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Le renouveau du cognac passe par la conquête du marché français
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Le renouveau du cognac passe par la conquête du marché français

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Produit hautement courtisé aux États-Unis et en Asie, le cognac l’est un peu moins en France. En misant sur l’œnotourisme, une image dépoussiérée et une viticulture durable, nombre de maisons en Nouvelle-Aquitaine ont pour ambition de remettre cette eau-de-vie sous le feu des projecteurs.

Selon les chiffres communiqués par le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), plus de 223 millions de bouteilles ont été expédiées en 2021 pour un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros au départ de Cognac — Photo : Pixabay

La maison de négoce Delamain, installée à Jarnac, en Charente, à une quinzaine de kilomètres de la ville de Cognac, a longtemps cultivé la discrétion. Le 7 avril 2022, la petite entreprise, fondée il y a presque 200 ans, a changé de braquet. Elle a convié ses clients pour inaugurer son siège social. De nouveaux locaux rénovés et agrandis qui abritent un hall d’accueil clair, sobre et spacieux, et qui signent l’ouverture de la maison à l’œnotourisme. Sans prétendre devenir une usine à touristes, la maison de 18 salariés a dévoilé plusieurs propositions culturelles, trois formules avec parcours olfactif dans les chais, dégustation de cognacs et produits locaux. "Nous avons toujours organisé des visites, mais elles restaient confidentielles. Les visiteurs peuvent découvrir les chais millésimés voûtés à travers les grilles, les murs tapissés de champignons de cognac, un monde inconnu un peu sombre", reconnaît Charles Braastad, le directeur général. Une ouverture qui illustre le renouveau du cognac.

Des exportations à un niveau historique

Ce produit, né au XVIe siècle sous l’impulsion des Hollandais et reconnu comme Appellation d’Origine Contrôlée depuis 1936, dispose d’une image contrastée. Spiritueux à la mode aux États-Unis, en Afrique du Sud et en Asie, il est très courtisé des rappeurs, des artistes et des classes moyennes. Avec 4 290 viticulteurs présents sur son terroir, la filière exporte une grande majorité de sa production. Selon les chiffres communiqués par le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), plus de 223 millions de bouteilles ont été expédiées en 2021 pour un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros au départ de Cognac (Charente), soit une hausse de 16,2 % de ses expéditions. Les États-Unis, son premier marché d’exportation, ont poursuivi leur ascension avec une hausse de 11,1 % soit 115 millions de bouteilles de cognac expédiées en 2021. De la même façon, le marché chinois, second marché du cognac, a confirmé sa dynamique et était en nette augmentation de 55,8 % avec 34 millions de bouteilles expédiées. En Europe, le renouveau du cognac semble s’enclencher. Le vieux continent a enregistré en 2021 une très bonne croissance de 8,1 % avec 37,1 millions de bouteilles expédiées.

Le cognac est en revanche loin d’être prophète dans son pays. Alcool de grand-mère, associé aux interminables fins de repas dominicaux dont la communication a longtemps été étouffée, il a souvent fait l’objet de railleries. "Nous avons des difficultés à faire rêver les Français. Ils consomment plus de single malt que de bouteilles de cognac sont produites", confesse Charles Braastad, le directeur général de la maison Delamain, qui réalise 85 % de son chiffre d’affaires à l’export.

S’adapter aux cultures de chaque pays client

Pour se développer, les maisons s’adaptent à la demande mondiale et renforcent les marchés déjà porteurs : les États-Unis, l’Afrique anglophone, ou encore l’Asie du Sud-Est. Fleuron du groupe LVMH, la maison Hennessy située à Cognac où le marketing n’est jamais standardisé, épouse les cultures locales. "Nous avons réalisé une publicité dédiée au continent africain, mis en place un programme spécial pour le nouvel an chinois afin de coller aux cultures des différents pays", donne en exemple Patricia Le Gal, directrice du développement au sein de la Maison Hennessy.

Pendant la crise sanitaire, certains acteurs ont revisité leurs programmes. Pour animer les longues soirées de confinement et permettre aux consommateurs de découvrir le cognac au coin d’un feu de cheminée, la maison Delamain a organisé des visioconférences pour des clubs d’amateurs. "Nous avons planifié des soirées dégustation pour des clubs étrangers, anglais, chinois et américains et envoyé des échantillons à l’avance", raconte son directeur général.

À la conquête des consommateurs français

Le renouveau du spiritueux passe aussi et surtout par la conquête des palais des consommateurs français, notamment des plus jeunes. Mieux comprendre leurs attentes, leurs goûts, sans jamais perdre de vue les précieux savoir-faire qui font sa renommée. La maison Boinaud, à Angeac-Champagne en Charente qui réalise 30 millions d’euros de chiffre d’affaires dont 98 % à l’export et emploie 160 collaborateurs, s’initie à de nouvelles tendances pour gagner du terrain sur le marché français. "Nous voulons offrir une approche plus directe aux consommateurs, leur apporter une culture, un savoir, les éduquer sans pour autant renier le savoir-faire acquis au fil des générations successives", souligne Remi Boinaud, maître-assembleur des Cognacs De Luze, qui a repris le groupe familial en 2016 avec son frère Charles.

Sa marque, Cognac de Luze, veut pour ses 200 ans, casser les codes et rajeunir son image. Nouveau slogan "Taste the Finest" ('La finesse de son goût"), site internet refondu, nouveau logo et design pour ses bouteilles, présence de pictogrammes avec les arômes principaux, propositions de cocktails, d’association avec des huîtres, les pièces de viande… La promesse est claire : décomplexer l’approche du cognac et séduire une nouvelle clientèle. "Notre objectif est de dépoussiérer et démocratiser le cognac auprès des consommateurs trentenaires, d’attirer une clientèle plus féminine, de montrer que le produit se déguste tout au long d’un repas", explique Remi Boinaud.

Le cognac Delamain illustre également parfaitement la volonté de faire bouger les choses. La petite maison, qui fuit la standardisation du produit, a arrêté de mettre du sucre et du caramel pour revenir à des recettes plus naturelles. Elle a aussi revu l’une de ses gammes, la Pléiade, l’un des cognacs les plus prestigieux, issu d’une seule récolte ou d’un seul vignoble, élevé dans un seul fût, et donc proposé sans assemblage. Une collection en édition limitée - de 400 à 450 bouteilles - qui écrit sur une étiquette son histoire, quelques notes de dégustation, et propose un QR code offrant l’accès à une vidéo pour une expérience immersive et une dégustation éclairée du maître de chai. "C’est un clin d’œil au whisky, pour éduquer les consommateurs, comprendre comment on fait le cognac. Nous essayons d’amener de l’émotion, de transmettre ce côté passionné, que les gens recherchent", explique Charles Braastad.

Vers une viticulture durable

Pour partir à la conquête du marché tricolore, la maison Hennessy propose elle aussi plusieurs visites, pensées comme un voyage multisensoriel, qui permettent de découvrir l’histoire et les savoir-faire de la Maison Hennessy. Un parcours qui révèle également les coulisses des cognacs d’exception et qui se poursuit dans un salon privé où se déroule un rituel de dégustation raffiné. Elle a aussi ouvert en 2021 un showroom grand luxe en plein cœur de la capitale, au second étage de la Samaritaine. Les clients peuvent y personnaliser leur bouteille avec leurs initiales en argent, or ou bronze dans le style de gravure de leur choix.

La reconquête du marché domestique ne s’arrête pas là. Avec l’agroforesterie et ses projets de reboisement, la maison veut réhabiliter le patrimoine viticole naturel. Elle a officialisé en mars 2022 le lancement d’un programme de régénération des forêts, Forest Destination. Entamée depuis 2020, cette initiative a pour objectif de régénérer 50 000 hectares de forêts dans le monde d’ici à 2030, à travers des actions de terrain menées partout où la Maison opère. Pour mener à bien son plan ambitieux de transition vers la viticulture durable, la Maison Hennessy a aussi pris l’engagement d’accompagner l’ensemble des viticulteurs travaillant avec elle. Plus de 1 600 professionnels sont concernés. L’entreprise, qui compte 1 000 salariés principalement basés en Charente, déploie un plan d’accompagnement et de soutien auprès de ses partenaires pour progresser dans cette démarche environnementale et notamment dans l’obtention de la Certification Environnementale Cognac d’ici à 2025. Ainsi, dans 3 ans, 32 000 hectares de vignes seront doublement certifiés Haute Valeur Environnementale et Certification Environnementale Cognac (CEC).

Le Domaine Boinaud, qui est lui aussi un mastodonte du vignoble cognaçais auréolé de plusieurs certifications, s’est fixé un autre challenge pour marquer son engagement. Devenu société à mission en décembre 2021, le groupe a récemment travaillé sur la refonte de sa raison d’être. "La maison opère sur trois piliers que sont la préservation de la biodiversité, la lutte contre le dérèglement climatique, et l’amélioration continue du bien-être des salariés", rapporte Rémi Boinaud. Son projet "Horizon 2030" fixe notamment un objectif radical de "zéro phyto" d’ici à 2030, avec une première étape de réduction de 50 % de l’utilisation de produits phytosanitaires en 2025 sur son vignoble de 460 hectares.

Pour répondre à ses ambitions, la maison a ouvert d’énormes chantiers à Angeac-Champagne. Elle vient de rénover l’une de ses unités de distillation, a fait aménager de nouveaux bureaux, une boutique et un showroom de plus de 350 m2 d’espace de présentation, un bar dédié aux dégustations et aux initiations à la mixologie, et construit deux chais de vieillissement d’une capacité de 12 000 fûts chacun.

Avec ses nouvelles stratégies, le cognac devrait donc rester un vrai ballon d’oxygène pour toute sa région de production.

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