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Repris par ses salariés, Les Zelles vise plus loin
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Repris par ses salariés, Les Zelles vise plus loin

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Fabricant vosgien de fenêtres, Les Zelles a utilisé un dispositif mis en place par la loi Pacte de 2019, le fonds commun de placement d’entreprise, pour permettre à l’ensemble de ses 500 salariés de devenir actionnaires. Transformée en entreprise à mission, l’ETI veut continuer à créer de la valeur et mieux la partager.

Les trois sites de production de Les Zelles, à La Bresse, Cornimont et en Gironde, sortent chaque année environ 200 000 fenêtres — Photo : Michel Laurent - Les Zelles

Le holding propriétaire du fabricant de fenêtres Les Zelles, installé à 600 mètres d’altitude à La Bresse, dans les Vosges, s’appelle Pando. "C’est le nom du plus vieil organisme vivant au monde. Il a 80 000 ans et on le trouve aux États-Unis", explique Laurent Demasles, le directeur général de l’ETI. "Cet organisme rassemble 70 000 arbres qui partagent le même réseau de racines. C’est exactement notre histoire : avec tous les salariés, nous partageons les mêmes valeurs, les mêmes racines. Et à partir de ce sol, on se renforce mutuellement."

Fondée en 1946, acteur historique de la menuiserie pesant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 500 salariés, l’entreprise Les Zelles vient de réorganiser son capital, à l’occasion d’une opération de rachat avec effet de levier (LBO), structurée autour d’un fonds commun de placement d’entreprise (FCPE) de reprise. Ce véhicule financier, mis en place par la loi Pacte de 2019, était "le bon outil, au bon moment", souligne Laurent Demasles, qui s’est tourné vers Equalis Capital, un spécialiste de l’actionnariat salarié, pour construire le schéma de la reprise.

Actionnaire majoritaire depuis 2008, le fonds MBO & Co est sorti, pour laisser la place à Bpifrance à hauteur de 20 %, BNP Paribas Développement pour 20 % et des investisseurs régionaux, la Caisse d’Epargne Grand Est Equity, Euro Capital et le groupe ILP, à hauteur de 8 % chacun. A côté de ces investisseurs, les salariés de l’entreprise détiennent 36 % du capital, à travers un FCPE.

Un modèle "retourné" pour plus de valeur ajoutée

En 2017, quand Laurent Demasles arrive à la direction des Zelles, l’ETI avait bouclé l’exercice 2016 sur un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros et un résultat d'exploitation de 800 000 euros. "Le projet de l’actionnaire était de redresser la rentabilité de l’entreprise pour mieux la vendre. J’ai accepté le défi à une condition, celle de pouvoir faire une offre de reprise avec les salariés", détaille le dirigeant. Fort d’une carrière dans des grands groupes, qui l’a mené à travers le monde, l’ancien cadre de l’industrie pétrolière retourne le modèle de création de valeur de l’entreprise. "Notre métier, ce n’est pas que de fabriquer des menuiseries mais aussi de faire des chantiers. Au final, ça change tout", estime Laurent Demasles.

Avec deux sites de production de fenêtres PVC dans les Vosges, à Cornimont et à La Bresse, auxquels vient s’ajouter une usine dans le Sud-Ouest qui fabrique des menuiseries en aluminium, Les Zelles s’appuie sur un réseau de douze agences en France et travaille essentiellement pour le logement collectif, dans le neuf, où les clients sont des promoteurs immobiliers, et dans la rénovation pour des bailleurs sociaux ou des entreprises générales. Pour mieux cibler la valeur ajoutée, Laurent Demasle se tourne vers ses équipes sur le terrain avec une proposition : "Au lieu de calculer à l’euro près le prix d’une fenêtre, calculons à 3 % près et étudions un peu plus le contexte du chantier, le planning, les aléas".

Une petite révolution dans les process qui se traduit concrètement : avec des fenêtres identiques, un chantier plus compliqué sera plus cher. "Les équipes ont très vite répondu favorablement", assure le dirigeant, qui a recruté pour consolider sa stratégie. "Un industriel gagne plus d’argent s’il réduit le nombre de personnes. En chantier, moins il y a de personnes, moins les opérations sont bien gérées, plus les chantiers sont compliqués, et plus on perd d’argent. Donc il faut commencer par dépenser plus pour gagner plus. C’est pour cela que j’ai embauché 150 personnes." Cette attention portée à la recherche de la valeur ajoutée s’appuie sur un contexte favorable : "Quand je suis arrivé, il y avait de plus en plus de devis qui entraient, le marché repartait".

Les résultats suivent : l’entreprise Les Zelles termine l’année 2019 sur un chiffre d’affaires de 106 millions d’euros, pour un résultat d’exploitation de 4,3 millions d’euros. "Nous avons fait 30 % de croissance et la rentabilité a été multipliée par sept", se félicite Laurent Demasle. La crise sanitaire a pourtant bien failli remettre en cause le plan de reprise : "Nous devions boucler le deal le 13 mars 2020. Lundi 16 mars, Macron ferme le pays. On s’est donc concentré sur une seule chose, sauver l’entreprise et les salariés. On a tout arrêté".

Une ETI qui démontre sa résilience

Pendant deux mois d’arrêt complet, le dirigeant maintient le lien avec les salariés avant d’organiser la reprise : Les Zelles termine l’exercice 2020 sur un chiffre d’affaires de 86 millions d’euros, contre 110 millions d’euros attendus, et l’entreprise réussit à sortir 3,6 millions d’euros de résultat. "Nous avons fait 4,1 % de rentabilité, contre 4 % en 2019", souligne Laurent Demasles, qui reconnaît que le soutien de l’État lui a permis de sauver l’exercice : "Une partie des frais fixes ont été payés par l’État, avec le chômage partiel".

Pour le dirigeant, cet exercice 2020 marqué par la crise sanitaire permet de démontrer la "résilience" de l’entreprise. "En octobre, je suis retourné voir les actionnaires, en leur disant qu’on allait reprendre le processus de rachat là où on l’avait laissé. Et avec pour objectif d’aller au bout. Ils étaient tous d’accord, parce qu’on avait montré notre résilience, parce que c’est encore plus dans l’air du temps", détaille le directeur général de Les Zelles.

Pour reprendre Les Zelles avec les salariés, Laurent Demasles s’était fixé un cahier des charges précis : "Tout le monde est actionnaire au même endroit, de la même façon. Les petits salaires sont favorisés, l’ancienneté est favorisée et les gros salaires sont favorisés". Une équation impossible, que Jean-Philippe Debas réussira à résoudre grâce au FCPE de reprise. "Des dizaines de dossiers similaires pourraient intervenir chaque année maintenant que l’exemple a été donné", estime le président d’Equalis Capital, qui assure que ce FCPE de reprise est le premier depuis la promulgation de la loi Pacte en 2019. "Plus que jamais dans la période actuelle, l’actionnariat salarié est la meilleure manière de partager la valeur de l’entreprise, car il permet aux salariés de capitaliser sur leur travail sans peser sur la compétitivité des entreprises."

Soucieux qu’aucun salarié ne se désolidarise, Laurent Demasles a donc décidé de mettre en place un mécanisme d’abondement. "On a donné pour 200 € de parts de l’entreprise, auxquelles vient s’ajouter une décote de 30 %. Donc tout le monde, tous les salariés ont ça, qu’ils aient mis 1 € ou pas". L’ensemble du comité de direction a mis un an de salaire, et tous ont emprunté pour le faire. "Sur l’ancienneté, comme c’est un véhicule financier qui est logé dans le Plan d’épargne d’entreprise, il est possible de transférer les fonds d’un support à l’autre", précise Laurent Demasles. En mars dernier, à quelques jours du closing, 70 % des salariés ont "décidé de mettre de l’argent personnel dans le capital de l’entreprise", se félicite le dirigeant.

Vers des croissances externes

Avec tous les salariés au capital, entouré par des actionnaires qui ont accepté sans réserve à la fois le schéma de reprise et la transformation en entreprise à mission, Laurent Demasles veut maintenant décliner sa stratégie pour poursuivre sa trajectoire de croissance. Sur les 10 millions de fenêtres vendues chaque année en France, les particuliers pèsent environ 70 % de ce total, et Les Zelles ne réalise que 10 % de son activité sur ce marché qualifié de diffus. "C’est le résultat de l’histoire de l’entreprise", se désole Laurent Demasles. Repris en 1994 par le groupe Lapeyre, une filiale de Saint-Gobain, Les Zelles a été bloqué dans son développement sur le marché diffus par le géant de la construction, qui estimait alors que l’entreprise pourrait faire de l’ombre à ses magasins. "Ne pas être sur ce marché, c’est une erreur historique. Donc il faut se rééquilibrer. Il faudra qu’on se redéveloppe et que nous retrouvions une taille critique sur ce segment de marché", annonce Laurent Demasles, qui travaille déjà sur des croissances externes. "Une crise comme celle-là, c’est un moment de consolidation, le monde du BTP est en train de muter", assure le dirigeant.

Fidèle aux principes qui ont piloté la reprise de Les Zelles, le dirigeant anticipe les mécanismes financiers et veut se concentrer sur les valeurs. "Demain, nous pourrons proposer aux salariés d’une entreprise de les rejoindre dans le même projet actionnarial, avec exactement le même montage de reprise, pour que les salariés de l’entreprise Y viennent rejoindre Les Zelles, dans Pando, comme actionnaires. Avec les mêmes valeurs, on peut mettre les racines en commun, chacun profite de son positionnement et tout le monde se développe."

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