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Comment l’Alsace joue de ses atouts pour attirer les projets japonais
Enquête Alsace # Industrie # International

Comment l’Alsace joue de ses atouts pour attirer les projets japonais

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L’Alsace s’apprête à célébrer cette année 160 ans de relations économiques avec le Japon. Des premiers échanges commerciaux noués avec l’industrie du textile à l’accueil de technologies de rupture, le lien économique a su se renouveler et bénéficier au territoire.

Cinq ans après son rachat par Shimadzu, la biotech alsacienne Alsachim vient de signer avec le groupe un nouveau plan d’affaires à l’horizon de trois ans — Photo : Alsachim

Une relation "historique", qui remonte à 1863. 160 ans de liens économiques entre l’Alsace et le Japon que le Ceeja, centre européen d’études japonaises en Alsace, célébrera en grande pompe en 2023 et 2024. Et il y a de quoi. Dans les années 1860, le Japon se tourne d'abord vers Mulhouse. La cité industrielle du Haut-Rhin se voit confier par l’archipel asiatique, encore peu industrialisé, des commandes de tissus. Puis la relation évolue. Les industriels japonais qui ont montré leur intérêt dans les années 1980 pour l’Alsace et le Grand Est pour leurs besoins d’implantation en Europe continuent d’investir sur le territoire. Preuve en est, selon CCI France, 12 % des projets d’investissements nippons en France ont été fléchés vers le Grand Est en 2020.

Le groupe Sony a ouvert la voie en installant une unité de production à Ribeauvillé, dans le Haut-Rhin, en 1986, reprise depuis par le français Cordon. Ont ensuite suivi d’autres noms comme Yamada à Charleville-Mézières (Ardennes), Ricoh à Colmar (Haut-Rhin), Toshiba Lighting en Meurthe-et-Moselle etc. Le bureau japonais de l’Alsace à Tokyo, ouvert à partir de 1982 durant une trentaine d’années, a contribué à détecter ces besoins, accompagnés sur le terrain par l’agence de prospection économique régionale Invest Eastern France.

Aujourd’hui, la Région Grand Est dénombre une cinquantaine d’entreprises nippones, générant 3 000 emplois. "Elles y trouvent une ouverture sur les marchés européens, une main-d’œuvre qualifiée et des centres de R & D. De plus, la proximité de l’Alsace avec l’Allemagne intéresse les décideurs japonais", souligne Virginie Fermaud, directrice du Ceeja à Colmar. Des conditions propices aux investissements nippons dans la région.

Implantations et investissements industriels

Dès la réouverture des frontières du Japon en octobre 2022, une délégation de représentants des mondes économique, politique et culturel japonais a été accueillie en Alsace — Photo : Ceeja

Selon CCI France, en 2020, la France était le deuxième pays d’accueil des investissements japonais en Europe avec 24 % des projets, juste derrière l’Allemagne (25 %) et devant le Royaume-Uni (12 %). L’Île-de-France accueille 52 % des projets d’investissements, suivie par le Grand Est (12 %) et l’Auvergne-Rhône-Alpes.

Ces investissements confortent les implantations japonaises existantes. Les usines s’ancrent dans le territoire tout en se modernisant, à l’instar de celle du spécialiste de la bureautique Konica Minolta (124 collaborateurs ; 119 millions de chiffre d'affaires 2021), ouverte en 1990 à Eloyes (Vosges). La proximité avec le groupe d'électronique Ricoh à Colmar a permis l’attractivité du territoire pour le choix d’implantation dans l’Est. La seule usine du groupe en Europe embouteille des cartouches de poudre de toner pour les marchés européens et a pris le virage de l’automatisation dans les années 2010. Elle compte aujourd’hui une quarantaine de robots palettiseurs, des chariots élévateurs sans conducteur et un robot collaboratif pour gagner en productivité. Elle prévoit l’embauche de dix personnes cette année et a bouclé un investissement de 5 millions d’euros en 2021 dans un nouvel atelier. Depuis juin 2022, l’usine Konica Minolta compte également une nouvelle ligne d’embouteillage. "Ce remplacement a nécessité un investissement de 600 000 euros, injectés dans le territoire puisque la ligne a été conçue et fabriquée dans les Vosges, avec des fournisseurs locaux", appuie Didier Gruhier, responsable des ressources humaines et des services.

Reprise de sites industriels

Mitsubishi s’est implanté à Mulhouse en 2004. Signe de discrétion qui transparaît dans la culture japonaise, l’entreprise n’arbore pas de signalétique à son nom sur le bâtiment — Photo : MEA

Outre les implantations ex nihilo, les ambitions japonaises en Europe ont aussi contribué à maintenir de l’activité et des emplois en région, avec la reprise de sites industriels. Un cercle vertueux puisque les entreprises passées sous pavillon blanc et rouge réalisent régulièrement des investissements sur le territoire. C’est le cas à Mulhouse, chez MHI Equipment Alsace (MEA) appartenant à la division Mitsubishi Heavy Industries (MHI) du groupe Mitsubishi. Le fabricant nippon de moteurs a repris en 2004 le site occupé par le scandinave Wärtislä à la fonderie de Mulhouse pour sa production de moteurs terrestres et maritimes. "Pour ses besoins de production supplémentaires, le groupe a repris le site avec sa main-d’œuvre et ses équipements industriels pour se positionner sur le marché européen", détaille Hervé Muller, directeur industriel de MEA (130 collaborateurs, 60 M€ de chiffre d'affaires). Depuis, le site est passé de trois à 30 clients en Europe et investit régulièrement. Un centre d’usinage a par exemple été ouvert en 2021 pour 3,5 millions d’euros.

Rachat d’entreprises locales

Les groupes japonais offrent par ailleurs des perspectives de développement aux entrepreneurs locaux. C’est le cas chez Alsachim, à Illkirch-Graffenstaden, aux portes de Strasbourg. Depuis son rachat en 2017 par l’équipementier japonais Shimadzu (12 000 collaborateurs), fabricant et distributeur d’appareils de mesure pour l’industrie, la PME se projette dans une nouvelle dimension. La biotech alsacienne produit plusieurs milliers de références de molécules médicamenteuses et des kits de diagnostics pour l'industrie pharmaceutique, les centres de recherche et les hôpitaux. En cinq ans, les effectifs sont passés de 17 à 56 collaborateurs. La surface d’activité, désormais de 3 000 m², a été multipliée par deux, tout comme le chiffre d’affaires (6 millions d’euros en 2021).

Jean-François Hoeffler, cofondateur et président d’Alsachim, le reconnaît : "Nous ne serions pas allés aussi vite dans nos projets de développement. L’investissement de 3,5 millions d’euros porté par Shimadzu nous a permis d’accélérer." Ce mariage fait d’Alsachim la seule structure de R & D et de production de Shimadzu en Europe. L’entreprise bas-rhinoise est vue comme "un atout réel pour l’avenir du groupe, qui n’avait pas l’habitude de faire des acquisitions", précise Jean-François Hoeffler.

De l’industrie à l’innovation

Parmi les quelque 50 entreprises japonaises présentes dans la région, la plupart sont membre du cluster Japan Tech Grand Est. Ce volet économique du Ceeja, financé à hauteur de 190 000 euros par an par la Région Grand Est, propose un accompagnement dédié pour le développement des entreprises japonaises sur le territoire. "Cette grappe d’entreprises est une alliance de l’industrie, de la recherche et de l’innovation. Nous comptons parmi nos membres les grands noms de l'industrie mais aussi de jeunes entreprises innovantes nippones cherchant des opportunités sur le territoire", décrit Virginie Fermaud, directrice du Ceeja, financé par les collectivités locales avec un budget annuel de 600 000 euros et cinq salariés. Doté d’un incubateur, ce cluster peut aussi héberger de jeunes PME et start-up nippones à Colmar. "L’objectif est avant tout d’orienter les start-up vers leur biotope adéquat, en travaillant en bonne intelligence avec l’écosystème régional. Nous pouvons par exemple les diriger vers Biovalley France, le Semia, ou l’incubateur dédié au spatial au sein de l’International Space University (ISU) d’Illkirch-Graffenstaden", souligne Virginie Fermaud.

En octobre 2022, à Tokyo, l’équipe du Ceeja a rencontré une start-up japonaise du spatial s’interrogeant sur une relocalisation en Europe. Présente actuellement à Londres, la structure envisage une implantation sur le continent en raison du Brexit. Le défi serait alors de faire venir cette jeune pousse auprès de l’ISU. Des discussions seraient déjà ouvertes, selon Virginie Fermaud. En attendant, parmi les implantations les plus récentes, le Ceeja peut se targuer d’avoir attiré à Strasbourg une technologie de rupture. Depuis le printemps 2022, le japonais Cyfuse Biomedical K.K est accueilli par le campus des technologies médicales pour un projet de recherche avec l’Inserm. Le laboratoire et la start-up travaillent sur la régénération du ménisque à l’aide de bio-imprimantes 3D développées par Cyfuse. Pour ce projet, l’Inserm a même pu embaucher une ingénieure de recherche parlant japonais.

Interculturalité et ressources humaines

Jean-Luc Peter, président de Menicon France, régulièrement des collaborateurs du groupe en poste à Illkirch, comme ici Takeshi Hayashi — Photo : Menicon

Mais ça n’est pas toujours le cas. Les entreprises japonaises implantées à l’étranger disposent très souvent sur place d’un comité de direction japonais à leur tête. La communication s'y déroule en anglais entre membres français et japonais, par défaut de maîtrise des langues respectives. Virginie Fermaud regrette que la double compétence technique et linguistique ne soit pas plus développée en France. "Il faut démocratiser les filières croisées et les doubles cursus, comme cela se fait davantage en Allemagne par exemple", plaide-t-elle.

Alors pour s’imprégner des spécifiées culturelles et méthodes de travail, les sites nippons du Grand Est accueillent des salariés japonais. "Pendant des périodes de deux ans, un collègue japonais vient travailler pour notre site de production à Illkirch. C’est vécu comme un honneur de venir en France et cela permet un contrôle de la qualité pour le groupe", décrit Jean-Luc Peter, président de Menicon Pharma (11,2 M€ de chiffre d'affaires), producteur de solutions pour lentilles de contact, implanté à Illkirch-Graffenstaden depuis trente ans. Stoppée par le Covid, l’intégration de salariés japonais s’est aussi pratiquée chez Alsachim au moment de son rachat par Shimadzu. Depuis que le Japon a levé toutes les restrictions de circulation liées au Covid en octobre, les visites reprennent. La dernière en date, en décembre, a permis de recevoir le président de Shimadzu, Yasunori Yamamoto, et, selon Jean-François Hoeffler, "de lancer un nouveau plan d’affaires à l’horizon de trois ans." Les relations économiques entre le Japon et le Grand Est ont donc su passer la pandémie et ouvrent de nouvelles perspectives.

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