Meurthe-et-Moselle
Saint-Gobain PAM s'élève contre la concurrence indienne
Enquête Meurthe-et-Moselle # Industrie # Politique économique

Saint-Gobain PAM s'élève contre la concurrence indienne

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En confirmant une aide de 4 millions d’euros à l’indien Electrosteel pour son projet d’usine à Arles, le gouvernement s’est attiré les foudres de la Lorraine qui compte un autre fabricant de tuyaux en fonte : Saint-Gobain PAM. Ses défenseurs y voient une menace pour les 2 000 emplois du territoire. Sa direction dénonce une concurrence déloyale. De quoi faire trembler ce colosse aux pieds d’argile ?

Saint-Gobain PAM, qui compte 4 500 salariés dont 2 100 en France, a réalisé 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2021 (dont 600 millions d’euros en France) — Photo : Jean-François Michel

La levée de boucliers a été générale. Le front, inédit. Dénonçant "trahisons" et "coups de poignard dans le dos", organisations syndicales, représentants patronaux, élus du territoire et collectivités locales de Lorraine se sont trouvés début novembre un combat commun : prendre la défense du fabricant de canalisations en fonte ductile Saint-Gobain PAM à Pont-à-Mousson (CA 2021 : 1 Md€ dont 600 M€ en France ; effectif : 4 500 dont 2 100 en France). Au cœur de cette indignation partagée : une subvention de France Relance de 4 millions d’euros versée au titre du dispositif Résilience à un concurrent nommé Electrosteel Europe, filiale du groupe indien Electrosteel Castings (CA : 700 M€ ; 4 500 salariés). Cette dernière a l’intention de construire d’ici à 2024 une unité de production de canalisations à Arles (Bouches-du-Rhône) et promet d’y créer entre 200 et 250 emplois directs.

Concurrence déloyale

Il est ici question d’un chèque de 4 et non 40 millions d’euros comme entendu au début de la polémique. Mais cela reste au-delà des 2,9 millions d’euros avancés dans la foulée par le ministre de l’Économie lui-même devant l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire contraint d’apaiser les esprits face à la polémique qui a rapidement secoué les couloirs de Bercy. À l’annonce de cette subvention et son montant précisé, la communication de Saint-Gobain PAM s’est montrée plus que dubitative. "Nous nous interrogeons sur la logique qui a conduit à cette décision", a-t-elle glissé au Journal des Entreprises le 8 novembre 2021 avant de dénoncer une situation "dissymétrique" entre les deux groupes puisque, selon elle, le marché indien "reste fermé aux acteurs industriels européens fabricants de canalisation", comme Saint-Gobain PAM. "Nous avions déjà alerté les acteurs économiques et publics sur cette question de réciprocité d’accès aux marchés." Rappelant au passage que la société Electrosteel avait déjà été condamnée pour dumping. "La Commission européenne avait alors estimé que la concurrence de cet acteur indien se faisait de façon déloyale et avait instauré en 2016 des mesures antidumping à son encontre." À la mi-janvier 2022, le directeur général Jérôme Lionet enfonce le clou : "Electrosteel est un concurrent qui s’est développé de façon déloyale pendant 15 ans et que l’État vient aujourd’hui adouber."

Succédant à Ludovic Weber, Jérôme Lionet a pris la tête de l’activité "Canalisation" du groupe Saint-Gobain et donc la direction générale de Saint-Gobain PAM le 1er juillet 2021 — Photo : Saint-Gobain

En plus de craindre l’arrivée d’un nouvel acteur sur son marché, la communication de Saint-Gobain PAM a tenu à souligner que ce dernier était surchargé : "L’Europe présente déjà une surcapacité industrielle et ne nécessite pas de nouveau producteur sur son sol. Ainsi, la création d’emplois d’un côté pourrait poser la question des destructions d’emplois de l’autre. Nous comprenons donc l’émoi suscité chez nos partenaires sociaux." Des préoccupations effectivement relayées par les syndicats mais aussi par l’UIMM Lorraine qui, dans une lettre ouverte adressée le 9 novembre 2021 aux ministres Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher, s’est opposé frontalement à la subvention arlésienne. "Ce serait un coup de poignard dans le dos de la Lorraine et des Lorrains, a fulminé la fédération patronale. Ce serait aussi un contresens économique suicidaire et un reniement de la stratégie industrielle portée par l’État ces derniers mois."

"Cheval de Troie"

Pour appuyer le message, le député de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier a choisi d’interpeller, le 16 novembre 2021 dans l’hémicycle, le ministre de l’Économie en comparant la future usine des Bouches-du-Rhône à un "cheval de Troie". En réponse, Bruno Le Maire s’est dit "très surpris de cette polémique" avant de mettre l’argument de l’emploi sur la table. "Electrosteel hésitait entre la France et d’autres sites européens. Qu’est-ce qu’on préfère ? Qu’il s’installe dans un autre pays ou qu’on continue à importer les canalisations d’Inde ? Nous avons fait le choix de soutenir cette implantation à Arles créant 190 emplois sur des canalisations qui ne sont pas les mêmes que celles de Pont-à-Mousson et qui ne leur font pas concurrence."

Selon le directeur général de Saint-Gobain PAM Jérôme Lionet, la concurrence annoncée avec Electrosteel sera "frontale" — Photo : Jean-François Michel

Or, sur ce point, ses collègues du ministère de l’Industrie se veulent plus nuancés. "Il y a un recoupement partiel des gammes, reconnaît le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher. Le site d’Arles pourra fabriquer les mêmes types de petits diamètres qu’à Pont-à-Mousson. En revanche, seule l’usine de Saint-Gobain PAM est capable de fabriquer des tuyaux jusqu’à deux mètres de diamètre." Toujours selon le ministère, le four électrique arlésien (60 000 à 80 000 tonnes par an) n’aura pas les mêmes capacités de production que son concurrent mussipontain (120 000 tonnes par an). Surtout, le fabricant indien prévoirait de n’en produire que 30 000 tonnes à destination du marché français. Le reste serait exporté en Europe et surtout à l’international, notamment vers le Maghreb et l’Afrique, "des marchés sur lesquels Saint-Gobain PAM n’a pas les mêmes positionnements." D’autant que ces 30 000 tonnes viendraient se substituer aux 20 000 tonnes actuellement importées par Electrosteel en France. "L’incrément ne sera que de 10 000 tonnes au maximum, minimise le cabinet. Et ce, sur un marché français d’environ 175 000 tonnes."

Concurrence partielle ou frontale ?

Sans oublier que, toujours selon les chiffres du ministère, la France continue d’importer environ 15 % de ses tuyaux en fonte. "Mais importer n’invalide pas le fait que le secteur reste surcapacitaire, rectifie le directeur général de Saint-Gobain PAM. Cela a même été démontré par la commission européenne dans ses analyses : le secteur utilise 55 % de sa capacité installée ! L’État ne peut pas interdire à quelqu’un de s’installer, mais soutenir l’installation d’une usine supplémentaire sur un marché fondamentalement surcapacitaire, non, ce n’est pas une bonne idée."

Quant à la concurrence "partielle" entre les deux acteurs évoquée par Bercy, le dirigeant s’inscrit en faux. "Sur nos ventes européennes, la gamme de production potentielle d’Electrosteel représente 85 % de recouvrement. Les 15 % restants sont effectivement de gros diamètres mais représentent une petite part de notre production. Pour le reste, ce sont tout à fait les mêmes produits ! De plus, nous sommes dans un secteur normé et il y a, dans les codes des marchés publics, des obligations d’interopérabilité des acteurs. Les industriels doivent rendre leurs produits compatibles les uns avec les autres. Aujourd’hui, nous savons très bien qu’Electrosteel vend des produits frontalement en concurrence avec les nôtres."

Le nouveau directeur de Saint-Gobain PAM a annoncé fin août un investissement de 10 millions d’euros dans un four électrique de 120 000 tonnes. Ce dernier remplacera le second haut-fourneau de 200 000 tonnes avant l’été 2022 — Photo : Jean-François Michel

De là à réellement menacer le leader européen ? "Dans un marché surcapacitaire à somme nulle, nous pouvons effectivement penser que celui qui a la part de marché la plus importante sera le plus touché, confirme Jérôme Lionet. Surtout, ils sont en France ! C’est donc plus facile d’attaquer l’acteur français que l’acteur allemand ou autrichien. Enfin, j’ai lu les déclarations des dirigeants d’Electrosteel au printemps 2021 comme quoi ils voulaient doubler leurs ventes en France et en Europe et même augmenter leurs importations. Voilà ce qui cristallise aujourd’hui l’ensemble des réactions."

Appel à l’apaisement

Cependant, les spécialistes de Bercy s’étonnent de voir les défenseurs de Saint-Gobain PAM brandir l’argument de l’engorgement du marché : "Si nous considérons qu’il y a surcapacité, demandons-nous alors pourquoi ce même groupe développe en même temps un nouveau four de 120 000 tonnes, avant même que nous ayons pris la moindre décision pour Electrosteel." Le fabricant lorrain a effectivement officialisé à la fin de l’été 2021 un investissement de 10 millions d’euros dans un four électrique et prévoit sa mise en service avant l’été. Une enveloppe d’ailleurs financée à hauteur de 2,5 millions d’euros par l’exécutif.

Une interrogation balayée par Jérôme Lionet qui rappelle que ce four électrique de 120 000 tonnes vient remplacer le deuxième haut-fourneau qui, lui, peut en produire 200 000 tonnes. En comptant les 300 000 tonnes du premier haut-fourneau, la capacité de production totale se retrouve donc réduite de 500 000 à 420 000 tonnes. La communication du groupe lorrain en profite pour rappeler les avantages environnementaux d’une telle installation : moins de consommation d’eau, moins d’émissions de CO2 et davantage de coproduits recyclés.

La direction de Saint-Gobain PAM annonce au Journal des Entreprises qu’elle n’est plus, à ce jour, à la recherche de partenaire industriel ou financier — Photo : Jean-François Michel

Assurant se tenir à la disposition de la direction lorraine pour "accompagner tous les projets visant à assurer le développement du site", le cabinet du ministère de l’Industrie appelle désormais toutes les parties prenantes "à l’apaisement" : "Même si nous comprenons l’affect qu’il peut y avoir autour de ce site historique de l’activité sidérurgique, notre conviction est qu’il y a de la place en France pour ces deux acteurs et pour créer de l’emploi dans cette filière." Une position confirmée le 10 décembre au Journal des Entreprises par Agnès Pannier-Runacher elle-même : "Nous sommes en train de prendre toutes les vigilances sur le site d’Arles […] pour faire en sorte qu’il ne puisse pas y avoir de cheval de Troie qui importe indûment des conduites. Il s’agit bien de produire en France un volume qui est aujourd’hui exporté d’Inde. Et nous ferons, évidemment en sorte qu’il ne puisse pas y avoir d’angles morts dans le dispositif."

"Le combat continue"

De son côté, la direction d’Electrosteel atteste ne pas vouloir "alimenter la polémique" mais le directeur général de Saint-Gobain PAM, lui, ne lâche pas l’affaire. "Le combat continue, lance-t-il. Nous ne savons pas encore ce que va devenir cette subvention et l’usine d’Arles n’est pas encore installée. Je le confirme, nous souhaitons qu’elle ne le soit pas." D’autant que Jérôme Lionet ne cache pas les difficultés financières du moment. La matière première flambe, les coûts explosent et les perspectives de développement à l’international restent floues. C’est donc pour relancer la machine qu’un plan stratégique d’entreprise est en cours d’élaboration pour les prochaines années. L’accent sera mis sur l’intégration des clients, les questions de RSE et de croissance durable, sans oublier l’innovation technologique, la transmission et le renouvellement des compétences.

En revanche, la recherche d’un éventuel partenaire industriel ou financier pour soutenir la croissance à l’international n’est plus à l’ordre du jour. Alors qu’en décembre 2019, le directeur général de l’époque Ludovic Weber confirmait les discussions avec d’autres acteurs internationaux et espérait voir le dossier aboutir en 2020, son successeur en annonce aujourd’hui la fin : "Nous ne sommes actuellement plus à la recherche de partenaire, confirme Jérôme Lionet. Nous avons aujourd’hui d’autres défis opérationnels de redressement et de modernisation. Relancer la dynamique de l’entreprise est notre priorité."

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