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Comment Le Futuroscope se renouvelle pour durer
Enquête Vienne # Parcs de loisirs # Investissement immobilier

Comment Le Futuroscope se renouvelle pour durer

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Un des plus anciens parcs d’attractions de France déroule un colossal plan d’investissements de 304 millions d’euros, du jamais vu. Un second parc doit ouvrir cet été, illustrant la nouvelle stratégie décidée en plein Covid. Elle mise sur l’audace, comme l’a fait son créateur il y a près de 40 ans. Aujourd’hui, le Futuroscope est une marque qui rayonne sur tout le territoire. Les acteurs politiques, économiques et touristiques ont tout intérêt à ce que cela dure.

Rodolphe Bouin, aux commandes de ''l’Institution'' depuis 2018, aime rappeler que rien n’est jamais acquis — Photo : Futuroscope

"Faire pousser le futur dans un champ." C’est ce que voulait René Monory dans les années 80 quand il était président du conseil général de la Vienne. Il en a fait le premier site touristique de Nouvelle-Aquitaine et une locomotive économique et touristique pour son département rural, soutenant 3 300 emplois en France, sans compter les 10 500 de la technopole qui l’accompagne.

Le Futuroscope a ouvert au public en 1987, deux ans avant le parc Astérix, le Puy du Fou et l’Aquaboulevard ; cinq ans avant Euro Disney. Trente-sept ans plus tard, 62 millions de personnes ont franchi ses portes.

Rénovation XXL

En 2023, le Futuroscope est le 4e parc d’attractions de France en termes de fréquentation, avec près de 2 millions de visiteurs, derrière le géant Disneyland Paris (9,93 millions pour son parc principal), Astérix (2,8 millions) et le Puy du Fou (2,5 millions). Le parc poitevin n’avait pas reçu une telle affluence depuis 25 ans. Il récolte les premiers fruits d’une politique d’investissement colossal.

Aux commandes de "l’Institution" - comme il l’appelle - depuis 2018, le président du directoire Rodolphe Bouin en est un pur produit. Il l’a intégrée en tant que stagiaire il y a 24 ans, et suit aujourd’hui les nombreux chantiers menés tambours battants. Depuis quatre ans, le Futuroscope mue. "Nous avons entièrement réaménagé l’entrée du parc, construit deux hôtels et un restaurant thématiques, renouvelé trois attractions et créé deux nouvelles attractions majeures." Ce n’est pas fini. Le plan sur dix ans en inclut une autre de taille, la plus chère jamais financée par le parc : Mission Bermudes, attendue pour 2025 (25 millions d’euros). En juillet, c’est carrément un second parc qui accueillera les visiteurs, l’Aquascope.

Un second parc, symbole de la stratégie conquérante

Construit aux portes du Futuroscope, c’est un parc aquatique "très différent de ce qui existe sur le marché, avec des innovations inédites, des écrans d’eau, des effets spéciaux, pour rester fidèle à notre ADN", promet Rodolphe Bouin. Sur 6 000 m2 couverts, il mêlera toboggans et rivière dynamique, cinéma aquatique, et espaces extérieurs. Un jouet à 60 millions d’euros correspondant au plus gros investissement mené par l’entreprise. "Nous attendons beaucoup de lui. Il sera commercialisé comme un second parc, qui doit attirer à lui seul et générer de la vente de packages avec des entrées pour le Futuroscope, c’est là le vrai intérêt pour nous. Nous saurons dans un an si c’était une bonne tactique." Avec une capacité d’accueil de 1 700 personnes, il est le symbole de la stratégie conquérante adoptée en 2020.

L’Aquascope est un second parc en construction aux portes du Futuroscope. Prévu pour une ouvrir en juillet, il mêlera activités aquatiques et attractions numériques — Photo : Futuroscope

"En 2018 nous avions le choix entre nous contenter de pérenniser l’activité ou aller plus haut et chercher un nouveau modèle économique", se rappelle le dirigeant. En plein Covid, "alors que nous étions à l’arrêt, nous avons convaincu nos actionnaires d’investir 304 millions d’euros, avec une forte accélération sur cinq ans, au lieu des 120 prévus."

Le Futuroscope, société anonyme d’économie mixte à directoire, est détenu depuis 2011 à 80 % par la Compagnie des Alpes, à la tête des plus gros domaines skiables de France comme Tignes ou Val d'Isère, ainsi que de 13 destinations de loisirs dont le parc Astérix et le musée Grévin. Le Département, propriétaire du foncier et des murs, possède 18,5 % des parts via sa SEML patrimoniale. Le reste appartient à divers actionnaires.

L’Aquascope pourra accueillir 1700 personnes — Photo : Futuroscope

Répondre à l’impératif d’innovation et de chiffre d’affaires

"Cela nous met en confiance mais nous oblige. Nous nous sommes engagés à atteindre 150 millions d’euros de chiffre d’affaires à horizon 2026, soit 50 % de croissance par rapport aux 94 millions de 2019", explique Rodolphe Bouin. Les premières retombées sont de bon augure : le chiffre d’affaires de 2023 est de 125 millions d’euros, dont 40 % issus de la restauration, "sans l’Aquascope", souligne le dirigeant.

Le parc doit plus que jamais tenir sa promesse : projeter les visiteurs dans le futur, avec des attractions aussi innovantes qu’exclusives. Là où les concurrents peuvent capitaliser sur un manège (Mickey restera toujours Mickey), les équipements du Futuroscope sont en effet voués à se périmer.

Le secret pour garder un temps d’avance

Alors quel est son secret pour garder un temps d’avance ? "Nous n’achetons rien sur catalogue. Nous assemblons des ingrédients issus de parcs mais aussi de technologies des entreprises, et faisons du sur-mesure sans process établi. Nous fonctionnons par opportunité et, contrairement à d’autres, avons un directeur artistique et huit créatifs en interne qui dessinent et écrivent des textes. Le service d’ingénierie valide la faisabilité technique."

L’attraction Chasseur de Tornades, dernière née et récompensée du prix de Meilleure attraction du monde en 2022, a mis 3,5 ans à être créée.

Chasseur de Tornades, la dernière attraction majeures ouverte au public, a décroché le prix de Meilleure attraction au monde en 2022 décerné par la Themed Entertainment Association — Photo : Futuroscope

Le budget par attraction a bondi, "entre 20 et 25 millions pour une grosse attraction, à raison d’une tous les deux ans prévue pour durer 20 ans, en plus d’une plus petite attraction renouvelée chaque année. La stratégie précédente consistait à faire des attractions moins chères mais les renouveler le plus vite possible."

Le parc propose deux attractions sous licence, Lapins Crétins et Arthur et les Minimoys. "C’est un vrai gain de temps pour le parc puisque l’univers existe déjà, c’est bien plus simple. Mais le Futuroscope n’a pas vocation à les multiplier", prévient Rodolphe Bouin.

Une attractivité en montagnes russes

Le dirigeant martèle que "rien n’est jamais acquis. Personne n’a oublié ce qui s’est passé entre 1997 et 2003." L’attractivité du parc a joué les montagnes russes depuis sa création et son histoire éclaire beaucoup la politique offensive actuelle.

"Quand il a ouvert, le parc a eu un succès que personne n’imaginait. Nous étions les seuls à avoir des écrans 3D, des planétariums. Les études de marchés prédisaient 600 000 visiteurs, nous avons atteint 2,8 millions en 1997. Les dix premières années ont été très fortes", raconte Rodolphe Bouin. Avant un trou d’air abyssal. De 1997 à 2003 c’est la chute vertigineuse. La fréquentation a dégringolé à 1,2 million. "Nous aurions dû fermer."

Le Futuroscope a un service artistique interne, chargé d’imaginer les nouvelles attractions. Objectif Mars, ouvert fin 2020, est le premier grand huit du parc. Il a reçu une récompense européenne — Photo : Futuroscope

Un nouveau tour de table l’en empêchera, marqué par le retour du Département, qui avait vendu l’affaire au groupe de médias et sports Amaury (L’Équipe, Tour de France…) en 1997, considérant avoir rempli son rôle d’aménageur du territoire. Voici donc la collectivité de nouveau dans le capital au début des années 2000, accompagnée de La Région et la Caisse des Dépôts. Cette alliance public-privé demeure. "Je suis très partant pour ce partenariat, c’est un bon système et une bonne chose que le Département garde un œil", estime Alain Pichon.

Après ce passage à vide s’ensuit une reconquête, "moins vertigineuse mais plus stable", analyse Rodolphe Bouin, jusqu’à 1,8 million de visites en 2010. "C’est le niveau qui nous permet de ne plus avoir besoin de subventions, d’être une vraie entreprise avec suffisamment de bénéfices pour réinvestir. Ce modèle a perduré jusqu’en 2018."

Faire venir de plus loin, plus souvent, plus longtemps

À terme, le parc espère 2,5 millions de visiteurs, "mais 2,3 seraient déjà très bien", estime le dirigeant. Il mise sur trois leviers : faire venir de plus loin, plus longtemps, plus souvent.

40 % de la clientèle provient d’un rayon à 2 h 30-3 heures de route, du triangle Bordeaux-Nantes-Limoges. "C’est le temps acceptable pour un aller-retour dans la journée. C’est presque un premier marché, celui des loisirs. 35 % viennent d’une couronne allant jusqu’à 5 heures de route, incluant Paris ; globalement ils séjournent. Et 30 % sont à plus de 5 heures. Donc soit on va chercher davantage de clientèle sur les deux dernières couronnes, soit ont fait rester tout le monde une journée de plus, soit on les fait revenir plus souvent", sachant que 12,5 % des visiteurs reviennent déjà chaque année. "Cela fait trois bonnes raisons de réussir."

Aujourd’hui, 40 % des visiteurs restent deux jours. Afin de prolonger leur séjour, le Futuroscope a complété son offre, jusqu’à présent composée d’un seul hôtel (une étoile, 292 chambres), construit il y a 30 ans et financé par le Département. L’an dernier, il a ouvert deux hôtels thématiques pour répondre "à la demande expérientielle", l’un sur le cosmos, l’autre en écolodge. Dotés de 80 et 120 chambres, ils sont de petite capacité "pour respecter les hôteliers partenaires qui sont là depuis longtemps."

Le parc a récemment ouvert deux hôtels thématiques, dont le Cosmos — Photo : JL AUDY/FUTUROSCOPE

"Nous sommes une petite ville, nous nous connaissons tous. Tout le monde a conscience que nous devons travailler ensemble pour rendre la destination attractive. Il n’y a pas grand-chose qui se fait dans la zone sans que l’on soit consulté."

Une entreprise au service du territoire

C’était le cas quand s’est implanté Zero Gravity, une attraction de chute libre aux portes du parc, initiative privée qui n’a rien à voir avec le Futuroscope. "Nous y voyons une attractivité supplémentaire pour la zone et pas du tout un concurrent." C’est aussi aux abords de l’entrée fraîchement réaménagée que le Département a implanté l’Arena-Futuroscope en 2022, une salle de spectacle de 6 000 places, qui mutualise les parkings du parc et profite de la desserte des transports tout autant que le palais des congrès tout proche.

Le Département a ouvert une nouvelle salle de spectacle, l’Arena Futuroscope, en 2022, aux portes du parc — Photo : Arena Futuroscope

Pas seulement un parc d'attraction

Parce que le Futuroscope n'est pas qu'un parc d'attraction. Depuis l’autoroute A10, ne sont visibles que ses fameux pavillons futuristes : le prisme vitré surmonté d’une sphère blanche, le cristal gigantesque en miroir. Ces premiers bâtiments sortis des champs de betteraves sont devenus emblématiques. Mais la zone abrite en vérité "l’équivalent d’une petite ville", estime Stéphane de Dianous, responsable de la communication de la CCI de la Vienne. "Tous les jours, ce sont 10 000 personnes qui arrivent le matin et repartent le soir."

Le Futuroscope partage volontiers son nom, souvent accolé à celui des sociétés ou équipements publics (palais des congrès-Futuroscope, Arena-Futuroscope…). "Tout le monde connaît la Vienne, mais tout le monde connaît encore plus le Futuroscope", reconnaît Alain Pichon, l’actuel président du Département.

Depuis sa création, la zone du Futuroscope repose sur un trépied : tourisme, économie et éducation. À côté du parc d’attractions, la technopole rassemble aujourd’hui 250 établissements, dont des entreprises, des grandes écoles, des hôtels, etc — Photo : Technopole du Futuroscope

Dès son origine, le vaste projet mêlait tourisme, économie et formation. "C’est toujours le trépied qui nous guide", affirme Alain Pichon. Détenu à l’époque par la collectivité, le parc a été imaginé couplé à une zone d’activité. La Technopole Futuroscope, son nom actuel, rassemble désormais 250 établissements sur 200 hectares : des entreprises, des grandes écoles, une partie de l’université de Poitiers, des laboratoires de recherche, le CNED, le centre national de documentation pédagogique, onze hôtels pour 1 900 chambres, 150 000 m2 de bureaux. Soit plus de 6,5 % de l’emploi privé du département. "Les entreprises aujourd’hui bénéficient de l’image d’innovation du Futuroscope. Elles viennent chercher une adresse", analyse Stéphane de Dianous.

La singularité des centres d’appels

Pour les attirer à l’époque, le Département avait établi une zone franche avec un téléport, moyen qui permettait de faciliter les communications et de proposer des tarifs défiscalisés. "En France il n’y en avait que deux : un à Metz, un sur notre technopole", raconte le président de la collectivité. De quoi séduire les centres d’appels, qui restent des employeurs majeurs. E-Laser Contact, service clients des Galeries Lafayette, a depuis été racheté par le groupe francilien Amartis (220 M€ de CA) qui y fait prospérer son plus important site français, à savoir près de 1 200 salariés à lui seul pour 29,6 millions d'euros de chiffre d’affaires en 2022.

La technopole abrite une quinzaine de centre d’appels, qui gèrent en interne ou externe les relations clients de grandes entreprises. Parmi eux, Aquitel emploie 450 personnes — Photo : Aquitel/C.Martinez

À quelques centaines de mètres, ce qui fut le centre de relations clients d’SFR est devenu Aquitel, filiale du groupe Majorel, et emploie environ 450 personnes (11,4 M€ de CA en 2022). "Notre adresse est un véritable atout pour nos donneurs d’ordres, notamment étrangers. Ils ne connaissent pas Poitiers, mais peuvent connaître le Futuroscope", se réjouit Nicolas Tranchant le directeur d’Aquitel, qui estime être au cœur de l’un des trois hubs des centres de contact de France, avec Sophia Antipolis et le Nord. "Pour nous aussi, c’est un avantage. Nous sommes une quinzaine de centres ici, cela représente un vivier de savoir-faire énorme."

L’hôtellerie, rouage crucial

Sans surprise, le secteur le plus représenté demeure celui de l’hôtellerie. Ils sont désormais 11, soumis à des quotas de chambres pour le parc. S’ils tentent de développer le tourisme d’affaires, notamment pour combler les 90 jours de fermeture du parc, ils reconnaissent volontiers que le Futuroscope est leur raison d’être.

Dès les années 1990, des dispositifs de défiscalisation ont été proposés aux indépendants pour favoriser leur installation. "C’était un bon système pour séduire les investisseurs, mais qui s’est avéré inadapté pour la gestion et les prises de décisions", estime Mickaël Couturier, directeur administratif et financier d’Alteroa. Le plus gros hôtel de la zone (288 chambres) et l’un des premiers implantés (1995), a longtemps fonctionné en copropriété. "Nous n’en sommes sortis qu’en 2019, in extremis pour bénéficier du soutien de l’État pendant la crise du Covid." Il a ainsi pu s’offrir une cure de jouvence à 7 millions d’euros ces derniers mois, parfaitement raccord avec les investissements majeurs du parc.

Anne-Marie Clavreul, directrice de l’hôtel Altéora, et Mickaël Couturier, directeur administratif, savourent les travaux de rénovation de 7 millions d’euros qui s’achèvent juste. Avec 288 chambres, c’est un des plus grands et plus anciens établissements de la zone — Photo : Caroline Ansart

"Quand le Futuroscope va, tout va", résume Anne-Marie Clavreul la directrice d’Alteora, qui avoue beaucoup attendre de l'Aquascope.

Le TGV ne passe plus : le Futuroscope s’achète un train

S’il y a bien un sujet qui fait grincer des dents, c’est le TGV. Une gare a été spécialement créée en 2000 aux abords immédiats de la technopole et du parc, sur la ligne Paris Austerlitz-Bordeaux. "Le package était abordable pour deux jours/une nuit, transport compris", se rappelle Rodolphe Bouin. Tous les TGV s’y arrêtaient… jusqu’à la mise en service de la LGV Bordeaux-Paris en 2017 au profit de la gare de Poitiers. La fréquence des TER a bien été augmentée entre les deux gares, mais les professionnels et les politiques ne décolèrent pas. "La SNCF n’est pas commode", peste Alain Pichon.

Le parc a décidé de prendre le taureau par les cornes. "Nous avons acheté un train", lance Rodolphe Bouin. Fin mars, le Futuroscope a affrété un TGV de 7 000 places au départ de Lille, customisé pour l’occasion, avec un DJ en voiture-bar et une mascotte Lapin Crétin dans les wagons. "C’était une première. L’idée est de tester l’opération depuis Lille, Strasbourg et Paris." Les hôteliers applaudissent l’initiative.

Quid des extensions du parc et de la technopole ?

Les derniers travaux du parc occupent l’essentiel de la surface qui restait "facilement disponible", selon Rodolphe Bouin. Il reconnaît néanmoins mener des discussions avec le Département pour déterminer des zones que le parc pourrait coloniser alentour, "et il y en a" assure-t-il.

De son côté, la collectivité planche déjà sur un vaste projet pour étendre la technopole. "Il nous reste 15 hectares, c’est peu", estime Alain Pichon, le président du Département. Le projet pressenti en couvrirait 8 et marquerait un "virage urbanistique, avec du bâti plus végétalisé". Il comprendrait des locaux d’entreprises, un institut de formation, un hôtel haut de gamme et des logements étudiants.

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