Une page se tourne pour la Coopérative Les Maîtres Laitiers du Cotentin, qui depuis sa naissance en 1977, n’a connu que deux présidents : Édouard Ambroise, et Christophe Levavasseur. Ce dernier, après vingt-deux années à la tête de la structure, a passé la main à Valérie Blandin, une agricultrice manchoise de 41 ans, le 6 septembre 2022. Un passage de témoin mouvementé dans un contexte difficile d’inflation. "Une première dans ce monde masculin de la filière Lait en France qui n’a jamais eu de femme à la présidence", note Christophe Levavasseur, qui, à 61 ans, a souhaité prendre sa retraite et vendre sa ferme. Entrée au conseil d’administration de l’entreprise en 2017, Valérie Blandin était vice-présidente déléguée depuis octobre 2020. Agricultrice depuis 2012 à Sainte-Mère-Eglise, elle est à la tête d’une exploitation de 150 hectares, forte de 120 vaches laitières.
Retour au chiffre d’affaires d’avant-covid
Quatrième employeur du Cotentin avec 5 235 salariés, le groupe Les Maîtres Laitiers du Cotentin rassemble trois entités toutes rattachées au terroir d’origine (la maison mère est restée à Sottevast dans la Manche depuis sa création) : la coopérative Les Maîtres Laitiers du Cotentin, le réseau de distribution France Frais (129 plateformes dans toute la France), la holding industrielle Evoling, créée en 2016. Cette dernière comporte deux entités industrielles : la Fromagerie Réo dans la Manche, ainsi que la société Yéo à Toulouse. Un modèle économique unique et indépendant, qui a démontré une nouvelle fois "sa résilience et sa stabilité pendant la crise" selon l’ancien président. Après une baisse de 18 % de son chiffre d’affaires en 2020-2021 (clôturé au 31 mars), le Groupe revient à son chiffre d’affaires d’avant-Covid avec 1,968 milliard d’euros de chiffre d’affaires et un résultat net de 19,4 millions d’euros. "Après avoir traversé trois années très difficiles, c’est déjà une belle performance d’avoir résisté et réussi à sortir de tels résultats. Le Groupe MLC dispose heureusement d’une organisation coopérative qui permet d’optimiser la valeur ajoutée pour améliorer la rémunération de nos sociétaires", reconnaît Valérie Blandin. Si la collecte laitière est en hausse de 2 %, avec 471 millions de litres collectés, la progression semble néanmoins stoppée depuis avril 2022 et ce, pour la première fois depuis la création de l’entreprise : "La sécheresse y est pour beaucoup mais aussi en raison de l’augmentation des coûts de production subie par les agriculteurs, parmi lesquelles la hausse des prix de l’alimentation du bétail. C’est une réelle source d’inquiétude."
Hausse "affolante" du coût du gaz
Toutefois, de nouvelles inquiétudes apparaissent. "Notre Groupe est une nouvelle fois mis à l’épreuve, avec les surcoûts qui pèsent sur les exploitations laitières mais aussi sur notre pôle industriel. Les inflations successives tant sur le plan de la matière première laitière, que des énergies ou des emballages, associées aux difficultés d’approvisionnement des composants tels que les cartons, les plastiques, et les matières premières agricoles et industrielles, à des niveaux jamais vus, pèsent lourdement sur les équilibres économiques de la coopérative", s’alarme la présidente. Une inquiétude partagée par Guillaume Fortin, directeur général de la coopérative et du réseau France Frais : "Depuis 2021, les indicateurs sur le marché de la Restauration Hors Foyer (RHF), notamment pour France Frais, reviennent progressivement dans le bon sens. À l’inverse, notre pôle industriel est fortement impacté par l’inflation de tous ses postes de coûts."
À la hausse jugée "affolante" du coût du gaz et de l’électricité par la direction s’ajoute la crainte de coupures d’énergie : "Nous produisons des produits qui ne peuvent pas se stocker. Le lait récolté arrive et doit être transformé tous les jours, sinon il est perdu. Si nous sommes confrontés à des délestages en matière d’énergie, il y aura des répercussions sur notre activité" prévient la nouvelle présidente qui assure que "le défi de demain sera de faire aussi bien en matière industrielle avec des ressources de plus en plus rares". En marge de cette actualité inflationniste, le groupe coopératif se veut rassurant sur les programmes d’investissement en cours, à la fois sur les plateformes de distribution France Frais, mais aussi pour le pôle industriel avec l’arrivée de nouvelles lignes de fabrication en fromage frais, beurre et pâtes pressées.
Diminuer les consommations énergétiques
Face aux hausses drastiques des coûts de l’énergie, le projet Héraklès, démarré en 2020 en partenariat avec CertiNergy & Solutions, spécialisée dans la performance énergétique, et visant la réduction des gaz à effet de serre (GES) sur les sites de transformation du groupe, se montre plus que jamais d’actualité. Ce projet, qui représente un investissement de plus de 20 millions d’euros, comprend douze opérations destinées à réaliser 17 % d’économies d’énergie par an sur cinq ans, notamment grâce à la mise en place d’une récupération de chaleur fatale permettant l’effacement de la consommation de gaz. Les deux premiers chantiers porteront sur la station d’épuration et le froid. Les Maîtres Laitiers du Cotentin utilisent, en effet, beaucoup d’énergie fossile, notamment du gaz naturel, pour produire de la vapeur. À lui seul, le site de Sottevast consomme 32 % de l’énergie totale du groupe, soit 25 % du poids des gaz à effet de serre liés aux énergies. "Ce projet prend tout son sens au regard de l’actualité. Il nous faudra faire demain aussi bien avec des ressources de plus en plus rares : les énergies, les intrants (semences, engrais, insecticides…, NDLR), le lait qui pourrait connaître une pénurie, mais aussi la main-d’œuvre. Il nous faut tout faire pour éviter d’être dépendants des éléments extérieurs, ce qui est aussi vital pour notre indépendance" commente Valérie Blandin. Une responsabilité sociétale et environnementale jugée prioritaire pour les Maîtres Laitiers du Cotentin mais aussi pour leurs clients et leurs partenaires financiers de plus en plus attentifs aux démarches RSE.
