Coronavirus : ce que prévoient les 25 premières ordonnances de l'état d'urgence sanitaire pour les entreprises
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Coronavirus : ce que prévoient les 25 premières ordonnances de l'état d'urgence sanitaire pour les entreprises

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Vingt-quatre heures après avoir déclaré l’état d’urgence sanitaire en France, le gouvernement a présenté, le 25 mars, les premières mesures adoptées dans le cadre de cette situation d’exception. Les entreprises sont concernées par la plupart de ces 25 ordonnances : elles consistent soit à mettre en œuvre des mesures (nouvelles ou annoncées) de soutien à l’économie, soit à organiser des dérogations (temporaires et majeures) au droit du travail.

Les 25 premières ordonnances prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire introduisent plusieurs dérogations majeures au Code du travail, notamment sur le temps de travail, le repos hebdomadaire et les jours de congés — Photo : CUsai - Pixabay

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. C’est le sens qu’a voulu donner le gouvernement aux 25 premières ordonnances (sur les 43 attendues) prises au nom de l’état d’urgence sanitaire.

Des ordonnances pour encaisser « le choc »

Présentées en conseil des ministres le 25 mars et publiées au Journal officiel le 26 mars, elles prévoient une multitude de règles dérogatoires au droit commun. L’idée est de limiter les « graves dommages économiques et sociaux que provoque inévitablement le confinement », a expliqué Édouard Philippe. Et, plus largement, de « faire face à la brutalité du choc que subit le pays, d’abord un choc sanitaire […] mais aussi, et ce le sera de plus en plus, un choc économique et social ». D’ailleurs, le Premier ministre a prévenu : « Nous ne sommes qu’au début de la crise et c’est un effort long que nous préparons. »

Pour ce faire, le gouvernement a donc présenté un « premier train » de mesures sous le régime de l'urgence sanitaire. Ce paquet inaugural fait la part belle aux aménagements du droit du travail et aux aides en faveur des entreprises. Volonté affichée : assurer au plus grand nombre, entrepreneurs comme salariés, un « filet de sécurité », tout en facilitant le travail des secteurs considérés comme essentiels dans cette période de crise.

Des aménagements majeurs du droit du travail

Les ordonnances mettent un sérieux coup de canif à plusieurs articles du Code du travail. Des dérogations spectaculaires, pour « permettre l’organisation d’une véritable économie de guerre », s'est justifié Édouard Philippe.

• Jours de congés imposés par l’employeur

Les vacances des salariés deviennent une variable d’ajustement pour l’entreprise. En ces temps de confinement généralisé et d’activité paralysée, tous les employeurs vont pouvoir disposer de deux leviers.

Sur les congés payés, l’entreprise pourra imposer une semaine à ses salariés, sans avoir à respecter le délai de prévenance d’un mois, prévu en temps normal dans cette situation. Elle doit toutefois appliquer les mêmes jours à tout le monde, a indiqué la ministre du Travail Muriel Pénicaud, en conférence de presse. Autre condition, et non des moindres : cette mesure n’est possible que si un accord collectif le permet, au niveau de la branche ou de l’entreprise.

Sur les RTT et le compte épargne temps, l’employeur dispose d’une plus grande liberté, puisque, cette fois, il peut « exceptionnellement fixer lui-même les dates, jusqu’à 10 jours » de réduction de temps de travail (RTT) ou de compte épargne temps (CET).

Dans les deux cas, l'employeur doit respecter un délai de prévenance d'au moins un jour franc, et la période de prise de congés ou de jours de repos imposée ou modifiée ne peut s'étendre au-delà du 31 décembre 2020. Par ailleurs, le nombre total de jours de repos dont l'employeur peut imposer au salarié la prise ou dont il peut modifier la date ne peut être supérieur à dix.

• Durée du travail et repos du salarié libéralisés

« (Certaines) entreprises pourront déroger [au droit du travail] temporairement et avec des compensations ultérieures. »

Le gouvernement a pris des pincettes pour annoncer ces assouplissements sans précédent du code du travail. Ils seront limités à des secteurs d'activité bien précis, dits « vitaux ». La liste sera publiée prochainement par décret, mais Muriel Pénicaud a notamment cité « la fabrication des masques, des médicaments, l’agroalimentaire, l’agriculture, l’énergie ». Bref, « quelques entreprises cruciales » en proie à « un surcroît de demande » et à un manque de main-d’œuvre.

Dans ces secteurs d'activité bien précis,

- la durée du travail va pouvoir être portée à 48 heures par semaine (au lieu de 44 heures) en moyenne sur 12 semaines consécutives.

- la durée quotidienne maximale du travail va pouvoir être portée jusqu'à douze heures.

- la durée hebdomadaire maximale du travail va pouvoir être portée jusqu'à soixante heures (au lieu de 48 heures actuellement), en respectant les temps de repos et en majorant les heures supplémentaires, dès la 36e heure de travail.

- le travail le dimanche est autorisé « sur la base du volontariat » et le travail de nuit autorisé jusqu'à douze heures consécutives.

Ces exceptions relatives à la durée du travail et aux repos hebdomadaire et dominical sont « temporaires », a insisté Muriel Pénicaud, en vigueur « pour les quelques semaines qui viennent ». Un message qu’avait martelé, avant elle, Édouard Philippe : « Sous conditions, les entreprises pourront déroger [au droit du travail] et, là encore, je le répète, temporairement et avec des compensations ultérieures »… dont il n’a rien dit.

• Vers un chômage partiel quasi automatique et pour tous

Axe majeur de la politique anti-crise du gouvernement, l’élargissement du dispositif d’activité partielle est acté dans les ordonnances du jour et sera complété dans celles à venir. Quelques nouveautés sont toutefois introduites.

Un délai de réponse de l’administration raccourci : En l’absence de retour de l’administration dans les 48 heures après le dépôt de sa demande, l’entreprise pourra considérer que son dossier est accepté d’office.

Un champ des bénéficiaires élargi côté entreprises… : Le dispositif va s’étendre de celles comptant un seul salarié aux groupes qui en étaient jusque-là exclus, comme la SNCF, en passant par les particuliers employeurs.

… et côté salariés : De nouvelles catégories de travailleurs vont pouvoir accéder au chômage partiel. En l’occurrence, les salariés au forfait jour, les VRP, les assistants maternels ou les employés à domicile. Et ce n’est pas fini.

« Les intérimaires bénéficieront automatiquement du chômage partiel jusqu’à la fin de leur mission, qu’elle soit exercée ou pas. »

Les « salariés employés en France par une entreprise qui paye ses cotisations mais n’a pas d’établissements dans le pays » seront concernés. De même que les intérimaires : ils « bénéficieront automatiquement du chômage partiel dans tous les cas, jusqu’à la fin de leur mission, qu’elle soit exercée ou pas », a affirmé Muriel Pénicaud. Les saisonniers aussi, « au moins jusqu’au 15 avril et au-delà si leur durée de contrat le prévoyait, même s’ils n’ont plus de travail » (cas dans les stations de ski, qui ont toutes fermées).

Enfin, tous les salariés rémunérés sous le Smic seront indemnisés à 100 % de leur salaire - « Cela concerne beaucoup de salariés à temps partiel et une grande majorité d’apprentis », a souligné la ministre.

Des engagements renouvelés : Sont confirmés le délai de 30 jours pour déposer une demande d’activité partielle, avec effet rétroactif et la prise en charge de l’intégralité de l’indemnisation des salariés par l’État jusqu’à 4,5 Smic (décret attendu le 26 mars sur ce dernier point).

• Indemnisation de l’arrêt maladie pour garde d’enfant fixée

Face à la fermeture des écoles, le gouvernement avait ouvert la possibilité à l’un des deux parents salariés de poser un arrêt de travail sans certificat médical. La ministre du Travail a précisé que ce dispositif, sans délai de carence ni condition d’ancienneté, ouvrirait droit à une rémunération « au moins égale à 90 % du salaire net ».

• Délai supplémentaire pour l’intéressement et la participation

« Évidemment, nous maintenons intégralement les droits des salariés acquis au titre de 2019, a expliqué Muriel Pénicaud. Mais nous donnons la possibilité aux entreprises qui rencontrent des difficultés de trésorerie de verser ces sommes jusqu’au 31 décembre, et non pas d’ici au 30 juin. »

Des mesures complémentaires de soutien aux entreprises

Après son plan d’aide immédiate annoncé à 45 milliards d’euros et la garantie publique des prêts bancaires de 300 milliards d’euros, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a, de son côté, dévoilé une « deuxième vague » de mesures en faveur des entreprises. Certaines étaient toutefois déjà connues.

• Marchés publics : plafond des avances et pénalités mis en sourdine

Bruyant critique des délais de paiement interentreprises qui s’envole à la faveur de la crise du coronavirus, l’État entend montrer l’exemple pour alimenter la trésorerie des entreprises. Pour ce faire, il va lever le plafond de 60 % appliqué au paiement des avances dans les marchés publics. « Il n’y aura plus de limites » en la matière, a affirmé Bruno Le Maire. Il estime que la mesure devrait bénéficier en particulier aux entreprises du BTP.

Par ailleurs, le gouvernement va ouvrir « la possibilité de reporter l’application des marchés publics et leur exécution sans aucune pénalité ».

• La suspension des factures et des loyers en pratique

La promesse présidentielle du 16 mars sur la suspension des factures et des loyers aura droit à sa propre ordonnance. Plusieurs dispositions, énumérées par Bruno Le Maire, sont prévues et doivent s’appliquer « partout sur le territoire, pour tous les commerçants, artisans, indépendants ». Il s’agit de :

- l’interdiction de toute « suspension, interruption et réduction de la fourniture d’électricité, de gaz et d’eau pour les petites entreprises » ;

- la « possibilité d’échelonner dans le temps le paiement des factures correspondantes sans aucune pénalité » ;

- et la « possibilité de demander le report ou la suspension du paiement des loyers, sur la base de l’accord trouvé avec l’ensemble des bailleurs » le 21 mars.

• La double détente du fonds de solidarité

Autre mesure d’urgence promise depuis plusieurs jours : le fonds de solidarité prend, lui aussi, forme à travers une ordonnance. Consacré comme « la réponse ultime à tous ceux qui n’ont pas pu bénéficier des autres dispositifs », il comporte « deux étages ».

Une aide forfaitaire de 1 500 euros : Bercy avait déjà détaillé les conditions d’éligibilité (entreprises réalisant moins d’1 M€ de chiffre d’affaires, dont l’activité a fermé sur ordre des autorités ou dont le chiffre d’affaires a subi une baisse de CA supérieure à 50 % entre mars 2019 et mars 2020). Précision importante : « Le versement est automatique. » Aussi Bruno Le Maire a-t-il enjoint les bénéficiaires « à se manifester auprès de la Direction générale des finances publiques » pour recevoir leur dû autour de « fin mars, début avril ».

Un soutien additionnel jusqu’à 2 000 euros : Cette fois, rien de systématique. Cette enveloppe supplémentaire ira aux petites entreprises les plus en difficulté, après instruction des dossiers au niveau régional, dans le but d'« éviter des faillites ».

Coût total de ce fonds de solidarité : « De l’ordre du milliard d’euros par mois ». Pour combien de temps ? « Tant que la crise durera », affirme le ministre de l’Économie. À durée indéterminée donc.

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