Occitanie
La filière bio veut relancer la consommation en Occitanie
Enquête Occitanie # Agriculture # Conjoncture

La filière bio veut relancer la consommation en Occitanie

S'abonner

En France, la consommation de produits bio subit une baisse pour la première fois depuis longtemps. Le contexte inflationniste, la concurrence d’autres labels “verts” ou le manque d’information expliquent cette tendance qui préoccupe toute la filière. En Occitanie, elle va mener un plan d’actions pour redresser la barre.

Arboriculteur bio dans les Pyrénées-Orientales, Christian Soler s’appuie sur la biodiversité pour produire des fruits et légumes — Photo : DR

Longtemps marginale en France, l’agriculture biologique, dont le développement a été soutenu par plusieurs plans portés par le ministère de l’Agriculture et celui de la Transition écologique, a fortement progressé au cours de la dernière décennie, en particulier depuis 2015. La France se hisse désormais au premier rang européen pour la superficie agricole utilisée (SAU) en bio avec plus de 2,8 millions d’hectares. 19 % de ses agriculteurs sont bio. Et dans cette même période, la consommation bio a été multipliée par 3,5, même si elle ne représente encore que 6,6 % des dépenses alimentaires des ménages.

Avec 13 086 producteurs et 19,4 % de surface en bio, l’Occitanie est la première région bio de l’Hexagone. Le Gers est le premier département bio du pays en nombre de producteurs, de surfaces certifiées et en conversion, l’Aveyron le troisième et l’Aude le cinquième. L’Occitanie est leader en grandes cultures bio, représentant près du quart des surfaces des grandes cultures bio et en conversion du pays, première région viticole bio de France et leader encore pour les productions bovine et ovine allaitantes bio.

Coûts de production plus chers

Agriculteur à Gragnague (Haute-Garonne) depuis 1984, Daniel Gerber, élu fin juin à la présidence de l’association interprofessionnelle Interbio Occitanie, qui regroupe les réseaux actifs dans le développement de la filière bio régionale depuis les producteurs jusqu’aux distributeurs, est à la tête d’une exploitation céréalière de 160 hectares. Il s’est converti au bio il y a une quinzaine d’années, après vingt ans d’agriculture conventionnelle. “Essentiellement pour des raisons de préservation de l’environnement, explique-t-il. J’ai planté 26 kilomètres de haies en vingt ans, au profit du biotope sur l’exploitation. Il y a aussi eu à l’époque des aides assez incitatives.”

Administrateur et vice-président de la coopérative Agribio Union, basée à Salvagnac (Tarn), qui réunit 6 coopératives régionales regroupant 1 000 agriculteurs biologiques du Sud-Ouest, Daniel Gerber n’opérerait pour rien au monde un retour en arrière, même si, dit-il, l’agriculture biologique impose des coûts de production plus chers. “Elle nécessite par exemple du matériel qui est moins performant à l’hectare, illustre-t-il. Lorsque je passe la bineuse, je fais 12 hectares dans la journée, là où un passage avec une cuve de désherbage me prendrait deux heures. Pour respecter le cahier des charges de la réglementation bio, j’embauche aussi des jeunes saisonniers pour enlever à la main le xantium et le datura, qui est toxique. Cela me coûte entre 50 et 70 euros l’hectare.”

La grande distribution à la peine

Comme il ne vend pas sa production en direct, mais par le biais de la coopérative, Daniel Gerber ne ressent pas les vicissitudes qui affectent le marché du bio ces derniers mois. Après plusieurs années de croissance à deux chiffres de l’offre, la baisse de la consommation de produits bio de 1,3 % en 2021 déstabilise en effet le marché bio, notamment pour le lait et les œufs, dont la production a fortement augmenté depuis 2015.

Fin 2021, l’inflation a commencé à se faire ressentir et le marché alimentaire dans son ensemble se rétracte (- 2,3 %). La distribution, en particulier, en pâtit. Au premier trimestre 2022, le chiffre d’affaires des magasins spécialisés était en baisse de 17 % par rapport au premier trimestre 2021 et de 3 % par rapport au premier trimestre 2019. En grandes et moyennes surfaces (GMS), qui représentent 50 % des ventes de produits bios, la baisse était de 6,5 % du chiffre d’affaires par rapport au premier trimestre 2021. Mais la baisse du pouvoir d’achat liée à l’inflation ou la hausse des coûts logistiques n’expliquent pas tout. La concurrence de labels “verts”, à l’instar de la mention valorisante “haute valeur environnementale” (HVE), en réalité peu exigeante en matière environnementale, mais soutenue par le ministère de l’Agriculture au même niveau que l’agriculture bio, jette le trouble chez les consommateurs. Un crédit d’impôt lui a par exemple été accordé en 2021 à un niveau quasi équivalent à celui des exploitations bio.

Cahier des charges exigeant

Or, la réglementation européenne fixe au bio un cahier des charges, dont le respect par les exploitants, contrôlés chaque année par des organismes certificateurs comme Ecocert, basé à L’Isle-Jourdain (Gers), donne le droit d’utiliser le label européen de l’eurofeuille et le label français “AB”. L’agriculture biologique est particulièrement exigeante pour les producteurs sur le plan des méthodes et des techniques agronomiques, mais aussi pour les transformateurs.

“Pour la première fois se pose la question de stimuler la demande de bio parce que les consommateurs s’en éloignent un peu, constate Laure Verdeau, la directrice de l’Agence bio, le groupement d’intérêt public de promotion de l’agriculture biologique en France. Ils préfèrent ainsi acheter du local que du bio. Or, ce sont deux choses totalement différentes : le bio garantit un mode de production alors que le local, on ne sait pas…”

Une campagne nationale de sensibilisation

Pour relancer la consommation, l’Agence bio vient de lancer une campagne dans les médias, qui sera ensuite relayée par toutes les filières de la chaîne alimentaire. “Elle dit : pour nous et pour la planète ayons le #BioRéflexe, indique Laure Verdeau. Et elle rappelle trois messages fondamentaux : le bio, c’est 0 % de produits chimiques de synthèse, 30 % de biodiversité en plus, et 100 % des opérateurs contrôlés au moins une fois par an. C’est une façon de rassurer le consommateur. Nous avons constaté que l’un des freins était le manque de confiance et le manque d’information.”

À l’occasion du Congrès européen de l’agriculture biologique, qui s’est tenu en juin à Bordeaux, les principales organisations biologiques françaises ont, de leur côté, lancé un appel à un nouveau “plan de développement de l’agriculture et de l’alimentation biologique", alors que le plan gouvernemental “Ambition bio” (2018-2022) s’achève cette année. Au niveau régional, Interbio Occitanie se mobilise pour organiser des actions à même de relancer la consommation de produits bio régionaux, qu’elle identifie comme la clé de la poursuite de la croissance de la filière, et un développement équilibré de la production. Son objectif est de doubler la consommation de produits bio pour la porter à 12 % du marché. “Dans le contexte actuel, la croissance des surfaces bio dans la région va sûrement marquer un pas après ces 5 années de croissance annuelle à 2 chiffres, précise l’interprofession. Mais l’ambition des acteurs de la bio régionale est d’atteindre les 25 % de surface en bio en 2027.”

La restauration hors domicile, le bon élève

Il est à noter qu’en 2022, la restauration hors domicile est le seul circuit où la demande est stable voire en croissance, grâce à la mise en application de la loi Egalim qui impose 20 % de produits bio dans les menus, même si cet objectif est loin d’être atteint (5 % en 2021). Directeur de l’entreprise toulousaine Biofinesse (28 salariés, CA prévisionnel 2022 : 11 M€), filiale du groupe francilien Pomona spécialisée dans la distribution de produits bio pour la restauration hors domicile, Dominique Caron confirme cette embellie, qui devrait le conduire à embaucher deux personnes d’ici la fin de l’année : “Nous avons perdu près de 30 % de notre chiffre d’affaires pendant la crise du Covid, détaille-t-il. En 2021, nous avons fait 9 millions d’euros. Cette année, nous devrions enregistrer une croissance d’environ 20 %.”

Les deux tiers des clients de Biofinesse sont des cantines scolaires que l’entreprise capte via des marchés publics (50 % de son CA) ou des sociétés de restauration. Elle fournit aussi la restauration collective de différentes organisations. L’un de ses plus gros marchés est signé avec l’Association pour la gestion des restaurants des administrations financières (Agraf), partenaire du Ministère de l’économie. “Nous proposons l’ensemble de la gamme alimentaire, frais, sec et surgelé, exclusivement bio, poursuit Dominique Caron, qui est par ailleurs administrateur d’Ocebio, l’association regroupant les entreprises bio d’Occitanie. Notre logistique est assurée par Pomona, notamment son département Passion Froid. Nous avons un stock de frais sec à Chilly-Mazarin et un stock de surgelés à Vitry-sur-Seine. Tous les flux de distribution pour la France sont gérés par les flux existant au sein du groupe. Nous ne mettons aucun camion sur la route pour livrer du Biofinesse.”

Un effort à faire sur la R & D

Les professionnels de la filière s’accordent enfin sur le fait que le développement de la production biologique requiert un effort particulier sur la recherche et le développement, notamment parce que la tendance récente à la baisse des prix du bio conduit à privilégier la recherche d’une plus grande efficacité technique pour augmenter la productivité et les rendements.

Incubée à Agro-Valo et au BIC de Montpellier, la start-up Toomaï (3 collaborateurs) développe par exemple des produits à base de graines anciennes, dont certaines vieilles de plusieurs milliers d’années : petit épeautre, sorgho, baobab, etc. À la faveur d’un voyage en Afrique, les cofondateurs Édouard Truchelut et Monia Fourar ont découvert ces céréales et légumineuses, qu’ils décident de valoriser pour leurs propriétés agronomiques (faible irrigation, résistance à la sécheresse) utiles aux zones de production, dans une démarche de consommation responsable. Deux années après sa création, Toomaï, qui a conçu une gamme de granolas et mueslis déclinés en plusieurs formats, fabrique 2 tonnes de produits par an. Mais sa production artisanale l’a contraint à pratiquer des prix 2 à 3 fois plus élevés que les grandes marques bio.

Dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat, Édouard Truchelut trouve souvent porte close chez les réseaux spécialisés. “Ces magasins se multiplient mais ils se calent en réalité sur un modèle de grande distribution, tourné vers les marques industrielles et les économies d’échelle”, regrette-t-il. Si Toomaï a réussi à convaincre une quinzaine de magasins autour de Montpellier, la start-up recherche des pistes de distribution alternatives : elle mise sur son site d’e-commerce, qui représente déjà un tiers des ventes ; elle cible les écoles et les restaurants d’entreprises (ou leurs prestataires)… Toomaï espère doubler son activité en 2023 et atteindre un chiffre d’affaires de 100 000 euros, car Édouard Truchelut s’emploie à faire émerger un cadre plus favorable à ce profil de start-up agroalimentaire innovante.

Membre d’Ocebio, il milite pour impulser une nouvelle dynamique sur l’aval de la filière bio : “Les consommateurs les plus fervents se détournent des magasins bio car ils rejettent le modèle industriel. Pour les ramener vers nous, les distributeurs devraient mettre plus en avant l’innovation produits au lieu de se focaliser sur des labels trop galvaudés”.

Occitanie # Agriculture # Commerce # Distribution # Restauration # Services # Conjoncture # Réseaux d'accompagnement