Pourquoi Rhône-Alpes s'impose comme le vivier français des start-up de l'outdoor
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Pourquoi Rhône-Alpes s'impose comme le vivier français des start-up de l'outdoor

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Leader français de la filière des sports de plein air, ou sport "outdoor", l’ex-région Rhône-Alpes fourmille de start-up friandes de s'arroger une part de ce vaste marché. Un dynamisme entrepreneurial qui s’appuie sur un écosystème particulièrement favorable.

La région Auvergne Rhône-Alpes, haut-lieu de pratique des sports d'hiver, abrite un vivier de jeunes entreprises positionnées sur le marché des activités de plein air — Photo : Dylan Ginet

En Auvergne Rhône-Alpes, les start-up des sports de plein air, ou "outdoor", fleurissent comme une prairie d’altitude en été. Ces jeunes pousses bénéficient du terreau fertile de la région qui caracole en deuxième position, juste derrière l’Île-de-France, dans le classement des territoires français disposant d’incubateurs et accélérateurs de start-up. "Dès la création de l’entreprise, nous avons intégré Incubagem, l’incubateur de Grenoble École de Management où nous étions étudiants", évoque Benoit Prigent, cofondateur de Lokki, un outil de gestion en ligne pour les professionnels de la location d’équipements outdoor. "Puis nous avons été accompagnés par l’incubateur parisien Station F en 2019, et enfin par Moove Lab, l’incubateur de la mobilité basé également à Paris, depuis novembre 2021."

Créée à Grenoble par trois étudiants, la start-up Lokki, qui a déjà réalisé une première levée de fonds de 500 000 euros en mars 2021 et prépare plus de 30 recrutements d’ici fin 2022, a bénéficié d’ateliers thématiques, de mentorat et de diverses expertises. Un peu plus loin, à Chamonix (Haute-Savoie), Tim MacLean et Xavier Bougouin, cofondateurs en 2017 de Whympr, une application mobile communautaire dédiée à la montagne, ont cumulé les récompenses : lauréate du concours du Cluster Montagne, de la CCI Auvergne-Rhône-Alpes, du réseau Entreprendre Haute-Savoie ou encore du Big Booster, la jeune pousse a rapidement intégré l’accélérateur d’Outdoor Sports Valley (OSV), installé à Annecy (Savoie). "OSV nous a apporté une aide financière, un accompagnement dans notre projet et un réseau", confirme Tim MacLean, désormais PDG de la SAS Pahada, née de l’alliance récente entre Whympr et Iphigénie, une appli née en 2010 autour de la cartographie numérique.

Rhône-Alpes, haut lieu européen de la filière outdoor

Et l’on peut égrener les exemples tant le territoire rhônalpin se révèle fertile en initiatives entrepreneuriales liées aux activités de pleine nature. Comment ne pas citer celles qui sont devenues de véritables fleurons de l’outdoor comme Picture Organic Clothing, Hoka One One, Samaya ou Snowleader ? La plupart de ces success stories repose notamment sur le soutien d’un écosystème particulièrement dynamique. "La région d’Annecy est le berceau de l’industrie outdoor. Ici, se sont historiquement développées de grosses entreprises du secteur, à l’image de Salomon, Millet, Fusalp ou TSL, et un écosystème s’est déployé avec la présence de distributeurs, de sièges et de filiales de groupes étrangers", indique Benjamin Thaller, directeur exécutif d’Outdoor Sports Valley. L’association OSV est d’ailleurs née en 2010 de la volonté des entreprises locales de valoriser, fédérer et promouvoir la filière avec, parmi ses objectifs, l’encouragement à la création de nouvelles entités. Devenue référence de l’outdoor en France et à l’international, OSV est la plus importante structure européenne du secteur en nombre d’adhérents (547 adhérents) et la deuxième au monde derrière l’américain Outdoor Industry Association en termes de budget, de nombre de salariés (16) et d’adhérents. D’autres groupes œuvrent cependant sur le Vieux Continent pour le développement de la filière, à l’image de l’European Outdoor Group, du Scandinavian Outdoor Group, de l’Outdoor Industry Association UK ou encore de l’Italian Outdoor Group. Mais aucun d’eux n’atteint l’ampleur du cluster rhônalpin, qui représente quelque 8 000 emplois et 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulés.

Un vivier de talents passionnés et de pratiquants

Le foisonnement de start-up s’appuie aussi sur un pool de compétences diversifiées issues de 22 000 entreprises industrielles tournées vers l’innovation et l’international. "Nul besoin d’aller à Paris, nous avons toutes les expertises à proximité", confirme Tim MacLean. "Lorsqu’on est entrepreneur, on ressent ici un enthousiasme à tous les niveaux et un certain état d’esprit, étroitement lié à un environnement propice à la pratique des activités outdoor."

Grâce à la proximité des lieux de pratique, le territoire est un véritable vivier de talents et de sportifs. "De nombreux étudiants choisissent Grenoble parce qu’ils s’adonnent à une activité de montagne", confirme Julie Coddet-Fillet, chef de projet Incubagem, l’incubateur de Grenoble École de Management. "Ayant choisi les Alpes pour assouvir leur passion sportive, les jeunes entrepreneurs orientent assez naturellement leur projet vers l’outdoor." Le pays rhônalpin s’avère attractif en tant que lieu de vie, mais aussi en tant que destination touristique – et ce d’autant plus depuis la crise sanitaire qui a marqué un net engouement des Français pour les activités de plein air et les grands espaces naturels. Les Alpes sont donc un terrain d’expérimentation et de distribution de proximité pour les entrepreneurs.

Une forte culture de l’entrepreneuriat

Pour Nico Didry, maître de conférences à la faculté d’économie de l’Université Grenoble Alpes (UGA), spécialiste de marketing et d’événementiel sportif, "la dynamique entrepreneuriale sur le territoire s’explique également par la culture de l’entrepreneuriat et de l’innovation mise en place à l’université. Les jeunes diplômés sont incités à créer leur structure, donc leur emploi."

Pépite oZer, la structure d’accompagnement de l’UGA créée en 2015, propose aux étudiants entrepreneurs de bénéficier des conseils de tuteurs, d’assister à des formations et des séminaires, d’accéder à des espaces de coworking ou encore d’intégrer des réseaux de jeunes entrepreneurs. Ce Pôle étudiant pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat (dit "PEPITE"), labellisé par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en 2020, suit cette année 135 étudiants dans leur projet entrepreneurial.

La réussite fulgurante de Lokki, qui en moins de deux ans a décroché des contrats avec Decathlon, Picture Organic Clothing, Sport 2000, Skiset et plus de 500 points de location, est elle aussi liée à l’accompagnement proposé aux diplômés par Incubagem. Loin d’être concurrent de Pépite oZer, l’incubateur se révèle complémentaire. Chaque session de suivi de six mois, renouvelable trois fois, compte en moyenne une cinquantaine d’initiatives sélectionnées. "Nous cultivons chez les jeunes l’appétence pour l’innovation, la réflexion et les projets, non seulement grâce à notre incubateur mais aussi grâce à des concours et des journées dédiées aux start-up", indique Julie Coddet-Fillet. "Inspirés par les grandes entreprises présentes dans l’agglomération comme Poma, Petzl, et Rossignol, 30 à 40 % des 400 incubés suivis depuis 2010 portent un projet lié à l’outdoor." La force du territoire en matière d’entrepreneuriat tient donc aussi à un volontarisme de l’enseignement supérieur, soucieux d’entretenir un esprit d’initiative et d’innovation chez les étudiants.

L’évolution écoresponsable de la filière

"Il y a eu une réelle volonté politique de soutenir et valoriser l’économie de l’outdoor autour d’Annecy, mais aussi de structurer cette filière pour la création d’entreprise", estime Thomas Rouault, fondateur de Snowleader (45 M€ de chiffre d’affaires en 2021), mastodonte de la vente en ligne d’équipements pour les sports en extérieur basé à Chavanod (Haute-Savoie). "La Haute-Savoie est désormais identifiée comme un lieu important pour la création d’entreprise. Un cercle vertueux s’est mis en place. Beaucoup d’entrepreneurs veulent s’installer sur le territoire pour profiter d’un réseau et d’un écosystème uniques en France."

Mais bien que la région Auvergne Rhône-Alpes soit leader en France pour l’industrie du sport et qu’elle possède le plus grand nombre d’entreprises de l’outdoor au kilomètre carré, "le but du cluster Outdoor Sports Valley n’est pas de peser sur le marché, mais d’accompagner et de développer l’outdoor dans une direction vertueuse", tempère son directeur exécutif Benjamin Thaller. "Les jeunes pousses régénèrent le tissu, participent à la dynamique du secteur et contribuent à une dynamique collective." Chaque année, le cluster annecien – qui a constitué depuis plusieurs années un véritable réseau avec des antennes à Grenoble, Chambéry, Chamonix et Voiron – accompagne une vingtaine de porteurs de projet dont le taux de survie fait rêver : 80 % des structures existent encore après trois ans. À Incubagem, ce taux se révèle inférieur (60 % des start-up subsistent après trois ans d’existence) mais demeure plus que satisfaisant.

Benjamin Thaller estime que le rôle de la plus importante association européenne de la filière est de "permettre l’émergence de nouveaux acteurs qui vont s’appuyer sur le réseau actuel." Parmi les critères de sélection des projets accompagnés par OSV, le caractère durable figure en bonne place. "Le développement durable est généralement inscrit dans l’ADN des start-up que nous suivons. Au-delà de nos actions d’accompagnement et de développement de la filière outdoor, nous avons le sentiment de remplir notre mission en contribuant à la construction d’un modèle porteur d’avenir. L’outdoor a indéniablement un rôle à jouer dans la transformation économique actuelle", estime le directeur. Au Cluster Montagne, qui fédère et accompagne les experts français de l'aménagement touristique en montagne, le développement durable est également l’un des critères de sélection des projets, confirmant la volonté du secteur de s’inscrire dans une logique d’économie soutenable et responsable.

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