Coronavirus - William Nahum (CIP) : « Chefs d'entreprise, ne restez pas dans votre coin ! »
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William Nahum président du CIP national Coronavirus - William Nahum (CIP) : « Chefs d'entreprise, ne restez pas dans votre coin ! »

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La crise du coronavirus n’a pas provoqué de ruée dans les Centres d’information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP). Mais à la faveur du déconfinement, leurs experts bénévoles (experts-comptables, commissaires aux comptes, avocats, anciens juges du tribunal de commerce) s’attendent à être de plus en plus sollicités. Comme d'autres observateurs, leur président William Nahum craint une explosion à venir des dépôts de bilan. Mais il met en garde aussi contre les conséquences psychologiques de cette situation inédite.

Pour William Nahum, président du CIP national, « il faut s’attendre à un accroissement des dépôts de bilan » dans les mois à venir, en raison de l'universalité et l'incertitude spécifiques à la crise du Covid-19 — Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Depuis le début de la crise du coronavirus, la soixantaine de centres d’information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP), présents un peu partout en France, ont proposé aux chefs d’entreprise des entretiens à distance, avec des professionnels bénévoles du droit et du chiffre. Quels sujets sont les plus remontés, lors de ces échanges ?

William Nahum : L’inquiétude des dirigeants est double. Elle porte évidemment sur leur situation actuelle - je n’ai plus de sou, j’ai des dettes. Mais aussi sur l’avenir de leur entreprise - je ne sais pas si je vais tenir encore trois mois, ni quand tout cela va finir.

Que ce soit sur le plan sanitaire ou économique (les deux sont liés), l’incertitude demeure. Et elle est très forte en ce qui concerne le retour à une activité normale. On ne sait pas quand la pandémie disparaîtra, ni quand les Français reprendront leurs habitudes de consommation. Or, l’incertitude casse les projets.

Autre problème, la crise du coronavirus est partout. Tous les clients et tous les pays sont affectés, et de façon significative, pour une période dont on ignore la durée. C’est pourquoi, même si elles ne sont pas comparables, la crise du Covid-19 apparaît beaucoup plus grave que celle de 2008.

Par définition, le CIP intervient en amont des difficultés. Quelles conséquences de la crise voyez-vous arriver dans les prochains mois ?

W. N. : Il faut s’attendre à un accroissement tout à fait extraordinaire des dépôts de bilan. Certaines entreprises sont déjà dans un état de quasi-faillite, d’autres le seront plus tard, du fait que l’activité ne reprendra pas à 100 %. Ces cessations de paiements vont s’étaler dans le temps, à partir du moment où l’effet de toutes les mesures prises pour soutenir l’économie va se dissiper.

« Le déconfinement, c’est le début de la reprise de conscience des problèmes. »

Dans un ou deux mois, vont donc apparaître des crises graves originales, au sens où l’on ne se trouve plus dans des problématiques habituelles, car les grandes entreprises aussi souffrent. Or, elles sont souvent prescriptrices ou clientes pour les plus petites. Si votre acheteur s’appelle Renault, avant vous pouviez lui dire "C’est honteux, vous êtes un grand groupe, vous devez payer vos fournisseurs." Aujourd’hui, Renault répondra "Je suis pris à la gorge et j’attends les décisions de l’État avant d’agir"

L’universalité des problèmes fait que le voisin s’appauvrit lui aussi. Les questions d’insolvabilité des clients se rajoutent aux difficultés déjà posées par la baisse de l’activité. Il n’y a aujourd’hui plus que l’État qui peut s’endetter. C’est pour cette raison que le salut viendra de la qualité et la pertinence des mesures prises par la puissance publique.

Vous avez appelé récemment à « ne pas négliger les conséquences psychologiques de la crise ». Lesquelles avez-vous déjà pu relever ?

W. N. : Il est trop tôt pour le dire. Le confinement s’est d’abord traduit par une espèce de sidération. Mais très vite, des mesures gouvernementales assez massives ont été prises. Elles ont un peu protégé les entreprises et occupé leurs dirigeants : ils étaient plus affairés à déposer des demandes de prêt, gérer le chômage partiel, organiser le télétravail ou la fermeture de leur commerce, qu’à appeler les CIP. D’autant que, par ailleurs, les informations étaient largement relayées.

Pour autant, dans le marasme généralisé du confinement, les chefs d’entreprise ont, eux, une couche de stress supplémentaire : comment s’en sortir pendant deux mois, en l’absence de revenus garantis ? et comment se relever dans six mois, quand les aides se seront arrêtées ?

Je pense donc qu’il y aura des effets psychologiques à partir de maintenant. Pour moi, le déconfinement, c’est le début de la reprise de conscience des problèmes. On dit aux commerçants de rouvrir. Ils vont comprendre in situ que la situation est catastrophique. Parce que les clients ne reviennent pas ou que l’activité ne redémarre qu’à 20 ou 60 %. Il faut donc s’attendre à un regain de difficultés psychologiques, économiques et sociales. Nous nous organisons pour y faire face.

Comment ?

W. N. : Nous maintenons nos entretiens à distance avec les chefs d'entreprises (pour en bénéficier, il suffit de solliciter un rendez-vous à l'adresse @email, NDLR). Sur le plan économique, nous allons probablement devoir expliciter encore plus les mesures d’aide mises en place. Nous redirigerons aussi les entrepreneurs vers des interlocuteurs qu’ils connaissent peu ou mal. Nous allons inciter l’entrepreneur à faire un diagnostic avec son expert-comptable, essayer de faire un "business plan"… Je n’ose même pas utiliser ce mot : comment voulez-vous prédire l’avenir, quand vous n’avez pas de visibilité ? Mais peut-être que les dirigeants pourront fonder leurs prévisions sur le pourcentage de chiffre d’affaires réalisé au bout d’un mois de déconfinement. Cela leur permettra de se projeter et de prendre des mesures adaptées, même si elles s’avéreront parfois pénibles, voire cruelles. Mais il faut sauver son entreprise.

« Un soutien psychologique ne résout pas les problèmes économiques, mais il peut y aider. »

Sur le plan psychologique, la plupart de nos bénévoles ont reçu une formation de l’Apesa (l’association Aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance aiguë, NDLR) pour détecter la souffrance morale. Dans ce cadre, nous proposons aux dirigeants qui nous sollicitent une série de cinq entretiens, totalement gratuits et anonymes, avec un psychologue.

Un tel soutien ne résout pas les problèmes économiques, mais il peut y aider. Car si, en plus des difficultés de votre entreprise, vous êtes dans l’incapacité d’avoir des réactions rationnelles, de bonne gestion, c’est encore plus fichu ! Ces consultations visent donc à rétablir un certain équilibre psychologique, à reprendre du poil de la bête, comme on dit. C’est un moyen pour l’entrepreneur d’être plus en mesure de gérer les difficultés qu’il rencontre.

Quels conseils pourriez-vous donner aux chefs d’entreprise qui nous lisent ?

W. N. : Consultez vos conseils habituels (experts-comptables, avocats…). Allez voir ce qui se dit dans vos organisations professionnelles (chambres de commerce, celles de métiers et de l’artisanat, fédérations, etc.). Passez des coups de fil et venez dans les organisations de bénévoles, comme les CIP : nous pouvons aller plus loin dans les échanges et les propositions de pistes à prospecter ou de portes à ouvrir. Bref, ne restez pas dans votre coin !

Tout le monde s’est mobilisé, depuis deux mois, pour avoir des idées et donner des conseils. Ce serait dommage de ne pas en profiter, que vous soyez artisan, commerçant ou petit industriel. Alors ouvrez les oreilles et allez dénicher partout des bonnes idées !

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