels comment ajouter la brique hydrogène dans leur consommation d’énergie, techniquement et économiquement. J’ai rencontré un cabinet d’études basé à Paris et à Montréal, spécialisé sur ce sujet. Ce cabinet porte ce projet depuis longtemps et c’est vraisemblablement un projet dans lequel nous pourrions investir.

Et la mobilité ? Est-ce un bon moyen de susciter la demande ?

Il y a encore 2 ou 3 ans, on pensait beaucoup à la voiture à hydrogène. Aujourd’hui, on sait que ce sera secondaire. Par contre, la mobilité lourde est un vrai sujet. Mais la mobilité viendra après la décarbonation de l’industrie. L’enjeu est clairement là : réussir à décarboner l’industrie en adressant dans un premier temps les industries fortement consommatrices que sont les aciéries, la sidérurgie ou encore les cimenteries. Nous devons réussir à leur démontrer qu’il y a réellement un modèle avec l’hydrogène. Il est d’ailleurs probable qu’une régulation soit mise en place pour les inciter.

Selon vous, le législateur sera-t-il amené à contraindre les industriels à basculer vers l’hydrogène ?

À mon avis, les choses pourraient se faire de la manière suivante. D’abord, démontrer qu’économiquement, l’hydrogène peut se substituer, par exemple, au gaz, à des coûts compétitifs. Si ce n’est pas le cas, il faudra mettre en place une incitation financière pour permettre aux industriels de se fournir en hydrogène plutôt qu’en gaz. Et derrière, le législateur n’aura pas d’autres choix que la contrainte. Sinon, l’objectif de la neutralité carbone en 2050 n’est pas tenable.

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