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Jean-Marie Cardebat : « La viticulture française doit faire sa révolution culturelle »
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Jean-Marie Cardebat professeur à l’Université de Bordeaux et l’Inseec Business School Jean-Marie Cardebat : « La viticulture française doit faire sa révolution culturelle »

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Le vin français perd des couleurs sur les marchés mondiaux. Confrontée au recul de ses ventes en France comme à l'étranger et à une concurrence de plus en plus aguerrie, la filière doit absolument et rapidement se remettre en question, prévient Jean-Marie Cardebat. L'économiste bordelais avance plusieurs pistes pour aider les vignerons à sortir de l’ornière.

Compétitivité, stratégie à l'international, conversion au bio... Pour Jean-Marie Cardebat, nombreux sont les défis que doit relever la viticulture française si elle veut préserver ses parts de marché — Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Face à un marché intérieur en déclin, les vins français doivent se tourner vers l’export pour trouver des débouchés, mais la concurrence est rude, notamment de la part de l’Italie, l’Espagne ou encore l’Australie et le Chili. Pourquoi la France perd-elle du terrain face à ces pays ?

Jean-Marie Cardebat : La viticulture française n’est pas suffisamment compétitive sur le moyen et le bas de gamme. Nous avons des coûts plus importants, parce que nos vignobles sont de taille plus limitée. Quand vous vous comparez à des exploitations australiennes, par exemple, vous vous trouvez face à de véritables groupes industriels. Dans ces conditions, il est compliqué d’avoir un prix de revient équivalent au leur. Pour justifier leurs tarifs notamment, les exploitations sont donc allées vers le premium et, aujourd’hui, on veut absolument préserver l’image du vin français haut de gamme. Je pense que c’est une erreur, car il n’y a pas de place pour tout le monde. Il n’y a qu’une Romanée-Conti !

La viticulture française devrait donc descendre en gamme, avec des produits bien placés en rapport qualité-prix - attention, il ne s’agit pas d’offrir de la piquette ! Mais pour s’engager sur cette voie, la France manque d’une vraie stratégie et de grandes marques, capables d’écouler sur les marchés mondiaux des millions d’hectolitres tous les ans à des prix compétitifs.

L’entrée de gamme est un marché qui se travaille autant que celui du luxe et installer une marque requiert beaucoup d’investissement. Peu de grands groupes en sont capables. En France, il y a bien Castel, mais il n’a pas du tout la puissance des marques américaines, australiennes ou chiliennes.

On entend aussi souvent dire que l’offre française n’est pas assez lisible à l’étranger…

J.-M. C. : Complètement ! Surtout quand je vois ce que font les Chiliens. Ils fonctionnent en cluster, avec des partenariats public-privé extrêmement efficaces et pointus et un marketing agressif. Les autorités chiliennes épaulent notamment la filière pour l’accompagner à l’international. Ils sont très bons pour ouvrir le marché des autres ! Ils ont ainsi su négocier un nombre hallucinant d’accords bilatéraux pour vendre leurs vins sans droits de douane, en Corée du Sud et en Chine, notamment.

« La France doit prendre conscience de l’atout économique monumental que représente le secteur viticole. »

En France, nous sommes à des années-lumière derrière eux ! Il nous manque de l’investissement dans les capacités de production et de commercialisation, mais aussi une stratégie autour de la marque France, ou au moins autour de marques régionales - Bordeaux, Languedoc, Côtes-du-Rhône, etc. Les pouvoirs publics doivent prendre conscience de l’atout économique monumental que représente le secteur viticole. Et peut-être voir le vin autrement que comme un produit posant des problèmes sanitaires.

S’il y a bien un type de vin qui ne connaît pas la crise, c’est le bio. Peut-on considérer qu’il est aujourd’hui la planche de salut de la viticulture française ?

J.-M. C. : Je dirais plutôt que si on ne s’y convertit pas, ou si on tarde à le faire, comme à Bordeaux, le bio est clairement une menace. À l’échelle internationale, les ventes sur cette catégorie de vin continuent à croître de 15 % à 20 % par an depuis le début de la décennie. Les vignerons qui ne s’y mettront pas vont assister à un basculement de la demande vers d’autres appellations proposant déjà une offre bio consistante.

Je les entends, les Chiliens, sur les salons, dire aux visiteurs : « Nous, nous sommes naturellement bio, alors que les Français mettent des produits partout… » Ils communiquent énormément sur cet aspect. Le bio est donc une nécessité pour les viticulteurs tricolores. Il ne résoudra pas tous leurs problèmes, mais il représente une solution pour ne pas sombrer.

En définitive, les défis auxquels fait face la viticulture française sont nombreux… Ce n’est pas très rassurant pour l’avenir ?

J.-M. C. : Ce n’est pas la première crise traversée par la filière et je ne suis pas persuadé qu’elle soit beaucoup plus « brutale » que les précédentes (référence au terme employé par Bernard Farges, président de l’interprofession bordelaise, à la mi-juillet, NDLR). Mais elle est à origine multiple. C’est peut-être cela aussi qui surprend les viticulteurs. Ils sont dans un moment où ils doivent faire leur révolution culturelle et réfléchir au marketing, en se concentrant sur deux questions : comment aller chercher de nouveaux consommateurs, tout en s’adaptant à une clientèle internationale différente, de plus en plus éloignée de nos frontières ? Et, surtout, comment structurer une offre compétitive sur ce segment clé du moyen/bas de gamme ?

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