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La Lorraine se place dans la course à l'hydrogène
Enquête Grand Est # Industrie

La Lorraine se place dans la course à l'hydrogène

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En dévoilant un projet visant à lancer une unité de production d'hydrogène à 250 millions d'euros, la société H2V a secoué tous les acteurs de la filière, en Lorraine et dans le Grand Est. Au-delà de sa position géographique, la région a les atouts pour apparaître sur les futures routes de l'hydrogène.

Le projet MosaHYc ouvre la voie à des conversions de canalisations de gaz naturel au transport de l'hydrogène — Photo : GRTgaz

Dans le monde de l'énergie, l'hydrogène est la star du moment. Quand l'Allemagne annonce mettre 9 milliards d'euros pour développer les usages et la production, la France a trouvé 7,2 milliards d'euros dans le cadre du Plan de Relance, pour donner un « énorme coup d'accélérateur », annonçait en septembre dernier Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique : « L'objectif est simple : construire une filière française de l'hydrogène décarboné, de portée internationale ».

Un objectif simple, mais loin d'être à portée de main : « Actuellement en France, la production d'hydrogène est de 922 000 tonnes, dont 880 000 tonnes sont utilisées pour des usages industriels, essentiellement dans des raffineries », rappelle Nicolas Pélissier, dirigeant de la société messine 45-8 Energy, qui explore le sous-sol pour aller chercher des gaz comme l'hélium ou l'hydrogène. Et cet hydrogène est produit à 95 % grâce à une technique, dite de « vapocraquage », qui consiste à casser une molécule, comme le méthane (CH4), pour produire de l'hydrogène (H2). Problème : « Pour un kilo d'hydrogène produit, il faut rejeter 8 à 10 kg de CO2 », souligne Jacques Haenn, le délégué régional France Hydrogène pour le Grand Est. Les techniques de production actuelles ne sont donc pas les bonnes pour arriver à « décarboner l'industrie » ou « rouler propre » avec de l'hydrogène.

De l'eau et de l'électricité

En Lorraine, les industriels multiplient les annonces autour de projets utilisant une technique de production dite par « électrolyse », consistant à casser la molécule d'eau (H2O) avec du courant électrique : concrètement, si l'électricité utilisée n'a pas été produite en émettant du CO2, la production d'hydrogène peut être qualifiée de « décarbonée ». À ce jour, le projet le plus impressionnant est à mettre au crédit de H2V : la société parisienne veut installer deux unités de 100 mégawatts sur l'ancienne aciérie de Gandrange, en Moselle. Elle prévoit pour cela d'investir 250 millions d'euros (lire par ailleurs). « La région Grand Est compte à ce jour cinq projets de cette envergure dans les cartons », dévoile Christian Guirlinger, le président de la commission environnement de la Région Grand Est et chargé de la stratégie hydrogène.

Les opérateurs de transport de gaz GRTgaz et CREOS ont annoncé en mai dernier leur collaboration, afin de créer « un réseau de transport européen 100 % hydrogène » — Photo : GRTgaz

Quelques dizaines de kilomètres plus à l'Est, à Saint-Avold, un autre industriel a déjà lancé son projet. Poussée à la reconversion par la décision du gouvernement français de fermer les quatre dernières centrales à charbon d'ici à 2022, la centrale Emile-Huchet parie désormais sur l'hydrogène. Fin octobre 2020, GazelEnergie, filiale du groupe tchèque EPH et exploitant de la centrale, a signé un partenariat avec Storengy, une filiale d'Engie, pour installer dès 2023 une unité de production d'hydrogène d'une puissance de 5 MW, pour un montant d'investissement d'environ 20 millions d'euros.

« Il y a de nombreux projets dans l'hydrogène autour de la centrale de Saint-Avold », souligne Jacques Haenn. Un partenariat entre le Groupe Institut de Soudure, l'association mosellane PPE et l'IUT de Moselle Est a été signé en mars avec pour objectif de créer un centre international de qualification et certification de composants hydrogène. « Le coup d'accélérateur a été donné quand GRTgaz a décidé de convertir un bout de son réseau au transport de l'hydrogène », estime le délégué régional France Hydrogène pour le Grand Est.

Un réseau transfrontalier

Pour relier les points de consommation en Allemagne et la production en France, les opérateurs de transport de gaz GRTgaz et Creos ont en effet annoncé en mai dernier leur collaboration, afin de créer « un réseau de transport européen 100 % hydrogène », reliant la Sarre (Allemagne), le Grand Est et la frontière Luxembourgeoise. Appelé MosaHyc, cet embryon de réseau s'étendra sur 70 kilomètres et aura une « capacité de transport pouvant atteindre 20 000 m³/h », précise GRTgaz. Un projet renforcé par l'initiative « Grande Région Hydrogen », qui rassemble déjà 70 acteurs économiques, académiques et industriels, et doit « créer les bases d'un développement coordonné de solutions hydrogène pour la Grande Région ». Concrètement, pour tous ces acteurs, le premier défi est d'arriver à travailler ensemble.

« Sécuriser des blocs de consommations. »

À Saint-Avold, les 5 MW produits vont être consommés en partie par une quinzaine de bus, qui desserviront le réseau de la Communauté d'agglomération. « L'enjeu pour nous, c'est de très rapidement sécuriser des blocs de consommation, afin ensuite de pouvoir monter en charge », précise Antonin Arnoux, le responsable du projet Emil'Hy chez GazelEnergie. Cette montée en charge se fera grâce aux clients industriels : « Nous avons déjà identifié un très gros consommateur : il s'agit de l'usine sidérurgique allemande de Saarstahl, à Dilingen ». Située à une quinzaine de kilomètres au nord de Saint-Avold, l'usine vient de bénéficier d'un investissement de 14 millions d'euros pour pouvoir utiliser de l'hydrogène dans ses hauts fourneaux : l'industriel veut réduire ses émissions de CO2 et aller vers une production « d'acier vert ». Si tout se passe comme prévu, GazelEnergie déploiera alors une capacité comprise entre 50 et 100 MW.

Fin mars, la Région a officialisé une commande de cinq trains à hydrogène, dont deux rames optionnelles, pour un montant total de 86 millions d'euros — Photo : Alstom

Pour les industriels qui parient sur le Grand Est, comme pour les élus régionaux, l'enjeu est « d'apparaître sur les futures routes européennes de l'hydrogène », précise Christian Guirlinger. Ces pipelines seront chargés de relier les zones de production vers les points de consommation. Rassemblés au sein du collectif « Hy Deal Ambition », une trentaine d'industriels a dévoilé les contours d'un projet à 120 milliards d'euros, consistant à produire de l'hydrogène vert depuis des pays bénéficiant d'un fort ensoleillement, comme l'Espagne ou le Portugal, pour l'acheminer grâce à un réseau de tuyaux vers le Nord de l'Europe. Objectif : produire 3,6 millions de tonnes d'hydrogène à 1,5 € du kilo, contre 9 € actuellement, soit un tarif le rendant compétitif face au gaz, au pétrole et au charbon.

Commencer par la mobilité

Soucieuse de prendre le train en marche et d'organiser la filière émergente, la région Grand Est a publié sa « stratégie hydrogène », qui s'articule autour de deux axes prioritaires : décarboner l'industrie et développer une offre de transport alimentée à l'hydrogène. Fin mars, la Région a officialisé une commande de cinq trains à hydrogène, dont deux rames optionnelles, pour un montant total de 86 millions d'euros. Une commande passée à l'usine Alstom de Reichshoffen (720 collaborateurs), dans le Bas-Rhin, qui fait partie des six sites du constructeur ferroviaire français qui participent à une commande de 12 trains bi-mode, électrique et hydrogène, passée à Alstom par la SNCF, pour un total de 190 millions d'euros.

« Les pouvoirs publics doivent s'engager. »

« L'État et les collectivités ont un rôle à jouer pour lancer la filière », assure Nicolas Pélissier. Avant de produire de l'hydrogène, il faut s'assurer de pouvoir le vendre. Mais si personne ne produit, les projets de consommation ne pourront pas émerger : « C'est pour cela que les pouvoirs publics doivent s'engager. Ensuite, l'hydrogène deviendra compétitif, même face aux énergies fossiles », prévoit Nicolas Pélissier. À Metz, la Métropole a engagé la réflexion pour faire rouler son parc de bus à l'hydrogène, et les premiers véhicules équipés pourraient arriver dans les rues d'ici deux à trois ans. Malgré des efforts pour structurer la filière, la région Grand Est ne compte actuellement aucun projet dans les sept retenus dans le cadre de la première vague de l'appel à projets « Écosystèmes territoriaux hydrogène », lancé par l'Ademe. « Les choses vont changer », assure Christian Guirlinger, rejoint par le délégué régional France Hydrogène : « Le cahier des charges était trop complexe, avec un prix de l'hydrogène qui devait ressortir à 9 € à la distribution. Mais le Grand Est comptera des lauréats dans les prochaines vagues de l'appel à projets, c'est certain ».

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