C’est un effet miroir qui, en apparence, peut sembler curieux. Au milieu d’une crise profonde de l’immobilier et de la construction, le fabricant limougeaud de matériel électrique Legrand (37 000 salariés dans le monde) a dépassé en 2023 le milliard d’euros de bénéfice net (+14,9 %) ramenant son chiffre d’affaires à 8,42 milliards d’euros (+4,7 % de ventes).
Les activités du groupe, qui reposent à 40 % sur le résidentiel ont même fait dire à son directeur général Benoît Coquart que la crise actuelle était conjoncturelle, preuve apparente d’une confiance dans la "robustesse du modèle de croissance" du groupe.
Relais de croissance
Le secret de cette santé de fer se trouve sans doute dans ses relais de croissance, qui alimentent à la fois son développement organique et sa stratégie d’acquisitions (5 rachats en 2023). Trois relais ont été identifiés par le groupe côté au CAC 40 (le seul à avoir son siège dans la région) : "les solutions connectées, qui apportent une valeur d’usage et de confort, les équipements permettant de faire des économies d’énergie (comme les thermostats) dans la maison et le tertiaire. Nous pilotons d’ailleurs en interne un programme d’accélération et d’enrichissement de l’offre", détaille David Descamps, directeur France de Legrand.
"Le troisième relais de croissance est le segment des data centers. À eux trois, ils représentent plus de 30 % de notre chiffre d’affaires", poursuit le dirigeant. Et ce ratio devrait encore se renforcer : lors de son assemblée générale de mai 2023, le groupe a précisé que ces trois segments étaient censés atteindre 50 % de ses ventes "à moyen terme".
Éventail de solutions
Legrand, qui se positionne en apporteur de solutions d’optimisation de la gestion énergétique des centres de stockage de données, fait face à un marché en plein essor, dopé notamment par la croissante numérisation des entreprises ou les promesses de l’IA générative. Ainsi, le segment des data centers représente aujourd’hui 15 % de son chiffre d’affaires, contre 5 % en 2015. "En Europe et aux États-Unis, nos revenus dans les data centers sont en moyenne supérieurs à ceux du résidentiel neuf", assurait même Benoît Coquart en février à nos confrères de La Tribune.
"Nous sommes historiquement présents dans l’équipement pour les salles blanches, qui accueillent les serveurs. Nous proposons l’ensemble des solutions pour équiper ces locaux : des racks (armoires), des solutions de confinement, d’alimentation et de monitoring de l’énergie des serveurs. Nous nous développons aussi fortement dans l’équipement des salles grises, qui accueillent l’alimentation électrique des data centers et dans lesquelles on retrouve les tableaux électriques, les solutions de distribution de l’énergie et les UPS (onduleurs) qui permettent une alimentation sans interruption", détaille ainsi David Descamps.
Des rachats réguliers
La croissance d’activité dans les data centers de Legrand, comme dans ses autres domaines d’activité, est régulièrement dopée par des acquisitions lui permettant d’étendre son éventail de produits pour fournir grands installateurs ou hébergeurs. En 2022, il a par exemple racheté la société britannique USystems (70 employés, environ 11 M€ de CA), spécialisée dans les solutions de refroidissement et les racks, et l’entreprise puydômoise Voltadis (20 salariés, environ 13 M€ de CA), spécialisée dans l’optimisation des salles grises.
Plus récemment, c’est du côté des États-Unis que Legrand a poursuivi sa vaste moisson, un territoire où le marché des data centers pourrait atteindre plus de 100 milliards de dollars en 2026 selon une étude de marché de l’analyste américain Arizton. En janvier 2024, il y a finalisé l’acquisition de ZPE Systems (plus de 140 personnes et de 80 millions de dollars de CA), société californienne qui fournit elle aussi des équipements pour les data centers, plus spécifiquement "des serveurs console et routeurs permettant l’accès et la gestion à distance d’équipements informatiques réseaux pour les salles grises", précise David Descamps.
"Usines informatiques"
"La forte croissance de l’industrie de la donnée nous apporte beaucoup d’opportunités de croissance, tout comme l’essor de l’électrification. L’essor de la digitalisation et de l’IA alimente le marché du data center. Nous observons que certaines entreprises créent leurs propres data centers, en parallèle de la création de vastes espaces de colocation par des spécialistes de l’hébergement", assure le porte-parole.
Le transport de données, lui aussi, continue de se développer, y compris localement. En décembre 2023, un câble transatlantique sous-marin de 6 800 kilomètres de long reliant Boston (États-Unis) et Bruges (Gironde), a été inauguré par l’américain Equinix, qui se décrit comme le "plus grand fournisseur mondial de data centers et de colocation pour les réseaux d’entreprise et le cloud computing". Ce dernier prévoyait d’ailleurs de créer un deuxième centre de données après un premier inauguré en 2021. "Legrand a toute sa part à jouer dans la création de ces usines informatiques", certifie David Descamps.
Bilan carbone
Si le pilotage de la division DCS (Data Center Solutions) promet d’assurer à Legrand la perspective d’un développement exponentiel, le groupe limougeaud n’en oublie pas pour autant ses autres segments de marché. "Les solutions connectées sur le marché de la rénovation des logements ou du tertiaire offrent aussi des perspectives intéressantes, le parc à équiper restant très important, qu’il s’agisse de thermostats, de caméras de surveillance, d’outils de pilotage à distance des volets et de l’éclairage ou de blocs de sécurité permettant d’anticiper les travaux de maintenance. C’est à la fois un confort d’usage, de maintenance et un levier d’optimisation énergétique".
Enfin, Legrand tente aussi d’améliorer son propre impact carbone : il affiche l’ambition de réduire d’ici à 2030 les émissions de ses propres activités de 50 % par rapport à 2019 (scope 1 et 2) et de 15 % celles de sa chaîne de valeur (scope 3). Son actuelle feuille de route RSE se terminant cette année, la suivante devrait être présentée au marché prochainement. "En France, nous arrivons à baisser nos émissions de CO2 de plus de 10 % chaque année", termine David Descamps.
Legrand, chantre du "Made in France"
Le groupe limougeaud a beau disposer de 120 usines dans 90 pays et commercialiser ses produits dans près de 180 d’entre eux, il ne manque jamais une occasion de souligner son attachement à son pays d’origine, dans lequel son histoire a débuté en 1 865. Premier employeur privé de l’ex-Limousin, il emploie 1 800 personnes dont un millier sur son siège de Limoges, sur les quelque 5 000 personnes qu’il salarie en France. Il y dispose de 22 sites industriels dont cinq dans la région Nouvelle-Aquitaine, en plus de ses sites commerciaux, atteignant ainsi une trentaine de bâtiments. "L’usine de La Rochelle fabrique des blocs de sécurité, que l’on retrouve en haut des sorties de secours, celle de Limoges regroupe nos activités historiques de fabrication d’interrupteurs et de prise de courant, nous fabriquons aussi des disjoncteurs et protections de tableaux électriques à Antibes (Alpes-Maritimes) ou des prises informatiques en Isère", énumère David Descamps, chargé de la France au sein du groupe dans lequel il évolue depuis 15 ans.
Les trois quarts des produits vendus en France par le groupe sont fabriqués en France. Selon son dernier bilan annuel paru en février 2024, l’Europe génère 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour Legrand. Sur ce chiffre, 1,29 milliard d’euros est imputable à la France. 85 % des produits vendus par Legrand en France le sont sur le marché du B to B, les 15 % restants étant sur le marché du B to C au travers de grandes chaînes de bricolage comme Castorama, Leroy Merlin, ou de marketplaces mondiales, la plus importante restant le mastodonte américain Amazon. Enfin, les usines françaises de Legrand sont aussi exportatrices : un tiers des produits qui s’y fabriquent partent à l’étranger.
