Coronavirus : en Alsace, une chaîne se met en place pour produire du gel hydroalcoolique
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Coronavirus : en Alsace, une chaîne se met en place pour produire du gel hydroalcoolique

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La propagation de l'épidémie de coronavirus a révélé un manque criant de matériel de protection pour le milieu hospitalier et de disponibilité en gels hydroalcooliques. Pour parer à l'urgence, d'un bout à l'autre de la chaîne de fabrication, pourvoyeurs de matière première et industriels répondent à l'appel. En parallèle, une plateforme nationale vient d'être lancée pour mettre en relation les fabricants et clients professionnels.

— Photo : © Distillerie Meyer

Depuis le début de la crise sanitaire engendrée par la propagation du coronavirus, le monde médical tire la sonnette d’alarme quant aux besoins en matériels de protection et de gels hydroalcooliques. En Alsace, d’un bout à l’autre de la chaîne de production, des initiatives se sont mises en place pour être en mesure de fournir en urgence des solutions hydroalcooliques aux hôpitaux, aux pharmacies ou encore aux Ehpad.
Une plateforme réservée aux professionnels vient par ailleurs d’être lancée pour mettre en relation les fabricants et les clients de gels hydroalcooliques. Soutenue par le gouvernement, celle-ci a pour objectif de favoriser la rencontre entre les fabricants de gels, les fournisseurs de matières premières et des réseaux de logistique et de distribution.
La matière première entrant dans la composition des gels hydroalcooliques aux propriétés biocides est l’alcool éthylique ou éthanol. La production de cet alcool est issue de la biomasse telle que la betterave à sucre, le blé fourrager ou le maïs. Si en Alsace, ces cultures ne sont pas les plus représentées, pour répondre aux premiers besoins les plus urgents en matière première, des producteurs agricoles se sont mobilisés.

Les distilleries vinicoles parent à l’urgence

C’est ainsi le cas de distilleries comme la distillerie Meyer à Hohwart dans le Bas-Rhin (CA HT : 2,5 M€ ; 15 salariés). Dirigé par deux frères, Lionel et Arnaud Meyer, l’établissement a fourni 1 200 litres d’alcool aux hôpitaux et pharmacies de Colmar et de Strasbourg. « Notre société est fermée puisque nous n’avons plus accès à nos clients distributeurs. Nous avons donc fait spontanément un point sur nos stocks. Nous avons vidé notre cuve de 1 200 litres de matière première d’alcool neutre rectifié entrant dans la composition de nos liqueurs. Il s’agit d’une matière première que nous commandons car nous ne disposons pas de colonne pour rectifier l’alcool », détaille Lionel Meyer, qui a livré lui-même, par bidons de 20 à 30 litres, les établissements de santé de la région après s’être assuré de cette faisabilité auprès du service des douanes.

« Les distilleries viti et vinicoles répondent à une demande inédite. Ce n’est pas notre cœur de métier, nous répondons à une urgence »

À Sigolsheim dans le Haut-Rhin, Erwin Brouard, directeur général de la distillerie Romann (CA : 3,5 M€ ; 20 collaborateurs) a mis son site à l’arrêt au cours de la première semaine de confinement. Cette même semaine, la distillerie, qui appartient au groupe Grap’Sud (50 M€ de CA ; 250 collaborateurs), a cependant reçu 3 000 litres d’alcool neutre à 96°, utilisable pour la réalisation de gel hydroalcoolique, en provenant de Perpignan depuis une des distilleries du groupe. Une partie de ses équipes a donc été mobilisée pour le conditionnement en bidons de 5 et 20 litres pour les pharmacies alsaciennes.

Cette semaine du 23 mars, la distillerie devait recevoir une livraison de 4 000 litres pour poursuivre cette chaîne de solidarité. Erwin Brouard souligne cependant que « les distilleries viti- et vinicoles répondent à une demande inédite. Ce n’est pas notre cœur de métier comme c’est le cas pour la production betteravière, par exemple. Nous répondons à une urgence et à un problème local de réactivité en attendant que les acteurs dont c’est la spécialité se mettent en route ».

Les grandes distilleries Peureux (CA 2019 : 21 M€ ; 90 collaborateurs), implantées dans le département de la Haute-Saône, sont propriétaires de la distillerie Massenez à Dieffenbach-au-Val dans le Bas-Rhin. Pour répondre à l’urgence sanitaire, le groupe a choisi de consacrer, sur son site de Fougerolles (70), une de ses lignes de production à la fabrication et au conditionnement de solutions hydroalcooliques. Là encore, si la distillerie vinicole n’est pas en mesure de produire sa propre matière première en termes d’alcool neutre à 96 °, celle-ci a décidé de puiser dans ses stocks. « L’arrêté du 13 mars 2020 autorise les établissements de fabrication de produits biocides à produire du gel hydroalcoolique en suivant la formulation préconisée par l’OMS. Nous avons ainsi commencé la production des solutions dans les strictes règles pour apporter une aide ponctuelle dans cette situation exceptionnelle. Nous avons une capacité de production de 10 000 à 15 000 litres par semaine et nous avons planifié la production de 50 000 à 60 000 litres de solution hydroalcoolique pendant trois à quatre semaines distribuées aux hôpitaux en Franche-Comté et en Alsace », indique Bernard Baud, président des distilleries Peureux. Les gels sont conditionnés sur place en format d’un litre en format PET. « Ces formats sont habituellement destinés à la gastronomie et aux grands chefs qui utilisent nos liqueurs dans leurs préparations. Par chance, nous avions refait nos stocks de matières premières après Noël », précise le dirigeant, qui compte également sur toute une chaîne de production allant du fabricant d’étiquettes à l’imprimeur. Industries à prendre en compte, par ricochet, dans les activités nécessaires au fonctionnement de la Nation.

La pharmaceutique et la cosmétique mises à contribution

Dans le maillon de la chaîne de production des gels, les distilleries viticoles du Grand Est ont paré à l’urgence en se transformant, à titre exceptionnel, en pourvoyeurs de matière première. Les industriels pharmaceutiques de la région réorientent quant à eux leur production initiale pour fabriquer des gels. Tout comme Boiron dans le Rhône ou Lehning en Lorraine, c’est le cas par exemple de l’entreprise Weleda France (380 collaborateurs, CA 2019 : 90 millions d’euros), connue principalement pour ses produits cosmétiques.

Le groupe dispose d’un site de production de médicaments homéopathiques à Huningue dans le Haut-Rhin. Identifié par la Direction générale de la santé, le site a reçu des demandes pour produire du gel hydroalcoolique. Selon le directeur général et pharmacien responsable de Weleda, Jean-Yves Saffroy, « Weleda n’est pas réquisitionné au sens strict du terme mais au nom de nos valeurs, nous répondons bien évidemment à l’appel à production de gel hydroalcoolique ». Weleda a commencé la production de gel hydroalcoolique la semaine du 23 mars et devait fournir 400 premiers flacons à l’Établissement français du sang et 400 litres à l’Agence régionale de santé Grand Est.

Le site, qui dispose d’un stock de médicaments homéopathiques, cesse sa production de médicaments pour se consacrer à la production de gel. Une production dont les règles de fabrication sont encadrées mais ne demandent pas de formation particulière pour les techniciens de production. De plus, le site dispose déjà des équipements nécessaires à la fabrication de ces gels. Habituellement, le site de production compte une équipe de 50 personnes. Actuellement, celui-ci tourne avec 50 % des effectifs.
L’usine strasbourgeoise Cosmeurop, en passe d’intégrer le groupe L’Oréal suite à la cession, par Clarins, des parfums Azzaro et Mugler fabriqués à Strasbourg, confirme elle aussi organiser ses installations afin de conditionner du gel hydroalcoolique pour les remettre à l’Agence régionale de santé.

À deux pas de là, dans le parc d’innovation d’Illkirch-Graffenstaden, la medtech Biosynex (34,2 millions d’euros, 180 collaborateurs), spécialisée dans le développement et la conception de tests de dépistage rapide des maladies infectieuses, relance une ligne de remplissage de gel hydroalcoolique. « Cette ligne avait été utilisée pour conditionner des flacons de solutions hydroalcooliques au sein de Biosynex. Mais nous l’avions arrêtée car la demande était saisonnière et par à-coups en périodes d’épidémies grippales. Avec cette ligne, nous sommes en mesure d’embouteiller jusqu’à 100 000 flacons en deux semaines pour les pharmacies et peut-être dans un second temps pour les grandes surfaces, à condition que les matières premières soient approvisionnées », souligne Larry Abensur, PDG de Biosynex.

La medtech, qui sera livrée par un fournisseur, pourrait être en mesure de travailler sur sa propre formule qui devra être cependant déposée. « Pour une nouvelle formule de gel hydroalcoolique, comme c’est un biocide, c’est une procédure qui comporte une étude toxicologique et un dépôt d’une autorisation de mise sur le marché. Nous pouvons le faire mais j’imagine qu’il nous faut un mois », avance prudemment Larry Abensur.

Des ressources inattendues

À l’annonce du confinement, Steve Risch, PDG de l’entreprise Fortwenger (90 collaborateurs, CA 2019 : 20 M€), producteur de pains d’épices et de bredele, a suspendu ses lignes de production à Gertwiller (67) et à Ensisheim (68). Avec des sites à l’arrêt, le dirigeant a lui-même distribué auprès de l’hôpital Pasteur de Colmar et de la maison de retraite de Barr les équipements de protection comme les gants, masques, charlottes et gel hydroalcoolique dont l’entreprise disposait pour sa production initiale.

Plus surprenant, Steve Risch a été sollicité « pour de la glycérine. Une pharmacie en avait besoin pour réaliser du gel hydroalcoolique. Je ne m’attendais pas à recevoir une demande pour ce produit mais Fortwenger dispose de 800 litres pour ses préparations culinaires. Avec cette quantité, 10 000 litres de gel hydroalcoolique peuvent être fabriqués », précise le dirigeant.

L’industriel s’est volontiers plié à la demande. Cependant, après avoir livré lui-même les équipements de protection, celui-ci a préféré se rapprocher des collectivités pour alerter sur la nécessité d’organiser une collecte et une distribution coordonnées. « Le don de matériel est certes parti d’un élan individuel mais nous ne devons pas aller à l’encontre de notre santé en poursuivant nous-même les livraisons. Ce n’est plus le rôle d’un chef d’entreprise ». Et l’appel semble avoir été entendu. En effet, le Conseil départemental du Bas-Rhin, en coordination avec l’Adira, l’Agence de développement économique d’Alsace, lance une plateforme dédiée aux entreprises pour recenser la collecte de tout matériel de protection ensuite distribué aux corps médical et soignant. Le Conseil départemental du Haut-Rhin communique quant à lui l’adresse email ouverte par l’Agence régionale de santé pour recenser les masques disponibles dans le département : @email

Les pharmacies universitaires participent à l’effort

Les pharmaciens de la pharmacie à usage intérieur des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) supervisent la production de gel hydroalcoolique au sein de l’usine-école EASE sur le campus universitaire à Illkirch. Des lots de 500 litres pouvant aller jusqu’à 1 000 litres par jour peuvent être réalisés. Une vingtaine d’étudiants de cinquième année de la Faculté de pharmacie et des enseignants sont volontaires pour réaliser ces solutions. L’Université de Strasbourg précise que « délivrée par l’Agence régionale de santé mardi 17 mars, cette autorisation temporaire et exceptionnelle est à mettre en œuvre uniquement dans les cas avérés de difficulté d’approvisionnement auprès des fournisseurs. La production sera destinée aux HUS, ainsi qu’à l’Institut de cancérologie de Strasbourg ».

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