C’est "un événement historique" qu’ont vécu les 300 viticulteurs, 13 caves particulières et 120 salariés d’Estandon Coopérative en Provence, la première entreprise vitivinicole de Provence, implantée à Brignoles. Il s’agit même pour son directeur général Philippe Brel d’une "petite révolution" dans le milieu des coopératives agricoles. Il y a quelques semaines, l’Union de coopératives Estandon a choisi de s’engager dans la "coopérative de demain" en changeant de statut pour devenir une SCIC, une société coopérative d’intérêt collectif. Cette forme juridique associe salariés, producteurs, bénévoles, collectivités territoriales, financeurs ou tous autres partenaires, voulant agir ensemble dans un même projet alliant efficacité économique, développement local et utilité sociale. "Nous avons souhaité rapprocher les producteurs et les salariés des caves coopératives de l’outil de production où se crée la valeur de l’entreprise", explique Philippe Brel.
Le changement ne s’est pas fait en un claquement de doigts. Il est le résultat de travaux de R & D juridique. "Nous avons été accompagnés par des juristes et avocats. Nous avions déjà rencontré le statut de la Scic dans de jolis projets auxquels nous sommes associés, comme Terre Adonis, qui mobilise des acteurs privés et publics pour financer l’acquisition de foncier agricole, Imma terra qui accompagne le développement de modèles économiques durables ou encore la librairie Le Bateau Blanc à Brignoles. Ces exemples nous ont inspirés et donné l’envie d’adopter le même modèle", explique le directeur général.
130 nouveaux sociétaires
Le changement de statut a été entériné en assemblée générale, au début de l’été 2023 et, à cette occasion, le nombre de sociétaires est passé de 10 à 140. Moyennant 100 euros de contribution, 88 viticulteurs, 33 salariés de l’Union, 9 salariés des caves et exploitations sont désormais parties prenantes de l’aventure et ont la capacité d’exprimer leur voix. À l’image d’Élodie Lebouleur, salariée d’Estandon depuis 2012, et gestionnaire de gamme au sein du service marketing depuis trois ans, pour qui il était logique de prendre part à la vie de la société. Elle a par ailleurs été élue, avec son binôme David Godtschalck, leader des chaînes de production, pour représenter les salariés de l’Union au sein du conseil coopératif, qui participe aux assemblées générales. "Je me suis construite chez Estandon, j’ai grandi avec l’entreprise, il n’y avait pas de raisons que je ne souscrive pas de parts sociales", confie la salariée. Cette dernière sera formée au fonctionnement d’une Scic et prend son nouveau rôle comme une opportunité unique de "faire avancer l’entreprise, de porter la voix de ses collègues avec le soutien de son binôme."
Les salariés de l’Union et des caves détiennent désormais 20 % des voix en assemblée générale, les petites caves coopératives (moins de 15 000 hl) en ont 20 %, les viticulteurs pèsent à hauteur de 30 % des voix et les caves coopératives produisant plus de 15 000 hectolitres et la Sica (société d’intérêt collectif agricole) détiennent 30 % des voix. À l’intérieur des cinq collèges, un homme représente une voix et ces associés coopérateurs votent les comptes, prennent les grandes décisions et élisent leurs représentants au conseil coopératif, qui remplace le conseil d’administration. "Nous avons adopté les principes de la démocratie implicative, ce qui signifie que nous prenons des décisions ensemble parce que nous travaillons ensemble", commente Philippe Brel. Pour le président de la Scic, Éric Lambert, cette transformation est "l’aboutissement du partage et de la coopération", "elle renforce l’engagement et la contribution de tous au projet commun."
L’aboutissement d’une histoire
Elle est aussi le couronnement d’une histoire, commencée en 2005, lorsque le Cercle des Vignerons rachète la marque Estandon, alors en perte de vitesse avec 250 000 bouteilles produites pour un chiffre d’affaires de 900 000 euros. Depuis cette date, l’histoire de la première entreprise viticole de Provence s’écrit en quatre dimensions : faire ensemble, construire une marque, adopter un management différent, produire durablement.
Dès 2008, la marque Estandon est relancée sur tous les marchés, avant de devenir l’étendard de l’entreprise, en 2012, qui devient Estandon Vignerons, "une identité plus visible, valorisante et affirmée." Cette même année, ce sont un peu plus d’un million de bouteilles qui ont été vendues sous l’étiquette Estandon Vignerons pour un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros. En 2020, nouveau changement de nom, avec Estandon Coopérative en Provence, l’Union décidant de clamer haut et fort sa force coopérative et de développer une "expérience Estandon", qui rencontre alors le succès sur tous les marchés en France et dans plus de 50 pays aujourd’hui.
En parallèle, l’entreprise, dont la croissance n’a jamais fait défaut avec un chiffre d’affaires total qui atteint les 57 millions d’euros en 2022 (dont 28 M€ sous la marque Estandon), fait le pari de l’intelligence collective. Dès 2010, le projet d’entreprise est co-construit. En 2015, la démarche participative Estandon 2020 est lancée. Puis, en 2019, la coopérative adopte un cri de ralliement, "Estandon, c’est nous !", renforçant l’esprit d’appartenance liant réciproquement les 300 viticulteurs et la marque. Le plus important metteur en marché des Vins de Provence montre aussi la voie d’une agriculture plus durable, capable de s’adapter au changement climatique, avec désormais 35 % de sa production labellisée bio et 90 % de ses volumes certifiés Haute valeur environnementale de niveau 3, le niveau le plus élevé.
Un horizon à 2030
C’est l’année dernière que la PME a choisi de tracer sa route jusqu’en 2030, une route faisant la part belle à la démocratie participative et dont le point d’orgue est le changement de statut qui vient d’être entériné. "Ces dernières années, les vins de Provence sont devenus les plus désirables et nous avons souhaité que chacun de nos acteurs y retrouve sa part. Nous voulons partager cette prospérité, faire en sorte que notre modèle économique soit pérenne et qu’il prenne en compte les enjeux environnementaux et climatiques de demain. Nous voulons partager une certaine qualité de vie et bâtir un lien social et fort." C’est ainsi que Philippe Brel avait résumé la feuille de route jusqu’à 2030.
Avec l’adoption des principes de fonctionnement d’une Scic, l’entreprise ouvre un nouveau chapitre de son histoire. "Nous avons créé une famille que nous annoncions depuis longtemps. Ce discours, aujourd’hui nous l’assumons, nous l’inscrivons dans nos statuts. Ce n’est pas du vent !", confie Gaëtan Hawadier, le directeur adjoint. "On dit toujours qu’Estandon est une grande famille, c’est le moment de le prouver", renchérit le président Éric Lambert, pour qui il était primordial que tous, salariés compris, participent à bâtir l’avenir de l’entreprise. Un avenir qui devrait aussi reposer sur un nouvel outil de production.
Présent sur deux sites à la fois, Estandon réfléchit en effet depuis 2022 à un projet de relocalisation complète de son activité, permettant de tout réunir sur un même site, pour un investissement qui devrait avoisiner les 20 millions d’euros. "Nous occupons 1,5 hectare à Brignoles avec deux chaînes de mise en bouteille de 6 000 et 9 000 bouteilles par heure et une ligne Bag in box automatique. Nous avons 6 200 m² de stockage à Flassans (Var). Nous avons besoin de 4 hectares." Un projet structurant pour l’avenir au sujet duquel les salariés auront voix au chapitre !
