Toulouse se place en laboratoire des mobilités intelligentes
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Toulouse se place en laboratoire des mobilités intelligentes

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À l’avant-garde dans l’ouest de l’Occitanie, la filière toulousaine des mobilités intelligentes s’appuie sur un vivier de start-up, PME et grands groupes qui structurent leur travail commun autour du cluster Totem. Un dynamisme qui, face à la crise du secteur aéronautique, pourrait offrir à la Ville rose un relais de croissance.

Le toulousain EasyMile vient de s'associer au leader américain des petites navettes électriques pour accélérer sur son offre aux États-Unis — Photo : EasyMile

C’est un fait, le secteur aéronautique est en chute libre en raison de l’épidémie mondiale de coronavirus qui perturbe entreprises et industriels depuis le mois de mars. Le bassin toulousain est une des zones les plus touchées du globe, avec déjà plus de 6 500 suppressions de postes enregistrées. Mais l’Occitanie est riche d’autres industries, moins impactées, qui pourraient contribuer à compenser la baisse globale d’activité du secteur aérien. L’un des principaux exemples est la filière des "mobilités intelligentes" ou "services de transport intelligents" (STI), dont le dynamisme et la structuration sont en croissance exponentielle depuis plusieurs mois.

Tout comme l’aéronautique, l’automobile est depuis plus de 50 ans l’un des secteurs forts de la région Occitanie avec plus de 200 entreprises, 12 000 salariés et 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. De même que dans le ferroviaire et le maritime, les transports terrestres évoluent vers des véhicules plus autonomes, plus connectés et plus propres. Navette sans conducteur, taxi volant, véhicule à hydrogène… L’ouest de l’Occitanie est un vivier de start-up, PME et grands groupes qui travaillent sur les nouveaux usages de la mobilité.

Le directeur général de Renault Software Labs, Thierry Cammal, est à la tête du comité de pilotage stratégique de filière régionale "Véhicule autonome et connecté d'Occitanie", ou Vaco — Photo : Renault Software Labs

"L’idée de diversifier l’industrie locale pour limiter la dépendance à l’aéronautique - en s’appuyant sur le socle technologique commun des systèmes embarqués - a été initiée en Occitanie avant même le début de la crise du Covid-19", souligne Stefan May, PDG de Continental Automotive France (1 500 salariés à Toulouse ; CA 2019 : 900 M€). Dès 2018, la présidente de région Carole Delga et le préfet d’Occitanie Pascal Mailhos ont en effet commandité la mise en place d’un comité de pilotage stratégique de la filière. Intitulé Véhicule autonome et connecté d’Occitanie (Vaco) et organisé notamment par Thierry Cammal, directeur général de Renault Software Labs (420 salariés dont 280 à Toulouse), ce comité a dévoilé ses préconisations début février 2020.

L’Occitanie pionnière sur l’OS du futur

Dans un premier temps, a été décidée la création d’un grand cluster des transports intelligents terrestre, ferroviaire et maritime. Retardée par le contexte lié à l’épidémie de coronavirus, la structure nommée Totem sera opérationnelle le 1er janvier 2021 (voir encadré). "Totem va permettre aux acteurs régionaux de mutualiser leurs moyens et de motiver des financements de l’État et de la Région pour accueillir de grands projets", explique Thierry Cammal, directeur général de Renault Software Labs.

L’Occitanie a par exemple déjà candidaté pour servir de zone d’expérimentation sur route ouverte dans le cadre du projet Trapèze, conduit par l’Institut Vedecom (fondé notamment par Renault, PSA, Valeo et Safran). "L’objectif est de développer un système autoroutier automatisé dans lequel les véhicules progressent en convois selon un flux continu pour optimiser le trafic : c’est le platooning", détaille Thierry Cammal.

Les membres de Totem sont également nombreux à s’intéresser au système d'exploitation du futur (ou OS, pour operating system) : une nouvelle architecture logicielle orientée vers les services de mobilité, ou Mobility as a Service (MaaS). À Toulouse, les équipes de Renault Software Labs et de Continental Automotive France en particulier travaillent sur le sujet, afin de connecter le véhicule au cloud.

À Toulouse, Continental Automotive France travaille sur l'OS du futur qui permettra de télécharger de nouvelles applications de navigation et de faire de la maintenance prédictive sans repasser chez le garagiste — Photo : Continental

Le nouvel OS permettra d'effectuer des mises à jour, de télécharger de nouvelles applications de navigation ou de faire de la maintenance prédictive sans avoir besoin de ramener son véhicule au garage. "Totem va permettre de diminuer le coût global de R & D par une mutualisation des moyens humains et techniques, afin d’aboutir à un OS du futur européen capable de rivaliser avec les solutions américaine ou japonaise", avance Thierry Cammal.

Des territoires d’expérimentations privilégiés

Le comité Vaco soutient également avec ferveur le développement d’AutOcampus. Lancé il y a deux ans, le projet vise à déployer une plateforme d’expérimentation dédiée aux véhicules autonomes connectés et à la smart city sur le campus de 250 hectares de l’université Paul Sabatier. "Grâce à sa proximité avec les acteurs académiques, AutOcampus sera propice à des projets associant industriels locaux et laboratoires de recherche dans un environnement facilement modulable de par son statut de voie privée ouverte à la circulation publique", précise Pierre Benaim, secrétaire général de la stratégie régionale de l’innovation. Dans le cadre du projet Vilagil de Toulouse Métropole, un appel d'offres a été lancé pour la mise en circulation d'une navette autonome qui servira de laboratoire d'expérimentation. "De nombreux projets sont à l'étude avec des PME de la région, comme Kawantech pour l'installation de lampadaires communiquants avec les véhicules autonomes", complète Marie-Pierre Gleizes, professeure et responsable du projet Neocampus de l'université Paul Sabatier.

La zone AutOcampus est complémentaire du site de Toulouse-Francazal, dédié aux expérimentations sur route fermée. Toulouse Métropole a acquis pour 4,1 millions d’euros, en janvier 2020, la partie sud de l’ancienne base aérienne, soit 38 hectares. Plusieurs entreprises sont déjà implantées dans ce futur pôle d’innovation consacré aux transports intelligents, comme le fabricant de navettes autonomes EasyMile (voir encadré), le fabricant d’avions écoresponsables Aura Aero (30 collaborateurs ; CA non communiqué) ou encore l'américain Hyperloop TT. Depuis son installation en 2018, Hyperloop TT planche sur un projet de capsule circulant dans un tube dépressurisé, capable de transporter des passagers à une vitesse pouvant atteindre les 1 200 km/h. La société, généralement très discrète sur ses activités, aurait récemment beaucoup travaillé à l’obtention d’une certification de son innovation.

De son côté, Aura Aero travaille sur une nouvelle génération d’avions écoresponsables. Une thématique de la propreté environnementale dans les transports en lien étroit avec la mobilité du futur. Le vol inaugural l'avion biplace écoresponsable conçu pour la voltige, la formation et le loisir d'Aura Aero a eu lieu au début de l'été. Début octobre, la société a racheté le normand Air Menuiserie, spécialiste de la réparation, de la restauration et de la construction d’avions de structure bois et bois/composites - en particulier bois/carbone. L'objectif du toulousain est de devenir leader mondial des avions bois et bois-carbone certifiés. Par ailleurs, en avril 2019, l’État a octroyé une enveloppe de 42 millions d’euros à deux consortiums pour réaliser 16 expérimentations de véhicules autonomes dans l’Hexagone. Parmi eux, le consortium "Sécurité et acceptabilité de la conduite et de la mobilité autonome" regroupe 13 expérimentations dont la navette d’EasyMile.

Une relance qui oublie les mobilités intelligentes ?

Photo : Continental

La filière des mobilités intelligentes est donc riche, dynamique et bien avancée dans sa structuration. Des atouts qui pourraient faire du secteur un nouveau levier de croissance pour la région, notamment grâce au plan de relance gouvernemental de 8 milliards d’euros pour le secteur automobile. "Dans cette opération, 200 millions d’euros sont consacrés à l’investissement et à la modernisation de l’outil de production des entreprises, et 150 millions au soutien à l’innovation : c’est une part mineure en faveur des transports intelligents mais qui a le mérite d’exister", lance Stefan May, de Continental. Au total, 27 projets d’innovation ont été sélectionnés pour bénéficier de ces aides, dont deux en Occitanie. Le premier concerne la pile à hydrogène en développement chez Bosch à Rodez, et le second l’électronique de puissance des véhicules électriques de demain, pensée par le toulousain Vitesco Technologies (société spin-off de Continental).

Toutefois pour Thierry Cammal, le pari n’est pas encore gagné : "Pour rebooster l’économie régionale, le secteur du transport intelligent a besoin d’investissements. Or, dans les plans de relance régionaux, toutes les aides sont dédiées à l’aéronautique - 100 millions d’euros - et l’automobile et les nouvelles mobilités sont oubliées. Il faut sauver l’aéronautique, mais il est nécessaire d’équilibrer les aides afin que les autres secteurs puissent profiter des nouvelles opportunités qui se présentent".

Encadré 1 : Totem, le nouveau grand cluster régional des transports intelligents

Au 1er janvier 2021, le grand cluster régional des mobilités intelligentes Totem fusionnera les deux clusters régionaux Automotech (automobile) et Mipirail (ferroviaire) avec la grappe française automobile initiée par Continental Automotive France en 2014. Cet ensemble travaillera en lien étroit avec les clusters occitans Robotics Place, Primus Défense & Sécurité (cybersécurité) et les acteurs locaux du transport maritime. Nommée Totem, l’alliance a pour ambition de fédérer 200 entreprises engagées dans la mobilité intelligente et durable. Parmi les premiers à rejoindre la structure, on trouve des entreprises comme Actia, Alstom, Continental, Renault ou encore EasyMile. Totem possède quatre axes directeurs. "Nous voulons travailler avec les instances et instituts spécialisés dans la formation des techniciens et ingénieurs des transports du futur, afin d’orienter les programmes et les contenus vers nos besoins réels sur le terrain", précise Stefan May, PDG de Continental Automotive France (1 500 salariés à Toulouse ; CA 2019 : 900 M€). Le deuxième axe porte sur l’ouverture business à l’international, avec la possibilité octroyée aux PME et ETI de "chasser en meute" lors des salons mondiaux. L’attractivité est également un but clef de Totem, tout comme la co-innovation, avec une prise d’appui sur les centres de recherches locaux tels que l’IRT Saint-Exupéry, le laboratoire Laas-CNRS ou encore le futur Institut interdisciplinaire en intelligence artificielle Aniti.

Encadré 2 : EasyMile à la conquête des États-Unis

Créé en 2014 à Toulouse et Singapour, EasyMile (220 salariés dont 150 dans la Ville rose ; CA 2019 : 18 M€) est connu dans le monde entier pour ses navettes électriques autonomes. L’entreprise, qui possède 90 % de clients à l’export, est aussi implantée à Berlin, Denver (États-Unis), Tokyo et Adelaide (Australie). EasyMile a livré 140 navettes urbaines à des clients comme la RATP, Transdev, l’allemand Deutsche Bahn ou l’américain First Transit, et s’est diversifié depuis deux ans dans l’automatisation des chaînes logistiques. Le toulousain propose une quinzaine de véhicules différents utilisés sur le site de PSA Sochaux ou encore des aéroports Tokyo-Haneda et Londres-Heathrow (tracteurs à bagage). Déjà présent via une trentaine de petits projets aux États-Unis, EasyMile vient de passer à la vitesse supérieure en s’associant à Phoenix Motorcars, leader américain des petites navettes électriques. "Nous allons codévelopper une sorte de minibus scolaire autonome qui sera déployé dans les transports publics de la ville de Houston d’ici deux ans, partage Benoit Perrin, directeur général d’EasyMile. Ce premier produit réalisé conformément aux normes américaines va nous permettre d’accélérer notre développement sur ce territoire". En France, le déploiement commercial du tracteur à bagages d’EasyMile est prévu pour 2021, et celui de la navette urbaine en 2021 sur site fermé et fin 2022 sur la voie publique.

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