Occitanie
L'Occitanie pousse le curseur de l'audiovisuel pour capter plus de tournages
Enquête Occitanie # Audiovisuel # Infrastructures

L'Occitanie pousse le curseur de l'audiovisuel pour capter plus de tournages

S'abonner

Déjà richement dotée en créatifs, écoles et prestataires pour le cinéma et l’audiovisuel, l’Occitanie multiplie les projets en matière d’infrastructures de tournage. À Montpellier, figure de proue de cette nouvelle dynamique, la filière devient un moteur économique à part entière.

Les Tontons Truqueurs, créateurs d’effets spéciaux, se sont adossés à France TV Studio en 2021 — Photo : Les Tontons Truqueurs

Si l’ambition de l’appel à projets "La Grande Fabrique de l’Image", ouvert en 2021 par l’État dans le cadre du plan France 2030, vise à doubler les capacités de tournage en France, alors l’opération met clairement en vedette l’écosystème régional du cinéma et de l’audiovisuel. Onze des 68 lauréats annoncés au printemps se trouvent en Occitanie et se partageront 51 millions d’euros de dotations, en plus des investissements portés par les porteurs de projets. La région, qui détenait déjà un record national hors Paris avec 3 000 jours de tournage par an – soit cinq fois plus qu’en 2016 –, veut faire beaucoup mieux à l’avenir. Avec les projets labellisés, la surface de tournage des studios occitans atteindra bientôt 25 000 m3. Et le secteur audiovisuel vise le seuil des 13 000 emplois d’ici deux ans, égalant la filière du spatial…

France Télévisions consolide ses ambitions

Dans cette dynamique triomphale, Montpellier se taille la part du lion. La Métropole héraultaise accueille déjà plus de 800 jours de tournage par an, contre moins de 100 à Toulouse. Elle compte à elle seule huit des onze projets lauréats en région, soit un potentiel de 2 000 créations d’emplois. "Montpellier profite de trois atouts : une démarche solidaire entre la Région, la Métropole et les intercommunalités voisines, une importante capacité à faire des porteurs de projets, et le potentiel d’un écosystème complet, incluant écoles, studios et secteur numérique", juge Michael Delafosse, maire-président de Montpellier Méditerranée Métropole.

Si La Grande Fabrique de l’Image distingue aussi les studios de création numérique -dont le studio d’animation toulousain TAT - les annonces les plus spectaculaires concernent les studios de tournage de films et séries télé. En 2018, Montpellier avait frappé un grand coup avec l’inauguration des studios de France TV Studio, filiale de diversification de France Télévisions, dans la commune limitrophe de Vendargues. En cinq ans, le groupe a investi plus de 20 millions d’euros pour bâtir et renforcer cette infrastructure de production audiovisuelle de 16 000 m2, dont 4 000 m2 pour les tournages. Aux deux studios initiaux se sont rajoutés deux studios de plus en 2022, sans compter les 60 métiers implantés sur place, dont une menuiserie pour les décors (600 m2), un atelier de peinture (250 m2) et un espace de postproduction (600 m2). Quelque 2 500 collaborateurs participent, chaque année, au tournage de deux séries à succès, Un si grand soleil (3,6 millions de téléspectateurs par jour) et Ici tout commence.

Dans le cadre de France 2030, le projet de France TV Studio consiste à doubler la capacité de tournage, avec 4 000 m2 supplémentaires d’ici 2025. Mais il vise surtout à créer un nouveau hub d’activités autour du site : pour cela, France TV Studio s’est associée à la société marseillaise Proudreed, qui a la maîtrise foncière de 11 ha dans le même périmètre. L’objectif est d’attirer des entreprises et des organismes (écoles, prestataires, fournisseurs, studios d’animation ou d’effets spéciaux, etc.) qui pourront bénéficier de l’offre de services déjà en place. L’investissement global se monte à 30 millions d’euros. "Au-delà des plateaux de tournage, nous disposons de capacités de services importantes : décors réels, décors virtuels, peinture, bureaux, loges… Notre ambition est de renforcer cette offre pour être au plus près des entreprises. Il y a un besoin urgent de se regrouper et mutualiser des moyens pour attirer plus de productions. L’audiovisuel est une compétition planétaire. Les plus grands studios mondiaux regardent les infrastructures disponibles à six mois, sinon ils vont voir ailleurs", analyse Olivier Roelens, producteur exécutif pour France TV Studio. Cette activité de prestataire a déjà largement commencé : la société est notamment intervenue comme opérateur technique sur une prochaine mini-série de Netflix, Monsieur Spade.

Pics Studio vise très haut

Un autre projet gargantuesque, baptisé Pics Studio, s’est aussi distingué dans le cadre de France 2030. Porté par deux montpelliérains, l’aménageur urbain GGL et le promoteur Spag, ce complexe de production cinématographique se déploiera sur trois communes de la métropole. À Saint-Gély-du-Fesc, quelque 43 000 m2 de surface plancher seront mobilisés. Un premier site accueillera huit plateaux de tournage, des studios de post-production et un campus de formation. Un deuxième site sera dédié à 200 logements étudiants. À Pérols, une friche industrielle de 7 ha sera reconvertie pour installer des loges et de 12 à 14 studios spécialisés en plus. À Fabrègues, une offre de logement de 125 écolodges sera bâtie à destination des professionnels et des producteurs. L’opération, livrable en 2025, nécessite un budget de 185 millions d’euros, intégralement sur fonds privés. "De nos discussions avec des professionnels est née la conviction que l’arrivée des streamers a transformé le secteur du cinéma. Or, nous faisons face à un fort déficit de studios disponibles en France, par rapport à l’offre mondiale, y compris en Europe. Nous avons donc conçu un projet immobilier d’usages pour cette industrie en pleine évolution", résume Antoine Pietrera, DG de Spag.

Pics Studio a aussi formé son propre écosystème, en embarquant des studios d’animation et d’effets spéciaux, une école de cinéma (le montpelliérain Artfx), ainsi que des sociétés de doublage, de postproduction audio, d’éclairage, etc. Pour piloter ce navire amiral, GGL et Spag ont convaincu des professionnels chevronnés, tels que Benoit Jaubert (producteur de John Woo, Spike Lee, Mathieu Kassovitz, etc.) ou Véronique Cuilhé (20 ans d’expérience avec Nicole Garcia, Jacques Rivette, etc.). "Nous avons une vision d’aménageurs. Notre métier historique est de réfléchir aux équipements, aux accès… Nous avons donc conçu Pics Studio comme une usine de l’audiovisuel. C’est un réceptacle pour toute l’industrie locale, sur un modèle ouvert, avec de nombreux services à disposition pour produire des films", résume Alain Guiraudon, directeur associé de GGL.

Une vague d’investissements locaux

Pour Hind Emad, vice-présidente de la Métropole chargée de l’économie, l’ampleur des projets retenus prouve qu’après de longues années d’accompagnement, l’écosystème audiovisuel passe un cap : "C’est devenu un vrai moteur de croissance. Nous sommes sollicités par un nombre croissant d’entreprises que nous accompagnons, en lien avec la Région, avec un fonds dédié et une stratégie foncière comme la Cité créative (ZAC de 30 000 m2 en cours de construction, dédiée majoritairement aux industries culturelles, NDLR)", souligne-t-elle.

Les efforts déployés par les acteurs locaux ne passent pas inaperçus aux yeux des investisseurs exogènes. Le studio parisien d’effets spéciaux The Yard VFX, un temps tenté par Marseille, s’est laissé convaincre par Pics Studio et ouvre un bureau de 10 personnes à Montpellier. De son côté, le parisien Mathematic, producteur d’effets spéciaux lui aussi, vient de prendre 350 m2 en location à la Cité créative pour créer une antenne de 20 personnes, appelée à bondir à 150 salariés en quatre ans. "Montpellier est un vivier qui a du souffle, avec des ressources et des écoles d’excellence, comme l’ESMA qui sera notre voisine. Nous allons tisser des liens avec elles, sous forme de tutorats et de masters, créés sur la base d’un cahier des charges commun à d’autres entreprises, car les promos sont assez grandes pour ça", annonce Guillaume Marien, PDG de Mathematic.

Pour sa part, France TV Studio, au-delà de ses infrastructures, a déjà commencé à investir dans les pépites montpelliéraines. En 2021, la société est entrée au capital des Tontons Truqueurs : avec son soutien, le studio investit 1,2 million d’euros pour créer une technologie de production virtuelle à base d’écrans LED. "Ce type de projet s’aligne bien avec France TV Studio, qui a une stratégie de connexion avec des studios et des outils tournée vers l’extérieur", apprécie Pierre-Marie Boyé, directeur de productions. En 2023, la filiale de France Télévisions a mis la main sur le studio Dwarf Animation qui, après des séries conçues pour Netflix et Disney +, travaille sur un premier projet de long métrage. "Construire ensemble un hub créatif est une expérience vraiment gratifiante", sourit le fondateur Olivier Pinol.

La nécessaire structuration régionale

Enfin, la Métropole de Montpellier se dotera à l’automne de son agence économique, qui agira en lien avec les Agglos voisines, comme celles de Sète et Agde dans l’Hérault. Les ICC seront un des axes de sa feuille de route. Car les deux Agglos du littoral ont une longue tradition dans le domaine des tournages (César et Rosalie de Claude Sautet, L’union sacrée d’Alexandre Arcady, etc.). Sète développe elle aussi un pôle économique associant audiovisuel, musique et éditions littéraires et phonographiques. Dès 2017, la ville a accueilli Telsete, le studio (1 600 m2) du groupe TF1 où est tournée une autre série populaire, Demain nous appartient, avec déjà 1 400 épisodes au compteur. "Nous sommes venus ici car il y a l’ensoleillement, nécessaire aux tournages, mais aussi parce que nous avons besoin de techniciens. Il y a beaucoup de prestataires locaux, que nous sollicitons car tout est exploité sur place sauf l’écriture de la série. Ce territoire a encore vocation à accueillir des séries quotidiennes… même s’il va manquer des compétences au vu des projets qui s’installent", évalue Nicolas Mestrallet, directeur de production de Telsete. Parmi ces partenaires sétois, Laurent Mesguich, directeur de l’école de cinéma Travelling, complète : "Il faut sortir des carcans pour structurer ces métiers techniques qui sont en tension. Nous réfléchissons avec France Télévisions et Telsete sur les moyens de former des juniors ou des personnes en reconversion".

Au vu de la concentration des projets, les acteurs locaux tentent de mieux se coordonner. En termes de visibilité, la Métropole de Montpellier planche sur une nouvelle stratégie d’image autour des ICC et de l’audiovisuel. Sur le plan de l’Occitanie, la Région vient de déposer, dans le cadre de France 2030, un dossier pour un futur pôle territorial des ICC, co-conçu avec un consortium d’acteurs privés autour des thématiques du son et de l’image. La Région investit déjà 5 millions par an dans la filière audiovisuelle. "Je veux faire de notre territoire une référence pour l’accueil de productions nationales et internationales", martèle la présidente Carole Delga. Ou comment faire du septième art une des filières prioritaires en Occitanie.

Occitanie # Audiovisuel # Infrastructures # Investissement industriel