Moselle
Lionel Gernolle (Arkema) : "Nous aurons demain les mêmes produits qu’aujourd’hui, mais sur base décarbonée"
Interview Moselle # Chimie # Investissement industriel

Lionel Gernolle directeur du site Arkema de Carling "Nous aurons demain les mêmes produits qu’aujourd’hui, mais sur base décarbonée"

S'abonner

Pour abaisser de 20 % les émissions de son site de Carling, en Moselle, le chimiste français Arkema va investir 130 millions d’euros dans une nouvelle unité de production d’acide acrylique. "Ce projet est une première étape", affirme le directeur du site, Lionel Gernolle, anticipant l’arrivée de matière biosourcée pour aller vers la neutralité carbone.

Lionel Gernolle est le directeur du site Arkema de Carling, en Moselle, qui emploie 400 personnes — Photo : Jean-François Michel

À quoi servent les acides acryliques que vous produisez sur le site Arkema (CA : 11,5 Md€ ; 21 100 salariés) de Carling ?

Au sein du groupe Arkema, nous fabriquons des pièces très diverses qui vont, par exemple, rentrer dans la fabrication des smartphones ou encore des produits qui vont permettre d’épurer l’eau. Et puis nous avons des produits qui vont finir dans la grande consommation comme les colles, les peintures, la cosmétique, les produits de traitement de l’eau. Tous ces produits ont une origine commune, c’est une base acrylique. La raison d’être du site Arkema de Carling, c’est de fabriquer des produits de la filière acrylique. C’est le seul site chez Arkema qui fabrique ces produits et nous sommes même le seul site en France. À l’échelle de l’Europe, seuls quatre ou cinq sites sont sur la même production.

Que devient votre production d’acide acrylique ?

Nous produisons 280 000 tonnes par an, dont les deux tiers sont captifs chez Arkema, ici ou dans d’autres sites du groupe, et un tiers va vers l’extérieur, vers d’autres marchés. Une installation comme la nôtre est un procédé continu, qui ne s’arrête jamais. Sur la plateforme Chemesis de Carling-Saint-Avold, j’ai des clients qui vont utiliser ce produit ou ses dérivés. Donc il y a des tuyaux qui vont transférer des produits fabriqués chez nous, chez Arkema, directement chez les clients, comme SNF, une société qui va fabriquer des produits pour les stations d’épuration, ou SAP, qui fabrique des super absorbants, cette poudre que l’on met dans les couches-culottes.

Le groupe Arkema a décidé de décarboner sa production et le site de Carling, qui emploie 400 salariés, s’est inscrit dans cette trajectoire…

Exactement. Quand on fabrique de l’acide acrylique ou d’autres produits dans la chimie, nous avons des matières qui sont issues du pétrole et nos procédés vont, pour des raisons fatales, générer du CO2. Il y a des chaudières qui vont amener de l’énergie ou des oxydateurs de manière à éliminer les effluents gazeux. Ces outils-là vont générer du CO2. Si on veut arriver en 2050 à la neutralité carbone et en 2030 à rester sur la trajectoire 1,5°C SBTI, pour Science Based Targets initiative, il faut arriver à réduire la quantité de carbone émise.

Comment allez-vous faire évoluer votre procédé ?

Nous allons le transformer. La première brique de la transformation de Carling, c’est le projet CARA, qui va nous amener à remplacer notre unité de distillation d’acide, qui est le cœur de l’activité, par une autre unité, neuve, moins énergivore, et qui va rejeter moins de déchets, notamment des déchets aqueux. Concrètement, en étant moins énergivore, cette nouvelle unité aura besoin de moins de consommation de vapeur, va permettre de brûler moins de gaz et donc de réduire les émissions de CO2. Nous avons fait des recherches sur les meilleurs procédés existants, sur ce qui était réalisable et prouvé. Et le moins impactant possible pour l’environnement. Et c’est ce procédé que nous allons installer. Nous serons donc équipés du meilleur procédé disponible, tant au niveau opérationnel, de rendement qu’en termes d’impact environnemental. Nous allons réduire nos émissions de CO2 de 20 %, soit 20 000 tonnes une fois le projet lancé.

Comment allez-vous passer d’une unité à l’autre sans arrêter la production ?

Nous sommes face à un défi technologique qui est de continuer à fabriquer, quasiment sur le même lieu, et de construire une nouvelle installation pour ensuite, n’avoir plus qu’à les relier les unes aux autres. Nous sommes sur des installations colossales, des colonnes de 40 mètres, au sein d’installations qui sont déjà extrêmement imposantes. Tout cela doit se faire en sécurité, pour les hommes, pour le procédé, et dans un temps record, de manière à pouvoir démarrer les premières installations fin 2025 pour avoir tout en fonctionnement à la fin du premier trimestre 2026. Aujourd’hui, les études d’ingénierie ont été faites. Maintenant, nous sommes en phase de réalisation, et en l’occurrence, comme pour une maison, il faut commencer par les fondations. Les travaux vont se dérouler quasiment pendant deux années complètes.

Cette nouvelle unité ne va pas vous permettre d’augmenter la capacité du site ?

Nous allons rester à capacité constante parce qu’aujourd’hui il y a des règles environnementales. Nous devons d’abord respecter des règles d’autorisation, de stockage. Je rappelle que nous sommes un site Seveso seuil haut. Nous diminuons le risque mais il y a toujours un risque résiduel. Aujourd’hui, nous remplaçons l’existant en conservant la capacité existante, mais nous avons prévu une possibilité de l’étendre, dans un avenir que l’on espère proche. Dans ce cas-là, il y aura une nouvelle étude pour pouvoir produire plus.

Le marché attend cet acide acrylique moins carboné ?

Tout le monde voudra avoir un jour une peinture, des voitures, des cosmétiques, tout cela décarboné. Nous sommes tous dans l’attente d’avoir une chimie qui réponde à notre futur. Nous nous y prenons très tôt, mais vu nos procédés, le temps d’avoir une décarbonation globale, il faut s’y prendre tôt. Un groupe comme Arkema, qui porte la chimie des produits qu’on utilise au quotidien, se doit d’accompagner la baisse globale des émissions. C’est maintenant qu’il faut commencer les changements pour répondre aux ambitions de 2030 et 2050.

L’étape suivante, c’est de changer vos recettes et d’introduire des matières biosourcées ?

La première étape, c’est de modifier nos procédés pour faire un premier gain en CO2. Ensuite, la deuxième étape, c’est d’amener des matières premières, du propylène, biosourcé, contenant moins de carbone, pour qu’à la fin l’acide acrylique contienne moins de carbone. Ici à Carling, nous avons 70 personnes, au centre de recherche, qui ont comme principal objectif, de décarboner les produits fabriqués. Il y a de nombreuses manières d’y arriver, soit par de nouveaux procédés, soit en acceptant des matières premières biosourcées, comme des alcools. Certaines sociétés proposent ces produits issus de matières biosourcées, comme des procédés de fermentation. L’acide acrylique que je vendrai demain n’aura quasiment plus de carbone.

Est-ce encore un horizon lointain ?

Certaines sociétés font des pilotes industriels, des petites usines, mais quand on voit notre taille et notre capacité, il nous faut des quantités importantes. Donc il faudra que l’ensemble des industries montent en puissance pour que ce produit devienne disponible en quantité. Mais c’est le sens de l’histoire. Sur la plateforme Chemesis, nous avons accueilli deux start-up, Metex et Afyren, qui font des molécules chimiques sur base biosourcée. Elles ont passé le cap et elles produisent. Nous avons un vivier de sociétés, d’industriels, de procédés qui vont nous permettre d’avoir à terme les mêmes produits qu’aujourd’hui, mais sur base décarbonée.

Moselle # Chimie # Investissement industriel # Transition écologique