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Coronavirus - Charles Cabillic (groupe W3) : « Nous allons devoir réinventer nos déplacements »
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Charles Cabillic fondateur du groupe W3 Coronavirus - Charles Cabillic (groupe W3) : « Nous allons devoir réinventer nos déplacements »

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Numérique, immobilier, économie du partage, transport aérien... Charles Cabillic connaît bien le monde des affaires, lui qui, depuis Brest, a notamment créé ou cofondé, au sein du groupe W3, l'agence digitale immobilière AC3, l'agence digitale Zip, les plateformes Allô Voisins et Air Affaires, ou encore le fonds d'investissement et accélérateur breton West Web Valley. Pour lui, la crise sanitaire actuelle va changer durablement la donne dans bien des domaines, mais aussi créer de nombreuses opportunités.

— Photo : © D.R.

Comment avez-vous vécu l’arrivée de la crise sanitaire actuelle ?

Charles Cabillic : Le digital a été moins touché que les autres secteurs, notamment grâce au télétravail. Mais malgré tout, beaucoup d’activités se sont arrêtées ou ont été fortement réduites. Pour nous, le premier impact a été l’annulation du West Web Festival, qui représente tout de même un budget de 200 000 €. En ce qui concerne la West Web Valley (3 salariés, 35 M€ de dotation), nous travaillons sur la création d’un deuxième fonds d’investissement du même ordre au deuxième semestre de cette année, avec l’idée de développer une filière d’excellence en Bretagne. Nous avons dès le départ mis en place une animation collégiale pour les 17 start-up que nous accompagnons avec des réunions de coordination, de partage des bonnes pratiques et des difficultés, et des conseils pour les aider à mobiliser de la trésorerie et du chômage partiel. Car si bon nombre d’entre elles peuvent travailler en télétravail et que certaines d’entre elles sont même en plein essor, d’autres n’ont tout simplement plus de clients. Mais j’estime que, sur le plan économique, le gouvernement a globalement bien géré la crise en mettant en place des plans d’urgence qui ont été affinés par la suite. Le dispositif de PGE de Bpifrance a notamment bien fonctionné pour les start-up en difficulté, et la plupart des acteurs ont réagi en responsabilité.

Selon vous, qu’est-ce que cette crise sanitaire va changer dans les années à venir ?

Charles Cabillic : Elle va changer les choses de façon durable, car bon nombre d’activités vont voir leur développement ajourné de deux ou trois ans. Je pense au tourisme, à la restauration, ou aux déplacements en général car beaucoup d’activités sont liées au présentiel. Mais c’est aussi une véritable opportunité pour accélérer des processus qui étaient déjà en cours, de vivre davantage dans le moment présent et moins dans l’urgence… Cette crise va aussi certainement accélérer des processus de relocalisation d’entreprise. Je pense que la course au « toujours moins cher » a assez duré. À mon sens, le vrai sujet n’est désormais plus de payer moins cher, mais de payer le juste prix pour faire vivre tout un écosystème local. La Bretagne a une vraie carte à jouer dans ce domaine car la conscience collective y est plus forte qu’ailleurs : on veut créer des entreprises ici, de l’emploi, et privilégier le local en premier lieu. Or, force est de constater que beaucoup de consommateurs font actuellement vivre un écosystème dont ils ne font pas partie…

Mais avec le digital, ce fossé ne risque-t-il pas justement de se creuser ?

Charles Cabillic : Le digital a malheureusement accéléré les choses en effet, en facilitant les échanges aux quatre coins du monde. Mais cela a aussi engendré une dépendance, des prix anormalement bas ou encore de la pollution pour du transport ou des déplacements dont on pourrait se passer. Cette crise aura au moins eu le mérite de faire passer toutes les entreprises au digital là où des freins existaient depuis plus de 20 ans. La visioconférence existe depuis des décennies, mais tout le monde préférait prendre le train ou l’avion pour des réunions à Paris de deux heures… Je pense que cette page est définitivement tournée. Selon moi, le non-déplacement va devenir la règle, et le déplacement l’exception. Est-il vraiment nécessaire de partir une semaine à l’autre bout du monde pour passer une semaine à la plage ? Il va désormais falloir trouver l’équilibre entre la valeur ajoutée d’un déplacement et l’opportunité de le réaliser. C’est malheureux, car beaucoup d’emplois vont disparaître de façon durable, mais d’autres vont aussi se créer, notamment autour de l’énergie, de la dématérialisation, de la digitalisation ou encore du transport responsable. Il va falloir accompagner la disparition de ces emplois, en permettant aux salariés concernés de changer de secteur.

Au sujet du transport, comment Air Affaires (12 salariés, CA NC), votre plateforme de location d’avions privés se porte-t-elle ?

Charles Cabillic : Dès lors que les déplacements ont été interdits, nous n’avons plus eu d’activité. Tous les vols ont été annulés et nous avons mis une bonne partie de l’équipe au chômage partiel. Dans une idée de solidarité, avec d’autres compagnies aériennes, nous avons monté un partenariat avec Aviation sans frontières afin de transporter gratuitement du personnel soignant et du matériel médical. C’est d’ailleurs assez incroyable car juste avant la crise, il y avait une polémique sur le nombre de terrains d’aviation en France. Aujourd’hui, les villes sont bien contentes d’en avoir un pour pouvoir acheminer le matériel médical et le personnel soignant. À plus long terme, nous pensons que cette crise est une opportunité incroyable pour nous, car l’offre de transport va être drastiquement réduite, et qu’Air Affaires, avec ses 220 avions et plus de 500 pilotes partout en France, va permettre aux dirigeants de réaliser leurs déplacements nécessaires de façon responsable. J’y vois aussi une opportunité pour l’aviation électrique, qui va arriver d’ici un an ou deux et va permettre de voyager à quatre ou six passagers. C’est une excellente nouvelle sur le plan environnemental car elle va permettre de démocratiser l’aviation privée en permettant de réduire les coûts de maintenance et d’exploitation qui sont beaucoup plus faibles que pour un avion thermique.

On entend dire ici et là que l’économie du partage risque de souffrir de la crise… Comment voyez-vous les choses pour Allô Voisins, votre plateforme de location et de services entre particuliers et qui emploie 19 salariés à Nantes ?

Charles Cabillic : L’activité traditionnelle de services en présentiel, - qui a représenté pour nous un volume d’affaires de 60 millions d’euros en 2019 -, s’est effondrée. Mais nous avons utilisé la plateforme pour mettre en place des partenariats avec de grandes enseignes pour lancer des opérations de solidarité nationale, en supprimant toutes les commissions. Je pense que l’activité va rapidement reprendre à partir du 11 mai. On a senti un véritable élan de solidarité dans notre communauté qui rassemble plus de 3,5 millions de membres et près de 2000 ETP, et je pense au contraire que les gens vont désormais davantage considérer leur voisin comme un allié.

En tant que spécialiste de l’immobilier, vous qui avez créé puis revendu le groupe AC3 (170 salariés, 22 M€ de CA), quelle est votre vision sur l’avenir du marché ?

Charles Cabillic : Il semblerait que 85 % des compromis de vente qui devaient être signés en avril ne l’ont pas été, notamment du fait de l’arrêt de l’activité des notaires. Mais la véritable question est de savoir s’ils seront reportés ou annulés. Je suis plutôt confiant pour nos territoires. La crise va forcément créer un appel d’air car beaucoup de gens vont vouloir vivre en pavillon. En parallèle, il risque aussi d’y avoir une chute de la demande pour les immeubles et les bureaux, et donc potentiellement une chute des prix. Pour les maisons individuelles, je doute que cela change grand-chose. Mais pour les appartements en ville, il va certainement y avoir de belles opportunités, ce qui pourrait doper le marché immobilier en créant des désirs de déménagement. Rien que ces derniers jours, j’ai reçu trois candidatures spontanées de personnes vivant à Londres et Paris. Je ne pense pas non plus que les taux d’intérêt montent significativement car les banques centrales font leur travail et annoncent des mesures pour faire face à cette crise mondiale. La peur d’une éventuelle hausse des taux d’intérêt peut également déclencher des achats… Il y a tellement d’effets contraires que la probabilité qu’ils s’annulent reste forte. L’avenir nous le dira.

Comment imaginez-vous le déconfinement prévu lundi 11 mai ?

Charles Cabillic : Selon moi, il s’agit davantage d’un confinement allégé que d’un déconfinement, quand on voit toutes les règles qui vont être supportées par les entreprises et les collectivités. Mais nous n’avons pas le choix. L’essentiel va être d’éviter une éventuelle seconde vague car la capacité de l’État à supporter des mesures de chômage partiel va être amoindrie. De notre côté, le télétravail pour nos collaborateurs va continuer à être la règle.

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