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Michel Chapoutier : « Créer un centre de mise en bouteille aux États-Unis pour échapper aux taxes »
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Michel Chapoutier président d'InterRhône Michel Chapoutier : « Créer un centre de mise en bouteille aux États-Unis pour échapper aux taxes »

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Dans la Vallée du Rhône, le tonitruant Michel Chapoutier, à la tête du domaine éponyme de Tain-l’Hermitage, président de la Maisons des Vins de France, mais aussi membre de l’établissement national FranceAgriMer et président d’InterRhône, gronde… Depuis le 18 octobre, les vins en provenance de France, d’Allemagne, de l’Espagne et du Royaume-Uni, sont taxés, à l’entrée des États-Unis, à hauteur de 25 %. Ces "représailles" viennent compenser des aides européennes perçus par Airbus pendant 15 ans, qui défavorisaient l'américain Boeing.

— Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Quels sont les effets concrets de la hausse des barrières douanières à l’entrée des États-Unis, mesure prise en représailles des subventions européennes au profit d’Airbus ? Quelles conséquences sur les ventes des vins de la Vallée du Rhône ?

Michel Chapoutier : Nous sommes touchés de plein fouet. Les vignobles de la Vallée du Rhône représentent la troisième région viticole exportatrice française. Or, les États-Unis sont le plus gros importateur de vins de la Vallée du Rhône, avec 146 781 hectolitres exportés en 2018 (soit 16 % de la production), pour une valeur de 107,30 M€ (+5 % par rapport à 2017). Concrètement, un Côtes-du-Rhône, qui représente la deuxième appellation de l’offre Rhône dans l’État de New York (18 % du volume de l’appellation), s’achetait 14,99 dollars avant la surtaxe. Il est passé à 18,39 dollars depuis le 18 octobre.

Vous redoutez donc que cette hausse des prix n’impacte à la baisse le chiffre d’affaires des exploitations ?

M.C. : La question n’est pas là ! Nous vendons nos produits les plus chers aux États-Unis, donc nous devons raisonner en termes de marge. Dans un avion, si vous enlevez les premières classes, elles ne pèseront que 10 % du chiffre d’affaires, mais peut-être 30 % de la marge.

« Cette surtaxe pourrait provoquer la faillite potentielle de certaines exploitations, et pas seulement des plus petites. »

Un vigneron en Côtes-du-Rhône fera 10 ou 15 % de marge sur sa bouteille vendue 3 euros HT, soit un gain de 30 centimes par bouteille. Mais avec sa plus petite parcelle de vieilles vignes, il vendra des bouteilles à 10 euros, pour 5 euros de marge. Alors oui, les États-Unis représentent 20 % de son chiffre d’affaires, mais aussi et surtout 60 % de sa marge, laquelle lui permet de financer du matériel et payer sa main-d’œuvre. Cette surtaxe pourrait provoquer la faillite potentielle de certaines exploitations, et pas seulement des plus petites.

Le Domaine Chapoutier à Tain L'Hermitage — Photo : DR

Comment comptez-vous engager la riposte ?

M.C. : Une solution m’apparaît pertinente, inspirée par l’action de Bernard Arnaud, qui détient en France le marché du cognac et du champagne, deux produits qui n’ont pas été touchés par les surtaxes. Il a investi et inauguré, la semaine dernière, un atelier de maroquinerie Louis Vuitton au Texas, en présence de Donald Trump. Un investissement de 45 millions d’euros (50 millions de dollars) permettant d’embaucher 150 couturières américaines.

La solution consiste donc à investir au pays de l’Oncle Sam ?

M.C. : Les vins qui sont importés en vrac et mis en bouteille aux États-Unis ne sont pas taxés. On a peut-être là une carte à jouer, avec une cohérence à la fois économique et écologique. Au Domaine Chapoutier, on s’est lancé !

Les chiffres sont confidentiels, mais 100 000 caisses de Côtes-du-Rhône rosé et blanc vont partir en citerne pour être mises en bouteilles aux États-Unis. Du point de vue du bilan carbone, quand vous envoyez une bouteille de vin outre-Atlantique la matière sèche est plus lourde que le vin, donc il est plus logique d’envoyer le vrac et de faire la mise en bouteille sur le marché de destination. J’aimerais maintenant faire en sorte qu’elle soit applicable pour tout le monde.

Comment ?

M.C. : En proposant que la France se dote d’un centre de mise en bouteille aux États-Unis sous contrôle de l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité, NDLR) et de l’Institut français du Vin, certifiant que les mises en bouteille sont réalisées par des Français.

« Nous pourrions construire un ou deux sites d'embouteillage du vin français aux États-Unis, l’un sur la côte est et l’autre sur la côte ouest. »

On pourrait regrouper derrière ce projet une centaine d’entreprises viticoles et des organisations françaises, pour construire un ou deux sites, l’un sur la côte est et l’autre sur la côte ouest des États-Unis. On est en train de finaliser la faisabilité de cette idée. Ça marchera sur le Côtes-du-Rhône, mais évidemment pas sur un Tain-l’Hermitage à 150 euros.

Quel en serait le montage économique ?

M.C. : Je propose que l’on crée un consortium français de maisons de vins, où chacune mettrait, par exemple, 50 000 euros au capital. Bpifrance pourrait nous suivre et nous aider à construire ou racheter un centre de mise en bouteilles. Cette solution me paraît pouvoir être acceptée par l’État fédéral, puisque l’on investit chez eux. Il faudrait lever 30 millions d’euros, avec 10 millions à lever et 20 millions d’emprunts. Ceci ne réglerait pas pour autant le problème du vigneron, qui doit vendre 60 000 bouteilles. Il nous restera à travailler plus finement cette question.

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