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Hydrogène : la start-up industrielle Verso Energy veut investir 450 millions d’euros en Moselle
Moselle # Production et distribution d'énergie # Investissement industriel

Hydrogène : la start-up industrielle Verso Energy veut investir 450 millions d’euros en Moselle

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La start-up industrielle parisienne Verso Energy, pilotée par Xavier Caïtucoli et Antoine Huard, porte un projet de production d’hydrogène à Carling, en Moselle. Appelé CarlHYng, ce projet vise à implanter une usine de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, pour une production qui devra atteindre 51 000 tonnes par an.

Antoine Huard et Xavier Caïtucoli sont les dirigeants de Verso Energy — Photo : Verso Energy

Pour le président de Verso Energy, Xavier Caïtucoli, sa start-up industrielle a les moyens de devenir "l’énergéticien décarboné du XXIe siècle". Se projetant résolument dans l’après pétrole, l’ancien fondateur de Direct Énergie est concentré depuis 2021 sur le développement de Verso Energy, et porte des projets dans la production d’électricité renouvelable, la production d’hydrogène vert ou encore les carburants de synthèse destinés à faire voler des avions ou avancer des cargos sans émettre de CO2.

"L’après pétrole a commencé", martèle l’entrepreneur, qui estime que dans la course au remplacement de l’hydrocarbure qui fait tourner le monde depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale, "la France doit prendre sa place et l’Europe doit avoir un leadership". Pour lancer cette transformation "profonde", Xavier Caïtucoli et Antoine Huard, le directeur général de Verso Energy, ont décidé de poser un projet à 450 millions d’euros à Carling, en Moselle, visant à faire sortir de terre trois unités de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, d’une capacité totale de 51 000 tonnes à horizon 2030. Les premiers kilos d’hydrogène doivent être produits fin 2027, après deux années de chantier, nécessaire pour créer un nouveau site industriel. Lors de la "phase chantier" la plus intense, soit environ six mois, 500 personnes vont être employées sur le site. Au cours de l’exploitation, les besoins en main-d’œuvre seront plus réduits, soit entre 20 et 40 emplois directs et jusqu’à 40 emplois indirects.

Levée de fonds de 50 millions d’euros

"Le closing du montage financier devra intervenir fin 2024", précise Xavier Caïtucoli. Avant d’obtenir la confirmation de l’engagement financier des pouvoirs publics, le dirigeant veut faire les choses dans l’ordre et obtenir le permis de construire et son autorisation d’exploiter. En décembre 2022, Verso Energy a bouclé une levée de fonds pour un total de 50 millions d’euros. Ce tour de table a permis à Eiffel Investment Group, via Eiffel Gaz Vert, la société de capital-risque AMS Capital, filiale d’AMS industries dirigée par Jean-Paul Bize, et Crescendix, la société d’investissement de Xavier Caïtucoli, de renforcer les fonds propres de la start-up. Jusqu’ici, l’essentiel du développement a été financé par Xavier Caïtucoli, qui avait cédé Direct Énergie à Total en 2018 sur une valorisation supérieure à 2 milliards d’euros.

Les bâtiments abritant les électrolyseurs de Verso Energy ne dépasseront pas 14 mètres de haut — Photo : Verso Energy

Pourquoi avoir choisi Carling ? Premier élément déterminant, le projet MosaHyc : ce futur réseau de transport d’hydrogène transfrontalier, porté par les opérateurs de réseaux de distribution Creos (Allemagne), de transport GRT Gaz (France) en coopération avec le groupe énergétique Encevo (Luxembourg), doit s’étaler dans un premier temps sur 45 kilomètres entre la France et l’Allemagne, en reprenant une infrastructure de transport de gaz naturel, en partie hors service, qui sera reconvertie à l’hydrogène. "Le feu vert définitif du projet, à savoir l’autorisation d’exploiter, doit être délivré au premier semestre 2026", précise Albert Michel, chef de projet hydrogène chez GRT Gaz. Un horizon lointain, mais qui ne tempère pas l’enthousiasme des porteurs du projet de Verso Energy. "Si MosaHyc ne se fait pas, il est tout à fait possible de poser un tuyau dédié à nos gros clients", assure Antoine Huard.

Un très gros client potentiel : SHS

Dans l’esprit du directeur général de Verson Energy, gros clients rime avec SHS. Le réseau de transport d’hydrogène transfrontalier doit en effet alimenter l’usine sidérurgique SHS, basée à Dillingen en Allemagne, qui sera reliée, dans le cadre de MosaHyc, par un nouveau tuyau de 600 mm de diamètre sur trois kilomètres. Un dimensionnement prévu pour répondre à l’appétit gargantuesque du sidérurgiste allemand : sur la période 2027-2030, l’industriel prévoit de consommer 60 000 tonnes d’hydrogène par an, afin de commencer à alimenter un haut-fourneau et produire ainsi un acier décarboné. En 2022, le groupe allemand a annoncé un investissement de 3,5 milliards d’euros pour modifier totalement son process et pour sortir jusqu’à 3,5 millions de tonnes d’acier à faible teneur en carbone, tout en réduisant ses émissions de CO2 de 55 %. Dès 2030, la consommation de ce nouvel outil industriel pourrait atteindre les 150 000 tonnes d’hydrogène par an. "SHS est notre premier client potentiel", se félicite Antoine Huard.

À la proximité de ce très gros consommateur et d’autres clients potentiels, s’ajoutent la présence de l’ensemble des "matières premières", nécessaires pour produire de l’hydrogène par électrolyse, un procédé nécessitant de faire passer un courant électrique dans de l’eau, pour séparer la molécule H2O en hydrogène et en oxygène.

Un poste électrique de 400 000 volts déjà en service

Les 400 MW d’énergie électrique nécessaire, déjà réservées, seront accessibles grâce au poste électrique de 400 000 volts de Saint-Avold, distant d’environ trois kilomètres et dimensionné pour alimenter l’ensemble des industriels de la plateforme Chemesis. Lors de la mise en service de la première unité d’électrolyse d’une puissance de 100 MW, fin 2027, le besoin en eau a été estimé à 36 mètres cubes par heure, pour atteindre 110 mètres cubes par heure en 2030, lors de la mise en service de la troisième et dernière unité, soit plus de 40 000 mètres cubes par an. Mais autour de Carling, la présence de l’eau en abondance ne fait pas débat : lorsqu’elle tournait à plein régime, la centrale à charbon Emile-Huchet, à Saint-Avold, consommait jusqu’à 12 millions de mètres cubes d’eau par an. Aujourd’hui, les deux tranches à gaz de la centrale consomment 4 millions de mètres cubes. Lors de la phase d’étude, S2E, la société qui alimente en eau la plateforme Chemesis, a estimé que l’opération allait "plutôt dans le bon sens sur la question de l’eau", témoigne Victor Lévy-Frébault. "On ne pouvait pas imaginer meilleur site", résume le directeur du développement de Verso Energy en arpentant les 9 hectares de terrain destinés à accueillir les trois électrolyseurs.

Les ambitions de la France et de l’Europe

Le terrain retenu par Verso Energy sert pour l’instant d’espace de stockage à la société Tellos — Photo : Jean-François Michel

Propriété de la société alsacienne Tellos, basée à Herrlisheim au nord de Strasbourg, ce terrain était destiné jusqu’à présent à entreposer des matériaux pour des chantiers. Le groupe familial, qui développe et gère des infrastructures de réseaux avec 350 personnes, pour un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros, voit d’un très bon œil l’arrivée de la start-up Verso Energy. "Actuellement, nous nous développons très fort grâce aux réseaux de chaleur", souligne Lucie Risse, chef de projet chez Tellos. "Mais l’hydrogène est un vecteur de croissance très intéressant." Concrètement, en plus de la location du terrain, l’entreprise va mettre son savoir-faire au service de Verso Energy et sera partie prenante de la maintenance des équipements : "Nous allons accumuler des compétences que nous pourrons valoriser sur d’autres projets", assure Lucie Risse.

Une trajectoire que ne dément pas Xavier Caïtucoli : "Les besoins en hydrogène sont immenses", assure le fondateur de Verso Energy. Dans le cadre de France 2030, le gouvernement français a dévoilé un plan à 7 milliards d’euros, visant notamment à équiper le pays d’une capacité de production d’hydrogène de 6,5 GW grâce à l’électrolyse de l’eau, en 2030. À l’échelle de l’Europe, l’ambition est encore plus élevée : atteindre les 40 GW.

Siemens Energy est dans la boucle

"La demande est très forte", confirme Houcine Hamdi, directeur du développement pour Siemens Energy en France. Filiale à 25 % du groupe allemand Siemens, Siemens Energy (CA : 30 Md€ ; 92 000 salariés) va empocher la moitié des 450 millions d’euros mobilisés pour le projet de Verso Energy pour fabriquer les électrolyseurs, dans son usine allemande basée à Berlin. "Nous allons aussi fournir les 200 MW nécessaires au projet Normand’Hy", se félicite Houcine Hamdi. Pour suivre la demande, le groupe Siemens Energy a créé une co-entreprise avec Air Liquide pour produire des électrolyseurs. Le début de la production est prévu pour le second semestre 2023 : "Nous allons lancer l’usine de Berlin avec une capacité de 1GW de production d’électrolyseur", précise le directeur du développement pour Siemens Energy en France. "Puis, en 2025, nous atteindrons une capacité de 3 GW". Les modules produits à Berlin et qui équiperont l’usine de Verso Energy utiliseront la technologie dite PEM, pour membrane échangeuse de protons. "C’est la technologie réciproque à celle que le groupe Siemens a utilisée dans les années 70 pour développer des piles à combustibles", dévoile Houcine Hamdi. Cette technologie a déjà déployé par Air Liquide au Canada, avec l’installation de quatre unités de 5 MW chacune.

Si le marché de la production d’hydrogène s’emballe, le dirigeant de Verso Energy n’y voit pas un obstacle : "Plus nous serons nombreux à nous y mettre, plus nous pourrons développer des synergies", assure Xavier Caïtucoli. Pour le dirigeant, la question est tranchée : "Mieux vaut consommer de l’hydrogène produit à Carling que du gaz venu de Russie ou du Moyen-Orient".

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