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La Lorraine abrite le plus gros gisement mondial d’hydrogène naturel
Enquête Moselle # Production et distribution d'énergie # Investissement

La Lorraine abrite le plus gros gisement mondial d’hydrogène naturel

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En collaboration avec l’énergéticien mosellan la Française de l’Energia, deux chercheurs nancéiens du laboratoire GéoRessources ont découvert des quantités phénoménales d’hydrogène blanc dans le sous-sol lorrain. Les premières données issues des travaux de recherche déjà réalisés montrent que cet hydrogène est renouvelable. Faut-il se précipiter pour exploiter ce gaz, synonyme de transition énergétique ?

Les équipes de SolExperts collaborent régulièrement avec les chercheurs du laboratoire nancéien Géoressources — Photo : SolExperts

Fidèles à leur éthique de scientifique, les deux chercheurs nancéiens du laboratoire GéoRessources refusent d’évoquer l’exploitation industrielle de leur découverte : "L’urgence, c’est de vérifier nos premiers résultats", insistent Philippe de Donato et Jacques Pironon. Menés dans le cadre d’un programme de mesures appelé Regalor, piloté par l’énergéticien basé à Pontpierre, en Moselle, la Française de l’Energia (CA 2022 : 26,2 millions d’euros), en collaboration avec l’Université de Lorraine et le CNRS, les premiers travaux ont dévoilé des teneurs importantes en hydrogène dans le sous-sol lorrain.

Grâce à une sonde imaginée par Philippe de Donato et Jacques Pironon, et conçue par la société suisse Solexperts, une concentration de 6 % d’hydrogène a été mesurée à 808 mètres dans un puits situé à Folschviller, en Moselle. Un peu plus profond, à 1 093 mètres, cette concentration en hydrogène atteint 14 % : "C’est énorme ! On n’a jamais vu ça", s’enthousiasme Philippe de Donato, qui estime que cette découverte "ouvre beaucoup de possibilités pour la transition énergétique".

Le mot est lâché. Hier connu pour être extrêmement inflammable, l’hydrogène est aujourd’hui présenté comme le gaz de la "transition énergétique". Concrètement, l’énergie contenue dans cette petite molécule peut d’abord être récupérée en étant brûlée. La combustion d’un kg d’hydrogène libère trois fois plus d’énergie qu’un kg d’essence, en ne rejetant que de l’eau. Autre solution, introduire de l’hydrogène dans une pile à combustible pour obtenir de l’électricité, réaction dont le seul déchet sera, là aussi, de l’eau.

Présenté comme la molécule la plus abondante de l’univers, l’hydrogène est produit sur Terre grâce à une réaction chimique, l’électrolyse, qui consiste à séparer une molécule d’eau en la soumettant à un courant électrique. Un processus aujourd’hui sorti des laboratoires pour arriver à l’échelle industrielle. Sur les 4 milliards d’euros injectés par le gouvernement français dans la filière hydrogène, une large partie sera consacrée à faire sortir de terre quatre immenses usines pour produire des électrolyseurs.

Des milliards d’euros à investir avant de produire

De passage en Alsace fin août, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a renouvelé son soutien aux efforts du groupe belge John Cockerill (1,3 Md€ de CA ; plus de 6 000 salariés dans le monde). L’industriel veut en effet construire à Aspach-Michelbach, dans le Haut-Rhin, une usine géante affichant une capacité totale de production d’électrolyseurs de 1GW, destinés à alimenter le marché européen. Un investissement que Raphael Tilot, le PDG de John Cockerill, estime s’élever à "une centaine de millions d’euros". En fonction de la nature décarbonée de l’électricité utilisée pour faire tourner les électrolyseurs, l’hydrogène produit pourra alors être qualifié de "vert".

46 millions de tonnes d’hydrogène

Mais l’hydrogène peut prendre d’autres couleurs. En 1987, dans le village de Bourakébougou, à 60 kilomètres de Bamako, au Mali, un puits foré pour y trouver de l’eau libère un étrange gaz qui finit par s’enflammer au contact d’une cigarette oubliée à proximité. La société canadienne Pétroma, devenue plus tard Hydroma, va décrocher 20 ans plus tard un permis pour explorer cette partie du sous-sol malien. Les premières mesures aboutiront à une conclusion inattendue : il existe des gisements d’hydrogène très pur, naturel ou "blanc" sur Terre. Hydroma commence en 2012 l’exploitation du gaz, qui va d’abord permettre d’alimenter en électricité le village de Bourakébougou, avant d’accélérer l’exploitation en 2020, suite à une campagne de forage. "Les projections les plus raisonnables estiment que l’hydrogène naturel représentera entre 3 et 5 % de la consommation mondiale", analyse Jacques Haenn, délégué régional du Grand Est pour France Hydrogène.

Pourtant, en appliquant les premiers résultats de Philippe de Donato et Jacques Pironon à l’ensemble du bassin minier lorrain présentant les mêmes conditions géologiques, et sans présager de ce qu’ils trouveront plus profondément, les chercheurs arrivent à un résultat stupéfiant : le sous-sol mosellan contient 46 millions de tonnes d’hydrogène, soit plus de la moitié de la consommation mondiale annuelle. Actuellement, l’immense majorité des 90 millions de tonnes d’hydrogène consommé dans le monde est dite "gris", car obtenu en cassant des molécules de méthane, un gaz fossile.

Abondant et renouvelable

Comment l’hydrogène naturel du sous-sol lorrain a-t-il été produit ? "De façon naturelle, par oxydation des carbonates ferreux présents dans le sol et réduction de l’eau", précise Philippe de Donato. L’hydrogène n’est donc pas confiné dans un réservoir, mais produit naturellement dans le sous-sol : il est donc renouvelable. Molécule très légère, diffuse, l’hydrogène migre discrètement jusqu’à la surface, où il est oxydé par l’air ambiant.

Déjà connue, cette réaction chimique a été mise à jour sur la planète, mais dans des conditions extrêmes, dans des fosses marines. "Cette réaction ne se produit pas à 1 000 mètres, mais plus bas", souligne Jacques Pironon. Concrètement, les travaux des chercheurs montrent qu’à 3 000 mètres, la teneur en hydrogène pourrait atteindre 95 %. Mais cette découverte n’est pas celle d’un réservoir, qu’il suffirait de percer pour faire jaillir l’hydrogène. Dans l’exploitation traditionnelle du pétrole et du gaz, la pression dans les poches contenant les ressources fossiles atteint les 300 bars. "Nos données montrent qu’il y a 6 bars de pression à 1 000 mètres, dont 1 bar d’hydrogène", détaille Jacques Pironon. À 3 000 mètres, la pression devrait atteindre 30 bars. Pour avancer vers l’exploitation de cette ressource, "il faut travailler ce nouveau modèle, changer de technologie et changer de paradigme", résume Jacques Pironon. Avec son collègue Philippe de Donato, le chercheur a commencé à défricher le terrain pour les industriels. La sonde qui a permis d’obtenir ces résultats présente une membrane permettant de laisser passer les gaz mais pas l’eau présente dans le sous-sol.

Changement de logique

"C’est comme une peau de grenouille", illustre Médéric Piedevache, directeur de l’agence de Nancy de Solexperts. "La membrane laisse passer les gaz, mais retient l’eau." Les analyses se font en "boucle fermée", les différents gaz du sous-sol remontant jusqu’à la surface pour être analysés. "Arriver à ce résultat a nécessité 20 ans de travail", précise Médéric Piedevache, pointant les différents obstacles techniques : le diamètre très étroit du puits, soit environ 6 cm, et la pression rendant l’exploration difficile. "La sonde et les capteurs ont été conçus pour résister à de très haute pression", insiste le directeur de l’agence de Nancy de Solexperts. "Sachant que dans le sous-sol du bassin houiller, au-delà de 50 mètres, il y a de l’eau".

La prochaine campagne de mesure va s’appuyer sur un nouveau modèle de sonde, toujours conçu par les équipes de Solexperts pour la Française de l’Energia. "La logique est complètement différente. Nous allons remonter les gaz à la surface, pour ensuite les analyser", révèle Médéric Piedevache. Une technique retenue pour aller plus vite et avancer dans la compréhension du sous-sol lorrain. Tout en avançant vers l’exploitation industrielle ? Le directeur de l’agence nancéienne de Solexperts donne la mesure du défi en prenant l’exemple d’une bouteille d’eau gazeuse : "Dans le secteur de l’Oil & Gas, les sociétés savent percer le bouchon pour récupérer le gaz contenu juste en dessous. Là, le défi est d’aller récupérer les bulles contenues dans l’eau". Un défi qui mériterait d’être relevé face aux enjeux de la transition énergétique ?

Partout en Lorraine, les projets liés à la production et à la consommation d’hydrogène se multiplient. À Saint-Avold, en Moselle, c’est le groupe GazelEnergie qui projette un total de 300 millions d’euros d’investissement pour produire 56 000 tonnes d’hydrogène. Baptisé Emil’Hy, ce projet est le fer de lance de la reconversion de la centrale à charbon Emile-Huchet, et ne devrait pas avoir de mal à trouver ses premiers clients : à quelques kilomètres de l’autre côté de la frontière, en Allemagne, c’est le sidérurgiste Saarstahl qui attend avec impatience la livraison des premiers kg d’hydrogène, prévue pour 2025. Pour l’industriel allemand, l’enjeu est de convertir ces fours brûlant du coke à l’hydrogène, pour produire un acier décarboné.

Penser à consommer avant de produire

Plus à l’ouest, l’Eurométropole de Metz s’est associée avec l’industriel John Cockerill et le producteur d’électricité UEM pour convertir progressivement sa flotte de bus et de bennes à ordures à l’hydrogène, grâce à l’installation d’un électrolyseur de 2 MW, capable de produire 800 kg d’hydrogène par jour. La mise en service est programmée pour 2025. Le projet messin devrait nécessiter un investissement de 40 millions d’euros, dont 32 millions d’euros pour le renouvellement de la flotte de bus. Plus au sud, dans les Vosges, la société nantaise Lhyfe a été retenue par l’agglomération d’Épinal pour l’implanter un site de production d’hydrogène. Destiné à alimenter la collectivité pour décarboner ses transports, le projet dont la mise en service est programmée pour 2027 est aussi très attendu par les industriels du secteur. "Quand il est possible de conjuguer les intérêts d’une collectivité, généralement liés à la décarbonation des transports, et ceux des industriels, la production d’hydrogène trouve rapidement sa pertinence", analyse Jacques Haenn. Pour le délégué régional du Grand Est pour France Hydrogène, l’enjeu ne réside pas dans la production d’hydrogène mais dans sa consommation : "Aujourd’hui, il faut multiplier les projets de consommation", réaffirme Jacques Haenn.

Financé à hauteur de 2,4 millions d’euros sur 4 ans, le programme Regalor prend fin en 2023 : d’ici là, Philippe de Donato et Jacques Pironon vont mener de nouvelles campagnes de mesure, dans deux nouveaux puits en Lorraine, dont un qui devra permettre d’explorer plus profondément, mais aussi dans les Hauts-de-France. "Nos travaux ouvrent la voie à une nouvelle lecture du sous-sol partout dans le monde", se félicitent les deux chercheurs.

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