Pourquoi ces PME relocalisent leur production en France
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Pourquoi ces PME relocalisent leur production en France

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Elles ne sont encore que quelques dizaines dans la région. Peu nombreuses mais audacieuses, des entreprises d'Auvergne Rhône-Alpes ont fait le choix de rapatrier leur production en France ces dernières années. Un contre-pied à la tendance des délocalisations, qui répond à divers enjeux de compétitivité, d’innovation et de maîtrise de la production.

— Photo : FAG

L’engouement autour du « made in France » incite-t-il les entreprises à revoir leur schéma de production et à relocaliser ? Elles ne sont pas encore nombreuses, mais certaines entreprises d’Auvergne-Rhône-Alpes s’illustrent, ces dernières années, par un retour industriel gagnant dans l'Hexagone. En 2010 déjà, le haut-savoyard Rossignol initiait le mouvement, en relocalisant une partie de sa production de skis de Taïwan au pied du Mont-Blanc, à Sallanches.

Bien que le phénomène demeure marginal, les cas de relocalisations d’entreprises régionales répondent avant tout à des choix stratégiques de quête de compétitivité et de différenciation. Témoignages.

Raison n°1 : la protection de l’innovation

Courant février 2019, le fabricant d'enceintes acoustiques stéphanois Focal a rapatrié de Chine la production de ses membranes audio d'entrée de gamme, mettant ainsi un terme à un partenariat initié dans les années 2000. « Nous avions fait un peu de bricolage en interne mais, très vite, nous avions pris la décision de sous-traiter en Chine. Le problème, c’est qu’au fil du temps, notre partenaire a commencé à vendre nos membranes à d’autres. Le produit s’est banalisé, a été copié et est devenu moins bon », relate Christophe Sicaud, le président de Vervent Audio Group (CA 2018 : 97,3 M€ / 460 salariés), holding qui chapeaute les marques Focal et Naim.

La PME de La Talaudière (Loire) a donc décidé de reprendre la main, en investissant 500 000 € en R&D et autant dans la création d’une ligne de production. Elle va lui permettre de proposer trois nouvelles lignes de membranes d’ici à 2021 et de se démarquer ainsi de la concurrence. « Nos prix vont progresser davantage que si nous avions continué à produire en Asie, mais nos membranes audio seront bien plus qualitatives. Et cela se valorise », assure Christophe Sicaud. Avec cette relocalisation, le dirigeant de Focal espère générer 10 M€ de chiffre d’affaires par an à horizon 2021, contre « 6 à 7 M€ par an avec nos anciennes membranes asiatiques ».

Raison n°2 : le choix du made in France

Au lancement de MonBento (CA 2018 : 8 M€ / 37 salariés), à Clermont-Ferrand, en 2009, Émilie Creuzieux se tourne vers la Chine pour la fabrication de ses boîtes alimentaires pour les repas. « Bien qu’il y ait des usines d’injection plastique dans la région, nous sommes allés en Asie, par défaut. Nous nous sommes rendu compte qu’en termes de coûts et de délais, c’était impossible de le faire en France, malgré notre envie », explique-t-elle.

Déterminée à fabriquer dans l'Hexagone aussi pour des raisons d’image, l’entreprise refait chaque année des cotations auprès de fabricants locaux. Et c’est en 2017 qu'elle relocalise la production de son modèle phare en plastique (50 % du CA) chez Buathier SAS, à Oyonnax dans l'Ain, et celle en bois à Vertolaye (Puy-de-Dôme). « L’industrie française s’est modernisée pour être plus compétitive », reconnaît-elle. « Le plus difficile a presque été de retrouver la même qualité de fabrication que celle que nous avions en Chine ». Une démarche par ailleurs onéreuse : « La duplication des moules pour augmenter la production représente plusieurs centaines de milliers d’euros d’investissement », avance Émilie Creuzieux.

Même volonté de développer le "made in France" pour la PME d'Annecy Mobilis Development (CA 2018 : 15 M € / 80 salariés), spécialisée dans les accessoires de protection informatique. « Nous avons pris le parti de rapatrier une partie de la production de nos protections pour tablettes de la Chine vers la France il y a dix ans », explique Marc Fernandez-Lado, directeur général. En octobre 2019, Mobilis rapatriera le reste de la production chinoise de sa gamme Protech sur un nouveau site à Annecy. Une décision renforcée par la demande des clients. « Nous travaillons à 80 % en BtoB, notamment avec l’État qui cherche des fournisseurs tricolores, ajoute-t-il. À prix équivalent, nous avons voulu privilégier le développement de ce savoir-faire en France. C’est aussi plus vertueux en termes d’écoconception et d’emploi. »

Avec un investissement total de 6 M€ dans ce nouveau site, qui accueillera le siège et le plateau technique de production, Mobilis triple ses capacités de production à 3 millions de pièces par an. Un prérequis pour doubler de taille en cinq ans.

Raison n°3 : la maîtrise de la production

À la tête de l’entreprise haut-savoyarde FA Gerbelot, à Cluses (CA 2018 : 5 M€ / 30 personnes), Alain Parmentier avait l’habitude de travailler avec une fonderie allemande pour s’approvisionner en cages de roulements à billes. En 2011, faute de rentabilité, ce sous-traitant arrête son activité. « Nous avions le choix entre faire appel à des fondeurs indépendants mais concurrents, ou relocaliser la production dans la vallée de l’Arve », explique-t-il. Après deux ans d’études et 4,5 M€ d’investissement, il embauche un ingénieur fondeur et crée la Fonderie du Mont-Blanc. Une décision dont il se félicite : « Cela nous permet de maîtriser le prix de la matière première, de faire plus de quantité et d’être plus réactif, en bénéficiant de temps de transport plus courts », précise le dirigeant.

Raison n°4 : la maîtrise des coûts

7 millions d'euros ont été investis par la PME Eur'Ohm pour la création de trois lignes de production robotisées à Tullins (Isère) — Photo : Eur'Ohm

En rapatriant de Chine un tiers de l’activité en matériel électrique de sa PME Eur’Ohm (CA 2018 : 20 M€ / 40 salariés) à Tullins, en Isère, Jean-Pascal Emelien a fait le pari de la rationalité. « Avec la robotisation, nous avons pu atteindre des coûts de revient compétitifs sur les grandes séries et obtenir une plus grande indépendance par rapport aux fluctuations monétaires », explique le patron, qui a investi 7 M€ dans une usine en Isère en 2016.

Une mise en œuvre logique, justifiée aussi par la volonté de maîtriser le besoin en fonds de roulement de l’entreprise. « Sur les petites séries notamment, nous étions obligés de stocker davantage de produits, ce qui avait une incidence sur la trésorerie », précise-t-il. D’autant que la relocalisation est aussi devenue « un projet d’avenir fédérateur et motivant en interne ».

Avec une vingtaine d’emplois directs et indirects créés, Jean-Pascal Emelien songe déjà à rapatrier une autre partie de sa production d’ici deux à trois ans.

Raison n°5 : la différenciation

Chez Sam Outillage (CA 2018 : 35 M€ / 180 salariés), fabricant d’outillage à main de Saint-Étienne, la relocalisation répond à des enjeux d’innovation et de différenciation. Sous-traitées dans les années 1990, les servantes d’atelier sont re-designées au début des années 2000. « Rapidement, nous en avons commercialisé plus de 2 000. Pour des raisons de coût, nous avons délocalisé la production en Europe de l’Est. Mais avec l’augmentation des volumes et la sophistication grandissante du produit, nous avons décidé de réinternaliser cette production », expose Olivier Blanc, directeur général. Sam Outillage rachète donc, en 2012, une tôlerie près de Montpellier. « Cela nous a permis de mieux maîtriser notre production. Aujourd’hui, la servante est un produit phare. Nous en fabriquons 800 par mois, 9 000 à l’année », se félicite Olivier Blanc.

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Mieux maîtriser sa production et ses innovations

« Depuis cinq ans, une dizaine d’entreprises régionales a fait le choix de relocaliser », avance Patrice Liogier, référent unique à l’investissement à la Direccte Lyon. Le phénomène des relocalisations est donc relativement récent et les objectifs variés. « L’attention portée à la qualité de fabrication et aux gains de productivité prime », avance Charles-Edouard de Cazalet, directeur associé du cabinet de conseil en financement public des entreprises Sogedev. La maîtrise de l’innovation est l’autre raison généralement invoquée par celles qui craignent d’être copiées. « Le risque de contrefaçon est plus facile à maîtriser en France que dans certains pays », explique Patrice Liogier. Un sentiment partagé par l’expert de Sogedev : « La protection de la propriété intellectuelle est un argument avancé par les candidats à la relocalisation. »

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