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Pourquoi les agences économiques se multiplient en Occitanie
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Pourquoi les agences économiques se multiplient en Occitanie

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L’Occitanie connaît une floraison d’agences d’attractivité et de développement économique, avec 4 structures créées en quelques mois. Plus souples que leurs devancières, plus ouvertes aux patrons, elles explorent de nouvelles façons d’agir face à la conjoncture incertaine de 2024.

Michaël Delafosse, président-maire de la Métropole de Montpellier, entourés des élus et responsables partenaires de l’Agence de Développement et des Transitions — Photo : 3M

Selon une récente étude du CNER (fédération des agences d’attractivité, de développement et d’innovation), le nombre d’agences économiques en France est en hausse constante, passant de 84 à plus de 100 structures entre 2017 et 2023. La Métropole toulousaine a été pionnière sur le sujet, en créant Invest in Toulouse dès 2013, avant d’élargir son périmètre sous le nom Toulouse Atout (50 permanents, budget : 5 M€) en 2016. Elle est imitée, avec un certain retard, par les intercommunalités voisines de l’Hérault et des Pyrénées-Orientales, qui ont lancé ou remanié profondément leurs propres agences au cours des derniers mois. L’Occitanie en comptait 10 en fin d’année 2023, chacune cultivant ses spécificités pour se démarquer.

Exploiter les forces du territoire

Dans l’Hérault, les Agglos de Sète et d’Agde ont fait le choix, en octobre 2021, de créer une agence d’attractivité commune, baptisée Blue (4 permanents, budget : 500 000 €). Elle organise des campagnes pour promouvoir ces territoires, riches de 35 000 TPE-PME et 51 parcs d’activité, comme nouvelle destination économique. Blue travaille aussi bien pour les projets de création ou d’installation d’entreprises que pour les relocalisations avec agrandissement. "Nous avons reçu 450 porteurs de projets qualifiés et gérons 80 dossiers actifs à ce jour. L’agence fonctionne comme un guichet unique, mais au bout de deux ans, il est clair que les projets d’installation forment le cœur de notre activité", évalue le directeur Pascal Pintre. En plus de soutenir la création d’emplois dans les métiers traditionnels (tourisme, pêche, conchyliculture), Blue veut exploiter son positionnement sur le littoral pour booster les filières innovantes, telles que l’économie bleue, l’économie verte (dont les énergies renouvelables) mais aussi les industries culturelles et créatives (ICC).

De son côté, l’Agglo Béziers Méditerranée retente sa chance après une tentative avortée deux ans plus tôt : elle a lancé, en novembre 2023, une agence nommée Pulse. Dépourvue de permanents, elle s’appuiera sur les équipes de Viaterra, la société d’aménagement locale. Elle dispose d’un budget de "quelques centaines de milliers d’euros", selon le président-maire de l’Agglo, Robert Ménard, qui en assure la présidence. Pulse veut valoriser le Biterrois (15 000 entreprises, 13 parcs d’activité), plus gros bassin industriel de l’Hérault, en structurant ses filières historiques (tourisme, viticulture) et à venir, à l’image du cluster EDEN (Écosystème Durable et Énergies Naturelles), formé autour de la société Genvia (électrolyseurs pour la production d’hydrogène vert). Dans un monde post-Covid, elle joue aussi la carte de l’attractivité patrimoniale, Béziers affichant plus de 2 000 ans d’histoire. "Les crises économiques que nous vivons sont la conséquence d’une métropolisation folle. Or un tiers de Français vivent dans les villes moyennes. Ce sont elles qui nourriront l’économie française à l’avenir", assure Robert Ménard.

Une pluralité de méthodes

Dans les Pyrénées-Orientales, Cap Sud 66 (30 permanents, budget : 2,5 M€) est née, en janvier 2023, avec la volonté de Perpignan Méditerranée Métropole de fusionner l’agence préexistante (Pyrénées Méditerranée Invest) et l’office de tourisme métropolitain. En une année, elle a assuré 15 missions de prospection, et accompagné 40 entreprises et 4 projets européens. "La fusion est d'abord une façon d'optimiser les moyens. La nouvelle agence offre aussi de la souplesse et de la réactivité en réponse à la demande des entreprises. Comme en témoignent les actions que nous menons, telles que le Train de la French Tech ou les missions au CES de Las Vegas", commente la directrice Hélène Billes-Bobo. Cap Sud 66 travaille sur les trois axes de l’attractivité économique, touristique et événementielle, et se donne ainsi une mixité de cibles. "À la différence des autres agences qui sont souvent sur des créneaux, nous voulons capter une pluralité de profils, des touristes aux cadres et aux étudiants, en passant par les nouveaux talents, car le recrutement reste la problématique n°1", poursuit Hélène Billes-Bobo. En marge des 35 parcs d’activité locaux, elle crée aussi de nouveaux vecteurs de croissance, en essayant de développer une filière dans les sports outdoor par exemple. "Les territoires sont en compétition, que le Covid a encore amplifiée. Or nous avons une carte à jouer car les décideurs veulent désormais s’installer sur les territoires médians", illustre la directrice.

À Montpellier, la Métropole a fait un pari différent. Elle s’est dotée, en novembre 2023, de l’Agence de Développement et des Transitions (ADT, budget : 1 M€), qui ne travaillera pas sur l’attractivité territoriale. Fédérant 200 communes, dans et au-delà des frontières métropolitaines, elle vise d’abord à accompagner les transitions sociétales et environnementales des 35 000 entreprises basées sur ce périmètre. "Il faut aider les entreprises à s’adapter aux nouvelles réglementations environnementales et économiques si nous voulons les pérenniser. Selon une récente étude, l’engagement sociétal d’une PME peut générer jusqu’à 13 % de gain en productivité. Nous serons la première agence en France à relever ce défi", assure le président-maire de la Métropole, Michaël Delafosse. L’ADT se donne pour objectif de conseiller 1 000 entreprises par an. Pour nourrir son offre de services, 8 partenariats thématiques ont été signés avec, entre autres, la CCI Hérault, la Fédération des travaux publics, le Medef Montpellier, EDF ou l’Ordre des experts-comptables. Ces derniers feront du reporting sur la base des critères RSE, par exemple. "Les PME n’ont pas forcément les moyens de gérer ces transitions", justifie l’avocat d’affaires Alex Larue, préfigurateur de l’ADT.

Un modèle ouvert aux entreprises

De l’avis général, les agences se multiplient car le climat politique change. Ces structures favorisent à la fois le rassemblement des acteurs institutionnels et l’ouverture aux entrepreneurs. Blue est le fruit d’une action commune à deux agglomérations. Le comité d’orientation stratégique de Cap Sud 66 regroupe une trentaine d’acteurs et socioprofessionnels du territoire, jusqu’à la Préfecture des Pyrénées-Orientales. À Montpellier, l’une des missions de l’ADT est clairement "le rééquilibrage territorial". La précédente mandature, à l’époque du président-maire Philippe Saurel, était marquée par des relations exécrables entre la Métropole et la Région Occitanie, au point de bloquer l’instruction de certains dossiers. La nouvelle agence a donc été pensée comme une instance de coopération, en arrimant la Région et 8 autres intercommunalités héraultaises (Sète, Agde, Pays de l’Or, Lunel, Pic Saint-Loup, Vallée de l’Hérault, Clermontais, Lodévois). Chacune s’engage à ne pas prospecter dans les autres territoires. Sur certains sujets sensibles, tels que le manque de foncier économique, elles devraient aussi jouer grouper, s’échanger des dossiers, ou à tout le moins se coordonner pour rendre plus lisibles les réserves disponibles aux yeux des entreprises exogènes.

Avec l'échelon régional, c'est le législateur qui, a priori, a aplani les difficultés. Et éliminé le risque de se marcher sur les pieds. Depuis 2018, la Région Occitanie dispose en effet de sa propre agence, Ad’Occ (190 permanents, budget : 25 M€), chargée de mettre en œuvre ses dispositifs économiques. "Il n’y a pas de redondance avec les agences locales. La loi NOTRE (nouvelle organisation territoriale de la République, votée en 2015 – NDLR) confie à la Région la compétence économique et les aides aux entreprises. Mais nous avons besoin des agences, qui gèrent leur foncier et valorisent leur territoire", explique le directeur Nicolas Schaeffer. Une des collaborations fréquentes entre les deux niveaux réside dans l’accueil de délégations étrangères : la création d’une filiale toulousaine par le japonais Astrocale (maintenance satellitaire), annoncée en octobre 2023, résulte d’une démarche Ad’Occ/Toulouse Atout.

Des incertitudes à lever

Illustrant le rapprochement entre acteurs, toutes les nouvelles agences se caractérisent aussi par une gouvernance publique/privée. Leur conseil d’administration intègre, le plus souvent, un collège d’entrepreneurs. Au sein de Pulse, ils sont 15 à s’engager pour peser sur les orientations futures de l’agence. Les deux vice-présidences sont confiées à des chefs d’entreprise : Mathilde Boulachin, dirigeante de Pierre Chavin (domaines viticoles) et Cédric Botella, PDG d’Instadrone (prestations techniques par drones). Ce dernier indique : "Nous n’allons pas partir dans des projets délirants. La création de clusters comme EDEN montre que, par capillarité, il y aura de nouvelles opportunités de marché à saisir, et pas que pour les sous-traitants de Genvia. Encore faut-il mettre en place les bons outils, pour aider les PME à identifier des interlocuteurs sur le foncier, le recrutement, la RSE, etc.". Président du Medef Béziers, Matthieu Ourliac renchérit : "En plus du foncier, il faut aussi proposer des compétences aux PME du bassin de vie. La création d’un diplôme en robotique à l’IUT de Béziers a été un premier pas, mais on doit aller plus loin : la formation doit être une priorité de l’agence".

Une offre adaptée aux PME ?

En effet, la question de l’adéquation entre l’offre des nouvelles agences et les besoins des PME reste entière, alors que la conjoncture se tend. Caroline Mateu, présidente d’Hexis (films adhésifs), copilote le Club des entrepreneurs (221 adhérents) créé en parallèle à Blue pour booster l’animation économique du bassin d’emploi. "À côté de Blue, le Club illustre la richesse du territoire pour attirer les entreprises extérieures. Nous animons aussi des rendez-vous réguliers pour échanger, mais je veux garder le focus sur le quotidien des PME. La RSE est très en vogue alors que le vrai sujet en 2024 sera la relation au travail, vu nos difficultés pour recruter", exprime-t-elle. Cette analyse fait écho aux positions de la CPME Hérault, qui siège au sein du collège institutionnel de l’ADT. Pas alarmiste (mais presque) face aux perspectives de 2024, son président Grégory Blanvillain prévient : "Avant de proposer des dispositifs de transformation aux PME, il faut les aider à changer de business model. Les patrons ont le nez dans le guidon et ne voient pas venir le mur s’ils ne savent pas attirer les jeunes talents ou vendre différemment. Or bien souvent, ils n’ont pas de board ou de directeur de service pour les épauler. Mon souhait est que l’ADT se saisisse aussi de ces sujets". Les feuilles de route des nouvelles agences, en cours d’écriture, devront répondre à ces interrogations au cours du premier semestre 2024.

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