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Comment la métropole de Lyon veut redonner une place à l'agriculture
Enquête Rhône # Agriculture # Politique économique

Comment la métropole de Lyon veut redonner une place à l'agriculture

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La crise sanitaire a mis en lumière l’engouement pour une alimentation de qualité et de proximité. Pourtant 95 % du contenu des assiettes provient d’un rayon de plus de 50 km autour de Lyon selon les calculs de la Métropole. Un comble pour la capitale de la gastronomie. Alors pour augmenter l’autonomie alimentaire et prendre le chemin d’une consommation plus locale, les collectivités et les entreprises s’organisent.

Paul Maréchal, maraîcher bio à Rillieux-la-Pape dans le Rhône, a doublé son chiffre d’affaires en circuit court depuis la pandémie — Photo : Maréchal Fraîcheur

Depuis la pandémie, Paul Maréchal, maraîcher bio à Rillieux-la-Pape, au nord de Lyon, a doublé le chiffre d’affaires de son activité de livraison de paniers en circuit court. "Pendant le premier confinement, la population s’est tournée massivement vers le local pour s’approvisionner". Cinquième génération de maraîcher, Paul Maréchal a rejoint il y a 11 ans l’exploitation familiale de 60 salariés et une trentaine de saisonniers, en apportant un vent de nouveauté. Une conversion en bio d’abord puis, pour répondre à l’explosion de la demande, création de la plateforme de vente en ligne "Maréchal Fraîcheur", qui alimente aujourd’hui 50 % des 8,5 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Comme lui, 4 000 exploitants professionnels sont installés dans le Rhône, dont 350 sur le territoire de la métropole : 40 % de viticulteurs, 30 % d’éleveurs et 30 % d’arboriculteurs et de maraîchers. Or, selon les chiffres de Lyon Métropole, 95 % des produits agricoles sont exportés, générant ainsi 1,2 million de tonnes de CO2. Une aberration dans le viseur des élus écologistes de la Métropole qui ont annoncé fin août 2021 un budget de 10 millions d’euros pour développer l’agriculture locale et bio. Pour y parvenir, ils comptent sur la commande publique avec un objectif de 100 % de bio et 50 % de local dans les 25 000 repas distribués chaque jour dans les 81 collèges métropolitains.

Sécuriser du foncier

"Pour augmenter la part de local dans l’assiette, il faut d’abord sécuriser du foncier car, sans terres, on ne peut pas cultiver. Ensuite, il faut redonner envie aux agriculteurs, car c’est un métier essentiel", rappelle Cécile Crozat, directrice de la chambre de l’agriculture du Rhône. Qui indique qu’un hectare de terre agricole disparaît chaque jour depuis dix ans sur le département tandis que le nombre d’agriculteurs a chuté de 44 % en vingt ans. Déjà propriétaire de 300 hectares sur les 1 100 hectares d’espaces agricoles, la Métropole veut dépenser deux millions d’euros pour acheter plus de mètres carrés à cultiver.

Et pour inciter "une nouvelle génération d’agriculteurs" à s’y installer, Jérémy Camus, vice-président à la Métropole en charge de l’agriculture, de l’alimentation et de la résilience du territoire, projette la création d’un incubateur de paysans. "L’idée serait de cibler des profils d’agriculteurs qui n’ont pas d’opportunités de reprise de terrains sur notre territoire, de les former durant un à trois ans puis de leur mettre à disposition du foncier agricole", déroule-t-il. Cet espace test, qui devrait voir le jour à Vaulx-en-Velin fin 2022, serait en fait la première pierre d’une future régie agricole pour approvisionner la restauration collective en légumes locaux et bio. "Dans deux ou trois ans idéalement, nous aimerions voir les premiers maraîchers incubés devenir salariés de cette régie", poursuit Jérémy Camus.

Créer de nouvelles filières agricoles

Élargir les surfaces agricoles d’un côté, mais aussi optimiser les terres déjà cultivées de l’autre en aidant les producteurs à mettre en place de nouvelles filières. "Nous travaillons avec cinq céréaliers pour les orienter vers la production de lentilles en interculture (période située entre la récolte d'une culture principale et le semis de la culture suivante, NDLR)", indique Jérémy Camus. Selon lui, une dizaine de tonnes de lentilles "made in Lyon" iraient déjà directement dans les assiettes des collégiens.

Réintroduire la culture des légumineuses localement, l’idée a aussi germé dans la tête de Benoît Plisson et Emmanuel Brehier, les cofondateurs d’Hari & Co qui propose des plats cuisinés à base de protéines végétales. Créée en 2016, la société d’une vingtaine de salariés partage son activité entre la restauration collective (60 %) et la grande distribution (40 %). Afin de se sourcer au plus près de son site de production dans la Drôme, Hari & Co a en 2020 lancé sa propre filière de légumineuses dans la région Auvergne Rhône-Alpes. Grâce à une campagne de financement participatif de 15 000 euros, l’entreprise forme dix agriculteurs propriétaires de 70 hectares de terres, pour la plupart des céréaliers, à la culture du pois chiche et de la lentille verte. La première récolte qui a eu lieu en août devrait fournir 20 % des besoins de l’entreprise.

Des lentilles aujourd’hui et peut-être des melons demain. À Charly, au sud ouest de Lyon, le Centre de Ressources de Botanique Appliquée (CRBA) collecte et teste les variétés qui s’adapteront au changement climatique et nourriront les futures générations de Lyonnais. Parmi les 4 000 variétés conservées, des espèces lointaines, comme le melon ou la pastèque du Caucase, débusqués dans des zones où les températures peuvent atteindre 52 °C, mais aussi des semences anciennes qui poussaient jadis dans la région lyonnaise comme le piment de Bresse, la courge romaine de l’Ain, ou le haricot beurre nain des Mont d'or. "C’est difficile à croire mais toutes les villes de la Vallée de la chimie étaient autrefois le grenier agricole de Lyon, il y avait des légumes à Pierre-Bénite, des fruits à Solaize et des céréales à Feyzin", explique Sabrina Novak, la directrice adjointe du CRBA. Dès le printemps 2022, elle et son équipe espèrent planter les premiers semis dans une ferme semencière pilote qui sélectionnera des semences mieux adaptées aux bouleversements climatiques, riches en nutriments et capables d’être produites sans intrants demain à grande échelle sur le territoire.

Le défi de la logistique

Cultiver localement, produire mieux, fournir plus… Reste la question de l’approvisionnement. "Pour optimiser la distribution, il faut centraliser les flux et mutualiser la chaîne d’approvisionnement en amont", propose Jérémy Camus. À Brignais, au sud-ouest de Lyon, la coopérative Bio A Pro vend 60 % de ses produits, à 100 % bio et à 90 % locaux, à la restauration collective. "Ce qui nous différencie d’un grossiste, c’est la rémunération des 200 agriculteurs qui nous fournissent. Nous fixons chaque année avec eux le prix et les volumes que l’on s’engage à payer", détaille Maurice Deffrennes, l’un des dix salariés. La société, créée il y a 11 ans par une quarantaine de producteurs, devrait réaliser un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros en 2021, en croissance de 15 % depuis la pandémie.

Pour approvisionner les Lyonnais, Paul Maréchal, lui, a choisi le circuit court. Pour cela il a investi un million d’euros dans un bâtiment inauguré en avril 2021 et entièrement dédié au stockage et conditionnement, dans lequel il a installé un frigo équipé d’un digicode pour permettre à ses clients de venir chercher leur panier sur place, jusqu’à 22 heures.

Au cœur de la capitale des Gaules, Anaïs Duraffourg et Jean Bordereau ont créé en mars 2020 la Laiterie de Lyon. Cette laiterie urbaine fabrique à la Guillotière des fromages et yaourts qu’elle vend à des crémeries épiceries et particuliers avec l’objectif de réintroduire le savoir-faire des crémiers fromagers en ville et de produire au plus près de ses clients. Non loin de là, dans le quartier Confluence, la jeune entreprise OuiCompost et ses sept collaborateurs récupèrent les restes alimentaires et déchets végétaux à vélo auprès des restaurants, supermarchés, fleuristes et entreprises lyonnaises, pour les transformer en compost. Elle vise cette année la valorisation de 200 tonnes de déchets. Dans le même esprit, la start-up lyonnaise Reus’eat a choisi de s’attaquer aux restes de l’industrie brassicole, en collectant des drêches, ces résidus de céréales issus de la fabrication de la bière, pour les transformer en couverts compostables. Les cofondateurs Marie Nagy et Armand Ferro viennent de lancer la commercialisation. Ils espèrent réaliser cette année un premier chiffre d’affaires de 50 000 euros.

Quel bilan tirer de ce foisonnement d’idées ? Il existe une volonté politique forte de la puissance publique et une multiplication des initiatives entrepreneuriales. Lyon est-elle pour autant en train d’inventer un nouveau modèle ? Une certitude, la Cité priorise depuis 2020 des secteurs économiques dont l’objet sert avant tout la préservation de l’environnement et le bien-être immédiat de ses habitants.

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