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Pierre-Étienne Bindschedler (Soprema) : "D’ici 2025, nous aurons investi un milliard d’euros"
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Pierre-Étienne Bindschedler PDG de Soprema "D’ici 2025, nous aurons investi un milliard d’euros"

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Positionné sur la protection, l’efficience énergétique et la gestion du bâtiment, Soprema devrait voir son chiffre d’affaires dépasser les 5 milliards d’euros en 2024. Tout en renforçant son ancrage alsacien, le groupe strasbourgeois (10 000 salariés) mène actuellement un programme d’investissement d’un milliard d’euros à l’échelle du monde. Entretien avec Pierre-Étienne Bindschedler, son PDG.

Pierre-Étienne Bindschedler, PDG de Soprema — Photo : © Atypix

Votre ancrage alsacien s’est affirmé en 2023 avec l’inauguration du "Grand Charles", votre siège à Strasbourg, et la construction d’une usine dédiée à l’étanchéité liquide juste en face. Vous venez en outre de faire l’acquisition d’un terrain de 12 hectares, appartenant à Stellantis, à Sausheim dans le Haut-Rhin. Dans quel but ?

Nous allons construire une usine de 30 000 m² pour fabriquer des supers-isolants. Il s’agit de mousses en polyuréthane qui présentent la meilleure performance thermique du marché. Avec ces isolants, nous pourrons soutenir les besoins pour les travaux d’isolation en façade, mais également les travaux d’isolation en toiture puisque 30 % de l’énergie d’un bâtiment s’évacue par la toiture. La chaleur monte et si la toiture est mal isolée, on constate une déperdition de l’énergie. Le secteur du bâtiment doit se décarboner ; pour cela, il doit consommer moins d’énergie. Le gouvernement parle de 700 000 rénovations à réaliser par an et annonce près de 35 millions de logements à rénover d’ici 2050. Il y a un phénomène de rattrapage très important que l’on voit dans toutes les agglomérations françaises. C’est dans ce contexte que nous construisons cette usine, avec la volonté forte de diminuer notre propre empreinte carbone en réduisant les kilomètres parcourus par nos isolants en camion pour arriver chez nos clients. Aujourd’hui, une grande partie de la production est faite en Allemagne et une autre est réalisée dans des usines françaises très éloignées (Saint-Julien-du-Sault dans l’Yonne et bientôt Nîmes, NDLR). En termes de transport, nous aurons tout à gagner.

Quel investissement représente ce projet à proximité de Mulhouse ?

L’investissement global est de 50 millions d’euros. Soprema emploie aujourd'hui 10 000 salariés dont la moitié en France, et ce projet devrait générer 80 emplois directs supplémentaires et autant d’emplois indirects. On peut espérer le début des travaux pour ce printemps et que le site soit opérationnel début 2026.

Pourquoi avoir choisi ce terrain dans la forêt domaniale de la Hardt ?

Ce terrain se situe sur une zone industrielle et était en vente. Il offre aussi la possibilité d’un embranchement ferroviaire. Cela nous permettra d’approvisionner l’usine et de livrer nos clients par le train. L’aménageur du terrain (la SAS Armau basée à Kingersheim, NDLR) s’est engagé à compenser largement plus que ce qui va être déboisé. 28 % des chênes seront conservés, un corridor de continuité écologique sera présent au nord du terrain et une barrière perméable à la petite faune sera créée. L’implantation de l’usine a été étudiée pour réduire au maximum les impacts écologiques.

Ne craignez-vous pas d’avoir affaire à des recours de la part d’associations environnementales ?

Ce projet intègre des aménagements permettant une continuité de zone verte. Les mesures compensatoires ont été largement respectées. On peut toujours trouver des raisons qui exposent pourquoi on ne devrait pas le faire, mais il va tout de même falloir mettre en place les ressources industrielles pour répondre à la demande d’isolation des bâtiments. Et faire parcourir des kilomètres à nos isolants dans des camions à travers toute la France ne me semble pas une bonne solution. Construire une usine n’est pas simple. Il y a des complexités et c’est une surcharge de travail pour nos équipes. On a toujours l’impression que c’est contraignant, mais il est aussi rassurant pour nous tous de savoir que les industriels font les choses correctement. Et c’est tout à fait normal que les pouvoirs publics s’assurent que les choses soient bien faites. En tant que citoyen, je peux tout à fait comprendre qu’on ait envie d’être rassuré sur les questions d’aménagement du territoire.

"Proposer une solution qui permette de remettre sur le toit ce que vous avez enlevé au sol est tout de même quelque chose de très positif notamment pour la biodiversité"

Votre ancrage local passe aussi par le "Grand Charles", votre siège qui est prisé aussi bien par le Medef que par diverses entreprises locales pour l’organisation de leurs événements…

Vous avez raison. Pour expliquer cela, il faut dire aussi que nous avons bénéficié d'un écho très important dans les médias, à ma grande surprise, grâce à notre squelette de mammouth, acquis par Soprema en 2017 et aujourd'hui installé dans le hall d'accueil de notre siège. Ce dernier renvoie à notre logo (et aux origines de l’entreprise, fondée en 1908, par Charles Geisen pour qui la texture des membranes d’étanchéité fabriquées faisait penser à la peau craquelée de l’animal au point d’être appelées mammouth, NDLR). L’autre paramètre très surprenant a été l’écho généré par son exposition, avec le concours d’Aquatique Show, dans le cadre de L’Industrie Magnifique à Strasbourg en 2018. Tout cela a eu un fort impact en termes de visibilité. L’animal, le mammouth, doit également y être pour quelque chose. Il fait penser à l’éléphant. Je crois que dans l’imaginaire collectif, l’éléphant a un côté très attachant parce qu’il vit en famille et est reconnu pour protéger ses petits. Il a un côté rassurant et fort. Si nous avions fait l’acquisition d’un scarabée, ça n’aurait peut-être pas attiré autant de monde (rires).

Soprema s’affiche également au côté du Racing Club de Strasbourg. Qu’est-ce qui vous a motivé à investir dans le football ?

Soprema est devenu le "namer" officiel du Racing Soprema Parc (où s’entraîne l’Académie du club alsacien, NDLR) en 2022. Depuis cette saison, nous sommes aussi sponsor maillot. Nous sommes reconnus par les professionnels du bâtiment, mais moins des particuliers. Depuis quelques années, nous avons développé une gamme de solutions d’étanchéité et d’isolation pour le marché des grandes surfaces de bricolage et c’est principalement pour développer ce marché que nous avons engagé ce partenariat. Les matchs à la Meinau et les matchs à l’extérieur contribuent à développer notre notoriété sur tout le territoire. Par ailleurs, nous partageons avec Marc Keller (président du RCSA, NDLR) et ce club une histoire similaire, puisque le Racing et Soprema ont traversé de grandes difficultés dont nous nous sommes relevés avec force. Les valeurs du club, avec son esprit familial et collectif, font également écho à notre ADN.

Outre les solutions d'isolation, Soprema accélère aussi sur le marché des toitures végétalisées. Quelles retombées en attendez-vous en termes de business ?

Soprema a créé la végétalisation de toiture dès 1987. Chaque construction retire un bout de terre au sol, que ce soit pour une maison individuelle, un logement collectif ou une usine. Proposer une solution qui permette de remettre sur le toit ce que vous avez enlevé au sol est tout de même quelque chose de très positif notamment pour la biodiversité. Il aura fallu attendre la canicule de 2003 pour qu'on voie les ventes réellement augmenter. Aujourd'hui, nous vendons plus de 300 000 m² par an. Nos prévisions, portées par les nouvelles réglementations, nous permettent de prévoir une forte évolution dans les mois et années à venir. Ces volumes contrastent avec ceux de nos débuts lorsque nous réalisions 30 000 m² par an, principalement avec des clients parisiens qui avaient des toitures en contrebas et cherchaient à les rendre plus jolies.

Malheureusement, ce sont des sujets qui ne sont pas brevetables puisque mettre du substrat et des plantes sur une surface assez mince, à mon grand regret, ce n'est pas quelque chose qui se brevette. J'en parle très librement puisque ce n'est pas moi qui dirigeais l'entreprise à l'époque.

Au-delà de l’esthétisme, en quoi vos solutions peuvent-elles aider à s’adapter au réchauffement climatique ?

La fonction première d’une toiture-terrasse, c’est évidemment de nous protéger. Mais vous pouvez aller encore plus loin et vous servir de votre toiture plate pour réintroduire de la biodiversité et produire de l’énergie par exemple. Nos travaux de recherche autour de la végétalisation de toiture nous ont ainsi amenés à un nouvel axe de développement avec la gestion des eaux de pluie.

C’est là que le projet Skywater est né et il y a pléthore d’éléments qui nous ont permis de construire cette offre. Première chose, la toiture est un réceptacle d’eau de pluie. Cette eau de pluie était évacuée directement dans les égouts. Comme nous avons en ville des surfaces artificialisées de plus en plus importantes, les débits d’eau sont très importants en cas de fortes pluies. Les égouts n’ont pas été dimensionnés en conséquence, ce qui crée des inondations alors que cette eau pourrait être absorbée dès la toiture-terrasse. Nous proposons depuis longtemps des solutions qui permettent de stocker temporairement l’eau et de freiner son arrivée dans les égouts. Cela ne réglera pas tout, mais cela permet d’adoucir la situation.

Le toit du restaurant du "Grand Charles", du nom du siège de Soprema à Strasbourg, présente un dispositif de phytotoiture — Photo : DR

Puis nous avons développé des solutions permettant de profiter du stockage de l’eau en toiture pour irriguer les végétaux. Une toiture végétalisée permet de lutter contre les effets des îlots de chaleur urbains. Nos équipes ont travaillé sur des assemblages de plantes très évapotranspirantes. Malheureusement ce n’est pas brevetable non plus mais, un mètre au-dessus de la toiture végétalisée, nous avons constaté une température inférieure de 4°C à la température extérieure. Enfin, nos plantes en toitures permettent aujourd’hui de proposer des solutions de phytoépuration. La nouvelle solution Skywater Clear permet de traiter les eaux grises du bâtiment. Avec cette eau filtrée et nettoyée de ses bactéries, les usagers n’utiliseront plus d’eau potable pour les chasses d’eau, les machines à laver, l’arrosage du jardin… Nous pourrions même prévoir de la faire circuler dans les sols pour les rafraîchir et donc limiter l’utilisation de la climatisation.


Votre procédé de filtration des eaux grises par les plantes a été lancé fin 2023. Avez-vous déjà des références ?
La mise en place de nos nouvelles solutions nécessite à chaque fois des dérogations spéciales. Mais nous avons expérimenté la solution de traitement des eaux grises sur le toit de notre siège social ainsi que sur celui de la Manufacture des Tabacs à Strasbourg.

Nos solutions peuvent avoir un impact important. Car la consommation moyenne d'un Français est de 160 litres d'eau par jour. L'enjeu consiste à traiter les eaux usées mais aussi à augmenter la capacité de stockage en pied de bâtiment, puisque nous ne pouvons pas stocker des quantités infinies d'eau en toiture. Des stocks nécessaires en périodes de stress hydrique.

"Nous avons d'autres projets de construction d'usines tant en Europe qu'en Amérique du Nord"

Rappelons que ces périodes de pénurie sont de plus en plus fréquentes. À titre d’exemple, nous approvisionnons notre usine de Strasbourg par barge puisque nous sommes au bord du Rhin. Et l’été dernier, pour la troisième année consécutive, nous n’avons pu transporter nos matières premières par voie fluviale pendant 3 à 6 semaines à cause du tirant d’eau. C’est paradoxal puisque nos ancêtres ont tout fait pour canaliser le Rhin en raison de ses débordements. Et maintenant on cherche à le réalimenter. Finalement, la toiture-terrasse, c’est l’avenir de l’Homme !

Quelles sont les perspectives pour Soprema en 2024 ?

L’année s’annonce compliquée en France. Le tout est de savoir si cela va durer 12 mois, 18 mois ou 24 mois. Mais Soprema a la chance d’avoir développé son activité dans le monde entier et heureusement tous les pays ne sont pas dans la même situation économique pour le logement.

Avez-vous d’autres projets d’investissement ?

Oui, on en a plusieurs. Nous avons l’usine de super-isolants de Nîmes qui va démarrer sa production en fin d’année et favoriser un bon maillage sur le territoire, en servant également les marchés espagnols et italiens à proximité. Enfin, nous avons d’autres projets de construction d’usines tant en Europe qu’en Amérique du Nord. D’ici 2025, nous aurons investi un milliard d’euros dans le cadre d’un programme d’investissement qui est en cours de réalisation.

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