Normandie
Nouvel horizon pour les entreprises normandes du nucléaire
Enquête Normandie # Nucléaire # Créations d'emplois

Nouvel horizon pour les entreprises normandes du nucléaire

S'abonner

Employant 28 000 salariés en Normandie, le secteur du nucléaire est en pleine ascension, boosté par les deux projets de construction de nouveaux réacteurs EPR2 à Penly, dans la région de Dieppe, mais aussi par le programme Grand Carénage des centrales nucléaires normandes (Flamanville, Paluel et Penly). D’immenses défis pour la filière et le tissu économique local.

La Normandie compte 8 réacteurs nucléaires : ici, le site de Flamanville dans la Manche — Photo : EDF Alexis Morin

À l’heure de la transition énergétique, alors que le nucléaire reprend une place prépondérante en tant que technologie bas carbone, la filière nucléaire normande se place en pole position dans cette vague de développement national. En effet, l’actualité du nucléaire sur le territoire normand se montre inédite avec l’arrivée de projets industriels d’envergure menés par EDF : la construction de nouveaux moyens de production nucléaire (première paire de réacteurs EPR 2) sur le site de Penly en Seine-Maritime et le programme Grand Carénage des centrales nucléaires normandes (Flamanville, Paluel et Penly).

Des milliers d’emplois pendant plusieurs années

La première paire de réacteurs EPR2 sera construite sur le site de Penly en Seine-Maritime — Photo : Marc Didier

Ces projets phares, qui avaient fait l’objet d’une annonce du Président de la République à Belfort le 10 février 2022 dans le cadre du programme de relance de la filière nucléaire française, seront particulièrement créateurs d’emplois pour le territoire. Notamment pour la ville seino-marine de Penly qui se prépare à accueillir une part importante des futurs employés de ce chantier à plus de 8 500 emplois. La construction des EPR2 à Penly "nécessite de préparer le territoire pour accueillir un chantier qui aura des impacts en termes de besoins en foncier, en logements, en infrastructures", indique la préfecture de Seine-Maritime. "Il nous faudra aussi traiter des sujets comme la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la mobilité des salariés, l’offre de services et d’équipements du territoire, la sécurité."

Doubler le nombre d’ingénieurs en formation

Pour répondre à ces défis en matière d’emplois, la Région Normandie a mis en place le projet "3NC" (Normandie Nucléaire, Nouvelles Compétences) dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) "Compétences et métiers d’avenir visant à augmenter l’offre de formation de techniciens et d’ingénieurs au titre de la reconstruction de la filière électronucléaire française". Lauréat de l’AMI, la Région a obtenu de l’État un financement de 42 millions d’euros pour doubler le nombre d’ingénieurs en formation en Normandie. "C’est une opportunité extraordinaire qui vient s’ajouter aux 20 millions d’euros mobilisés par la Région et les entreprises pour permettre à près de 6 000 jeunes de se former à la filière nucléaire", a commenté Hervé Morin, président de la Région Normandie lors des rencontres de l’excellence nucléaire en Normandie, fin septembre 2023 à Dieppe. "La filière devra également faire appel à des personnes en recherche d’activité ou de reconversion et attirer des jeunes pour se former afin de travailler dans ce secteur. Elle va aussi chercher à renforcer la mixité dans ses personnels, en valorisant ses métiers", a-t-il ajouté.

Montée en compétences

Tout comme la Région Normandie, le réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI) de Normandie se mobilise pour accompagner les entreprises locales pour monter en compétences afin de capter les marchés potentiels, notamment par le biais de la plateforme CCI Business Nucléaire. Cette plateforme permet d’informer les entreprises sur les différents marchés et leurs calendriers, de faciliter leur mise en relation avec les grands donneurs d’ordres et leur donne la possibilité de participer à des rencontres d’affaires. "La plateforme s’adresse aux entreprises qui travaillent déjà dans le secteur du nucléaire mais pas seulement : elle concerne également celles qui ne se situent pas encore dans ce cône de référence et qui souhaiteraient diversifier leurs marchés en ce sens", explique Émilie Rioult, conseillère entreprises de la CCI Normandie.

L’entreprise Tubao, implantée à Saint-Saëns, se dit "intéressée par le secteur nucléaire en plein essor" — Photo : DR

Ainsi, l’entreprise Tubao, implantée à Saint-Saëns (Seine-Maritime) spécialisée dans le traitement, le stockage, la régulation, le relevage et la réutilisation de l’eau pluviale, ne travaille pas pour le moment dans le nucléaire mais se dit "intéressée par ce secteur en plein essor". Après un premier rendez-vous avec l’entreprise pour identifier et qualifier ses savoir-faire sur la plateforme CCI Business, la CCI a détecté des compétences intéressantes pour le projet EPR 2 mais aussi pour les activités engagées sur les sites de production de Paluel et Penly. Pour aller plus loin dans la démarche, Tubao (80 collaborateurs et 23 M€ de CA en 2022) a reçu récemment des représentants de la cellule EPR2 d’EDF, de la mission nucléaire de Dieppe Méca Énergie, de la CCI de Normandie et de la CCI Rouen Métropole afin d’identifier techniquement les sujets sur lesquels elle pourrait intervenir. Pour François-Régis du Mesnil, directeur de Tubao, "cette rencontre nous permet d’être identifiés en tant qu’acteur régional afin de collaborer pour la mise en place des solutions respectueuses de l’environnement en accord avec le développement durable".

Les entreprises normandes boostées par la dynamique de la filière

Fives Nordon ACCP (Digulleville) a investi deux millions d’euros dans un nouvel atelier de chaudronnerie pour répondre notamment aux besoins des appels d’offres qui vont arriver dans le nucléaire — Photo : Ingrid Godard

La dynamique de la filière nucléaire se ressent également chez l’entreprise de métallurgie ACPP (Ateliers de Constructions du Petit Parc), filiale du groupe Manoir Industries, installée à deux pas de l’usine Orano La Hague. Reprise le 25 mai 2021 par le lorrain Fives Nordon (900 salariés) sur décision du tribunal de commerce de Rouen, l’entreprise de métallurgie manchoise, boostée par le renouveau de la filière, affiche aujourd’hui de nombreux projets de développement créateurs d’emplois, qui permettront de passer de 156 collaborateurs à 250 collaborateurs d’ici 2025.

"Il y a encore trois ans, avoir des ateliers dédiés au nucléaire sans programme nucléaire, c’était presque une gabegie. Maintenant, c’est indispensable"

L’entreprise a ainsi investi deux millions d’euros dans un nouvel atelier de chaudronnerie pour répondre notamment aux besoins des appels d’offres qui vont arriver dans le nucléaire avec le programme des EPR 2 comme des liners des piscines d’EPR, et des projets pour le groupe Orano. "Il y a encore trois ans, avoir des ateliers dédiés au nucléaire sans programme nucléaire, c’était presque une gabegie. Maintenant, c’est indispensable et nous sommes contents d’avoir pu garder, grâce à nos différentes activités, nos compétences sur notre site normand et celui de Nancy. Dans le contrôle non destructif, dans la chaudronnerie, la tuyauterie, les monteurs, les mécaniciens, nous avons gardé un noyau de compétences pour être prêt à repartir sur le nucléaire", indique Jean-Jacques Depuydt, président de Fives Nordon.

L’entreprise normande affiche un portefeuille d’activités de maintenance et de travaux neufs sur Flamanville 1, 2 et 3 et sur Naval Group. "Aujourd’hui, le plan de charge est plein à trois mois, et rempli à 50 % à dix-huit mois. Les annonces d’investissements massifs de la filière nucléaire avec les EPR 2 nous permettent de voir plus clair, et d’avoir confiance en l’avenir. Nous avons un peu souffert pendant les dernières décades, mais il y a maintenant de belles pages de notre histoire à écrire avec ce programme EPR 2", se félicite le président de Fives Nordon.

14 700 recrutements à venir sur dix ans

L’autre enjeu pour la filière nucléaire normande, c’est le projet du Grand Carénage qui comprendra les travaux nécessaires au prolongement de la durée du parc existant. Ces opérations de maintenance lourde ont lieu tous les 10 ans pour chaque tranche (correspondant à un réacteur nucléaire), avec des pics d’activité à 3 000 personnes par chantier. En Normandie, elles commenceront par le site de Paluel, en Seine-Maritime, pour la phase 2, afin de franchir les 40 ans et atteindre les 50 ans d’exploitation.

Selon Normandie Énergies, "les recrutements nécessaires pour les deux projets s’étaleront sur 10 ans, dès 2024, pour un total, de près de 14 700 recrutements". "Parmi les quelque 120 métiers de la filière, 80 seront particulièrement recherchés, dont quelques-uns, transverses à d’autres secteurs industriels, sont particulièrement en tension", confirme Marouane Fagousse, responsable Business & Innovation sur le pôle Nucléaire de Normandie Énergies. "Parmi la vingtaine identifiée, certains sont encore plus prégnants à l’instar des soudeurs qui requièrent une formation spécifique et une expérience pratique, les tuyauteurs et les chaudronniers mais aussi les ingénieurs d’études, les planificateurs…"

Ainsi, le groupe d’ingénierie Segula Technologies (Cherbourg et Caen) lance-t-il régulièrement des opérations pour recruter dans le secteur du nucléaire : l’entreprise a vert plus de 2 500 postes sur ses sites en France en 2023.

Le pôle nucléaire Normandie Énergies était présent au World Nuclear Exhibition du 28 au 30 novembre dernier, à Paris — Photo : Normandie Energies

De même, à Martin-Église, en Seine-Maritime, le Groupe Institut de Soudure (1 200 salariés en France, cinq centres en Normandie à Gonfreville-l’Orcher, Équeurdreville et Tourlaville, La Hague et Martin-Église) a inauguré en mai 2023, un nouveau centre de formation de soudeurs et de tuyauteurs industriels pour faire face à l’augmentation des offres d’emploi : le nouveau bâtiment, situé à proximité du centre nucléaire de production d’électricité de Penly, permet au groupe d’augmenter sa capacité d’accueil pour former des jeunes, des demandeurs d’emploi et des salariés, aux métiers de soudeur et tuyauteur.

Dans le cadre de la relance de la filière nucléaire, le recyclage des combustibles usés opéré en Normandie par le groupe Orano promet également un marché en croissance. Pour Normandie Energies, "cela impliquera une hausse des investissements industriels dans la décennie à venir avec une prévision d’achats en 2025 (incluant les achats d’exploitation et d’investissements) de l’ordre d’un milliard d’euros contre 860 millions d’euros actuellement". L’usine Orano La Hague, avec près de 40 000 tonnes de combustibles usés traités, possède une expertise unique au monde qui permet d’économiser des ressources naturelles en uranium et contribue à produire une électricité bas-carbone. Au total, en France, 10 % de l’électricité nucléaire est produite à partir de matières recyclées par Orano dans son usine normande.

8 réacteurs nucléaires en service

Le site nucléaire de Paluel sera l’un des premiers à bénéficier de l’opération Grand Carénage — Photo : EDF / Marc Didier

Construction de sous-marins à propulsion nucléaire, production d’énergie, retraitement des déchets, médecine : la Normandie regroupe toutes les compétences de la chaîne de valeur du cycle du combustible nucléaire : de la recherche au démantèlement en passant par la production d’électricité, le recyclage des combustibles usés et le stockage des déchets ultimes. Si elle abrite les grands groupes internationaux — EDF, Orano, Naval Group - elle compte également de nombreux sous-traitants nécessaires à son bon fonctionnement (ingénierie, maintenance, inspection, assainissement…). Au total, la filière nucléaire compte plus de 200 entreprises réparties sur l’ensemble du territoire normand, représentant 120 métiers différents, soit aujourd’hui près de 28 000 personnes (dont plus de 22 300 emplois directs), avec un poids économique de la filière en Normandie qui dépasse le milliard d’euros par an.

Côté production, avec 8 réacteurs nucléaires en service aujourd’hui, la Normandie, quatrième région productrice d’électricité en France, représente 13 % du mix électrique français (pour 4 % de la consommation d’électricité). À l’avenir, la région pourrait bien atteindre les 20 % de la production française, selon une étude de RTE. Une analyse soutenue par Normandie Énergies : "Dans vingt ans, alors que la consommation finale d’électricité aura vraisemblablement augmenté de 40 % dans le pays, la Normandie produira 20 % de l’électricité française. Elle comptera 11 tranches nucléaires (dont 3 EPR) et 5 parcs éoliens en mer." La Normandie compte bien continuer jouer donc un rôle de premier rang dans la formation du futur mix électrique français et se déclare d’ores et déjà, prête à accueillir, dès 2030, le premier réacteur nucléaire de petite taille (SMR).

Normandie # Nucléaire # Créations d'emplois # Investissement industriel # Formation professionnelle