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Jean-Jacques Depuydt (Fives Nordon) : "Nous sommes prêts à relever le défi du nouveau nucléaire"
Nancy # Nucléaire # Investissement industriel

Jean-Jacques Depuydt (Fives Nordon) : "Nous sommes prêts à relever le défi du nouveau nucléaire"

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Outil industriel, ressources humaines : Jean-Jacques Depuydt, le président du fabricant nancéien de systèmes de tuyauterie industrielle pour les marchés de l’énergie thermique, le groupe Fives Nordon (900 salariés), travaille sur un enjeu majeur pour son entreprise et pour le futur énergétique de la France : construire la nouvelle génération de réacteurs nucléaires.

« Chaque fois qu’il y a eu un programme nucléaire en France, on s’est fait happer par ce programme », relate Jean-Jacques Depuydt, président de Fives Nordon — Photo : Fives Nordon

Vous avez annoncé un plan d’investissement de 40 millions d’euros sans avoir de commandes fermes sur le marché du nucléaire. Avez-vous pris un gros risque financier ?

Les choses se précisent : nous sommes déjà en phase d’appels d’offres avec EDF. Tout cela prend un peu de temps, mais j’espère que les premières commandes arriveront avant la fin de l’année ou au tout début de l’année prochaine. Nous avons déjà pris des commandes pour la partie ingénierie, mais pour alimenter nos ateliers, il va se passer encore un peu de temps, entre les études, les approvisionnements et la préfabrication.

C’est pour cela que vous avez choisi d’investir par phases, en commençant par une première enveloppe de 15 millions d’euros ?

Nous sommes prudents. Nous avons la seule capacité de cintrage par induction en France, sur une machine qui a maintenant 40 ans. Elle a été remise à niveau et modernisée pour le dernier EPR. Et là, nous réinvestissons sur une nouvelle machine à 5 millions d’euros, le dernier modèle, avec le même fabricant. Nous disposerons donc de deux machines à cintrer, avec la toute nouvelle qui va s’installer dans l’entrée de l’atelier dès le début de l’année prochaine. Ensuite, avec le doublement de la travée abritant les deux machines à cintrer, en plus du formage et de l’usinage, nous aurons un nouvel atelier dédié au soudage. Ce nouvel atelier de 3 000 m2 fait partie de cette première phase d’investissement, nécessaire pour être prêt en 2026, pour le début de la préfabrication des pièces du nouveau plan nucléaire. Le permis de construire pour ce nouvel atelier sera déposé dans quinze jours. Nous croisons les doigts pour que la procédure se déroule vite…

Qu’avez-vous programmé dans les phases suivantes ?

Nous avons besoin de construire un nouveau centre de formation, le bâtiment actuel est ancien et va être démantelé. Et puis nous avons programmé des rénovations d’anciens bâtiments. Le site fait 30 000 m², en plein centre de Nancy, et pour ces programmes de construction du nucléaire, il faut beaucoup de capacités de stockage. Nous avons donc des magasins, des stockages couverts, des stockages extérieurs, tout cela consomme beaucoup de surface et nous avons la chance d’avoir un foncier important, bien localisé.

L’enjeu est donc de déjà prendre position avec le donneur d’ordres ?

L’atelier est prêt. La travée dédiée au nucléaire n’attend plus que les commandes. C’est de cet atelier, dans le passé, que sont sortis les équipements pour quasiment une tranche nucléaire par an en préfabrication. Donc la capacité matérielle existe, elle a besoin d’être modernisée, notamment avec la nouvelle machine de cintrage, qui affiche une capacité plus importante.

Et puis il y a la question de la ressource humaine. Fives Nordon compte actuellement 900 salariés, vous voulez être 1 500 en 2029. Comment est-ce possible ?

Depuis le Covid, nous avons lancé un programme de recrutement, nous avons anticipé, nous avons pris un petit risque, mais qui s’avère payant. Ce sont les entreprises qui ont les capacités humaines et matérielles qui prendront les commandes et pourront se positionner. Actuellement, nous terminons le programme EPR à Flamanville. Par contre, nous récupérons toutes les équipes dont nous avons besoin pour le programme EPR 2, mais le programme EPR 2 n’a pas commencé… Nous sommes en train de les repositionner sur des postes dans notre organisation, mais c’est assez lourd pour nous. L’année dernière, nous avons recruté 170 personnes en CDI. Pour compenser des départs en retraite mais aussi des départs tout court, parce que tout le monde recrute. Et c’est une bonne chose pour la profession. Nous sommes une société qui forme pour la profession. Quand on rencontre nos concurrents ou confrères, ce sont souvent des anciens de chez nous.

La montée en compétences des nouvelles générations va reposer essentiellement sur les épaules des anciens, qui savent encore faire et qui ont participé au développement du nucléaire français. Il était donc grand temps de relancer un programme nucléaire pour ne pas perdre ces compétences ?

Ce n’est pas nous qui décidons des programmes nucléaires français. Il y a encore deux ou trois ans, avoir des ateliers dédiés au nucléaire sans programme nucléaire, c’était presque une gabegie. Maintenant c’est indispensable et nous sommes contents d’avoir pu garder, grâce à nos différentes activités, nos compétences sur le site de Nancy. Dans le contrôle non destructif, dans la chaudronnerie, la tuyauterie, les monteurs, les mécaniciens, nous avons gardé un noyau de compétences pour être prêt à repartir sur le nucléaire. Ce qui n’a pas été le cas de nos confrères, qui, pour la plupart, n’ont plus d’atelier de ce type. Certains sont en train de reconstruire à vitesse grand V, mais nous sommes déjà prêts à repartir et à relever le défi du nouveau nucléaire.

Si les compétences n’étaient plus là, il ne serait plus possible d’investir ?

Nous avons la chance d’appartenir au groupe Fives (2 Md€ de CA), un groupe français qui mise sur la décarbonation. La filiale Fives Nordon (126 M€ de CA) réalise des réseaux de tuyauterie à haute technicité pour tous les métiers de l’énergie thermique, dans des secteurs porteurs comme l’hydrogène ou le biométhane. Tout cela fait que Fives croit dans notre activité et nous autorise à faire cet investissement et à faire ces recrutements un peu en avance de phase. Pour être franc, c’est un peu compliqué de vendre des promesses de commande. Maintenant, sur certains dossiers, nous sommes en discussion finale avec EDF, qui a une volonté de donner la priorité à la filière française. C’est très important pour nous, puisque nous avons gardé toutes les compétences en France. Nous avons un peu souffert pendant les dernières décades, mais il y a maintenant de belles pages de notre histoire à écrire avec ce programme EPR 2.

Nancy # Nucléaire # Investissement industriel # Créations d'emplois # ETI # Made in France