Made in France, une recette qui fait vendre ?
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Made in France, une recette qui fait vendre ?

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Les consommateurs le plébiscitent, au moins en intention. Les entreprises le mettent en avant dans leurs argumentaires commerciaux. Alors marketing ou vraie tendance de fond, le made in France ? A l’heure où s’ouvre, à Paris, un salon qui lui est consacré, le point sur les réussites et les défis de ces entreprises qui ont choisi de "produire français".

La savons Marius Fabre arborent désormais le drapeau tricolore et même les couleurs de la République. Il faut dire que la PME marseillaise de 40 salariés vient de signer son entrée dans la boutique de l'Elysée. — Photo : @savonnerieMariusFabre

Cosmétique, habillement, gastronomie, high-tech… Tous les secteurs de l’économie sont représentés à MIF Expo. Pour son édition 2019, le salon du Made in France, qui se tient à Paris du 8 au 11 novembre, accueille 550 exposants et 70 000 visiteurs. Sa fondatrice et présidente Fabienne Delahaye se réjouit : « La fréquentation du salon progresse tous les ans depuis 2012. Le made in France est devenu un sujet majeur pour les consommateurs et les entrepreneurs, qui n’hésitent pas à le mettre en avant dans l’ADN de leur marque. Ce salon est le lieu de rencontres de consommateurs motivés par le made in France – 86 % des visiteurs achètent sur le salon – et de professionnels venant sourcer des produits made in France (MIF). »

Des succès et une certification pour le made in France

Derrière la vitrine, quelle réalité recouvre réellement le MIF ? Le made in France a ses success stories, illustrées par le Slip français, récemment récompensé pour sa croissance par le Prix Antoine Veil-Origine France Garantie. La marque, qui affiche haut et fort sa volonté de redonner vie à l’industrie textile française, réalise en France toutes les étapes de fabrication de ses produits, du tricotage des fils aux élastiques et étiquettes. En huit ans, elle a ainsi créé une centaine d’emplois directs et 200 indirects dans 42 usines, réparties sur tout le territoire, pour un CA de 20 M€ en 2018.

• 600 entreprises certifiées "Origine France Garantie"

Le MIF a également sa certification. En 2010, Yves Jégo, député de Seine-et-Marne, a en effet fondé Origine France Garantie (OFG), une certification attribuée sur 2 critères : 50 à 100 % du prix de revient unitaire du produit doit être français et celui-ci doit prendre ses caractéristiques essentielles en France.

« Origine France Garantie est devenu un élément de différenciation, dans un siècle où la marque ne garantit pas l’origine du produit. »

600 entreprises, comme Quo Vadis, n’ont pas hésité à débourser de 800 à 3 000 € pour obtenir ce label et garantir ainsi 3 000 gammes de produits. « Quand j’ai créé cette certification, la seule du genre attestée par un organisme indépendant, elle était portée par une démarche de patriotisme économique. Aujourd’hui, elle est devenue un acte de traçabilité et de transparence, ainsi qu’un élément de différenciation, dans un siècle où la marque ne garantit pas l’origine du produit », affirme Yves Jégo.

Des arguments commerciaux et responsables

Plusieurs études montrent effectivement que le MIF est un argument qui fait mouche auprès des consommateurs. Selon le sondage Ifop, réalisé pour Pro France, en septembre 2018, 59 % des Français regardent l’origine d’un produit ou d’un service au moment de l’acheter.

Si la qualité et le prix constituent les principaux leviers d’achat, les enjeux relatifs au pays de fabrication et à la préservation de l’environnement gagnent en intensité au fil des enquêtes. 74 % des Français se disent même prêts à payer plus cher pour un produit made in France. Les motivations mises en avant sont d’ordre citoyen, comme la préservation des emplois et des savoir-faire en France ou la garantie du respect des normes sociales et environnementales, mais aussi l’assurance d’une meilleure qualité. Des attentes qui amènent des entrepreneurs à investir ou réinvestir le créneau du MIF.

• Les exemples d'Eram et Weenat

Le groupe Eram vient ainsi de lancer Sessile, une marque de chaussures éco-conçues recyclables et labellisée OFG, car imaginées et fabriquées dans ses ateliers en Anjou. « Le MIF est pour nous un argument de vente et une valeur forte. Nous sommes fiers de pouvoir dire que nous contribuons à maintenir les emplois et les savoir-faire sur notre territoire. À La Manufacture, nous fabriquons des chaussures vendues sous nos marques (Mellow Yellow, Bocage, Gemo…). Nous sommes également de plus en plus sollicités par de jeunes créateurs et des grandes marques qui se posent la question de relocaliser en France une partie de leurs productions, sous-traitées dans des pays lointains ou mêmes européens », témoigne Virginie Radier-Tricard, responsable développement et marketing à La Manufacture.

« Nous sommes de plus en plus sollicités par des entreprises qui se posent la question de relocaliser en France une partie de leurs productions sous-traitées. »

Eram, qui emploie près de 250 salariés dans ses deux sites du Maine-et-Loire, a ainsi produit 30 000 paires de chaussures pour Le Coq Sportif, tout en travaillant pour de jeunes marques comme Ubac, qui produit des baskets en laine recyclée ou 1083, qui revendique de produire ses jeans et chaussures à moins de 1 083 km du consommateur français, grâce à la relocalisation de toutes ses étapes de fabrication.

La société nantaise Weenat (20 salariés), qui fabrique des capteurs météo connectés pour l’agriculture, adhère à cette logique. « Nos capteurs sont entièrement fabriqués en France, essentiellement chez des sous-traitants locaux. C’est une volonté forte de notre part pour maintenir la qualité, la proximité et les emplois sur notre territoire », avance Jérôme Le Roy, son dirigeant.

• Les Chinois aussi misent sur le made in France

La qualité française attire même des industriels chinois. Les sociétés shanghaïennes Dowell et Yidai ont récemment fait le choix d’implanter en région lyonnaise un site de production de cosmétiques bio, qui emploiera à terme 80 personnes. « Ces produits seront majoritairement destinés au marché chinois. Ils bénéficieront d’un label made in France très recherché par les consommateurs chinois », précise Lin Fu Rong, futur dirigeant du site.

D’autres arguments militent également en faveur du MIF : la hausse des salaires en Chine (de l’ordre de 20 % par an), les frais de logistique, les aléas de livraison, le manque de réactivité de centres de production situés à l’autre bout du monde… Sans compter que, du côté du consommateur asiatique, les produits français ont la cote, comme a pu s'en rendre compte Marc Pradal, à la tête de l'entreprise normande Kiplay.

Relever le défi de la compétitivité

Les industriels souhaitant développer des business model fondés sur le made in France se trouvent cependant vite confrontés au principe de réalité, à savoir produire à des coûts compétitifs pour vendre aux prix du marché. « On peut résoudre cette équation en mettant de l’intelligence dans la conception des produits, pour optimiser les processus de production et d’assemblage ou alors automatiser ces process », analyse Jean-Baptiste Guillaume, associé chez IAC Partners, cabinet de conseil spécialisé dans la compétitivité industrielle.

Ce spécialiste décèle par ailleurs plusieurs tendances émergentes qui pourraient porter le MIF : la personnalisation de produits de consommation fabriqués ailleurs pour les adapter au marché français, les business models autour de la seconde vie ou du recyclage, avec des sites de production devenant également des sites de réparation, les modèles axés sur l’écoconception et les circuits courts, et plus généralement les modèles économiques alternatifs.

• Un timide mouvement de relocalisation industrielle

De fait, on assiste, depuis le milieu des années 2000, à un reflux des délocalisations. Les services de Bercy ont même identifié 98 relocalisations entre 2014 et 2018, à l’instar du Coq Sportif, Kusmi Tea, Lemaitre Sécurité, Bati Renov, LucibelUn mouvement également à l'oeuvre en Auvergne Rhône-Alpes, par exemple.

Insuffisant toutefois pour compenser les emplois perdus, mais selon les estimations du Medef, ce mouvement contribuerait à faire remonter de 12 à 15 % d’ici à cinq ans la part de l’industrie dans le PIB de la France.

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