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Laurent Abitbol : « Havas Voyages a changé ma vie »
Interview Lyon # Tourisme

Laurent Abitbol : « Havas Voyages a changé ma vie »

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De discret patron d’une entreprise de tourisme, Laurent Abitbol est devenu, en rachetant il y a deux ans Havas Voyages à l’Américain Carlson, une figure médiatique. Marietton Développement est passé de 430 M€ de CA à 1.3 Md€ et 1.400 salariés. D'ici le printemps 2017, Laurent Abitbol, président de la holding associé à parts égales avec son frère Stéphane, vise déjà de nouvelles acquisitions. Interview.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Quel est votre collaborateur le plus indispensable au sein de votre groupe de 1.400 salariés ?

Laurent Abitbol : Ce n’est pas un collaborateur. L’homme le plus important est mon père Claude, qui a créé l’entreprise en 1968. Il est, à 76 ans, notre surveillant général, c’est l’œil de la maison. Il se balade dans les agences, regarde la comptabilité de près, repère ici des frais de virements non justifiés, ou là une ligne budgétaire qui lui paraît étrange. Il met en œuvre l’un des meilleurs conseils qu’il m’a donné : « occupe-toi des tout petits détails et le reste suivra ».

Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis l’acquisition de Havas Voyages ?

L.A. : Mon nouveau statut social. Être président de Havas Voyages m’a ouvert des portes qui m’étaient jusqu’alors fermées. Je suis devenu important. J’étais dirigeant d’une petite boite lyonnaise, désormais je suis à la tête d’une entreprise de taille nationale. Ça a changé ma vie au quotidien. Je suis invité partout ! Je suis même 16° dans le classement de Lyon People-avant Tony Parker - alors que j’étais jusque-là inconnu au bataillon…

Le rachat de Havas Voyages il y a deux ans a constitué une étape majeure dans votre vie et celle de l’entreprise. Comment l’avez-vous géré psychologiquement ?

L.A. : Fin octobre 2015, les investisseurs (la banque de Rothschild, Siparex, le Crédit Agricole…) avaient donné leur accord. La décision finale me revenait. Mais sont intervenus les dramatiques attentats du 13 novembre 2015. Et tout a été remis en cause en quelques minutes. Car Paris frappée au cœur, c’est l’image de la France, qui, aux yeux du monde entier, devenait un pays à risque. Dans le secteur du tourisme, ces attentats étaient un cataclysme. Je ne savais plus quoi faire.

Et vous avez joué à pile ou face…

L.A. : Presque ! Je suis allé dîner à l’Auberge du Pont de Collonges, chez Paul Bocuse et j’ai pensé que si le maître d’hôtel me servait une cuisse de poulet, j’achèterais, mais si c’était l’aile, je renoncerais. Il m’a servi une cuisse. Après le dîner j’ai envoyé un mail pour signifier mon accord. Nous avons signé le 31 décembre suivant. Et cette acquisition, je ne la regrette pas.

Si vous pouviez changer certains paramètres, que modifieriez-vous ?

L.A. : Si c’était à refaire, je ne changerais rien, j’ai atteint mon objectif, nous serons à 5,3 millions d’Ebitda pour Havas Voyages au 31 décembre 2016. Marietton Développement pèse désormais, avec Auchan Voyages acquis le 1er mai 2015, 1,25 milliard d’euros.

Qui de Havas Voyages ou de Marietton a le plus appris de cette fusion ?

L.A. : Les deux. Havas Voyages a un côté américain, très structuré. Et Marietton est doté d’une culture très commerçante. Le mariage des deux je le pense, constitue un beau mélange. On apprend à se connaître, on a optimisé les achats, rationnalisé les dépenses. Mais chaque entité conserve, voire préserve ces deux approches, ces deux philosophies, ces deux méthodes.

Vous avez eu confiance en vous pour, au lendemain des attentats, confirmer cette acquisition qui portait déjà en soi une part de risques.

L.A. : J’ai beaucoup échangé avec mon frère Stéphane. Nous savions que si on n’achetait pas Havas Voyages, cette branche de l’Américain Carlson allait partir chez les concurrents. Les banques étaient là, les fonds nous suivaient, on s’est senti soutenus, portés, nous n’avions pas de raison de ne pas être en confiance.

Pensez-vous que les chefs d’entreprises en France manquent de confiance pour oser aller au bout d’opérations telles que celle que vous avez conduite ?

L.A. : En France, le contexte est dur. Si les dirigeants manquent de confiance, c’est qu’il y a des raisons. Les charges sont très lourdes, les lois instables, on a peur. Et les politiques ne nous rassurent pas souvent.

Vous aviez appelé Manuel Valls un matin, lorsqu’il passait sur les ondes d’une radio nationale, pour le féliciter de la loi Travail.

L.A. : Oui, j’ai appelé le standard et comme je me suis présenté comme le dirigeant de Havas Voyages, on m’a passé à l’antenne. À l’époque, il courait les plateaux télé et les studios de radio pour présenter la loi. Malheureusement elle n’a été que partiellement mise en œuvre.

Qu’attendiez-vous de cette loi ?

L.A. : De pouvoir embaucher sans crainte. D’être assuré qu’en cas de pépin, je pourrais licencier. J’étais aussi très favorable à ce que les indemnités prud’homales soient plafonnées, ou régies selon des règles communes à toutes les entreprises. Sinon les prud’hommes, c’est la loterie. Mais j'ai compris que le politique n’avait pas le pouvoir, c’est la rue qui décide.

Comment jugez-vous le mandat de François Hollande ?

L.A. : Je reconnais qu’il nous a bien aidés avec le CICE. Mais je me tourne surtout vers l’avenir. J’observe François Fillon évidemment, qui propose des idées séduisantes liées à la simplification, mais aussi Emmanuel Macron, sans oublier Manuel Valls

Vous les aimez tous !

L.A. : Je rêve d’un pays qui soit gouverné par un gouvernement d’union nationale où les différences politiciennes passeraient après le bien de la France. Mais je pense que le prochain quinquennat sera bon. Les hommes qui nous gouvernent n’ont plus le choix, et doivent avoir le courage d’aller au bout de leur réforme sans se soucier des sondages, de l’opinion publique, des on-dit.

Localement avec quels élus parlez-vous ?

L.A. : J’apprécie de pouvoir échanger lors de dîners avec Gérard Collomb, Laurent Wauquiez, ou Christophe Guilloteau le président du Conseil général du Nouveau Rhône. J’aime voir comment ces hommes, qui ont foi dans leur action et prennent leur mission à cœur, peuvent avoir une belle idée. Et comment en général ils n’arrivent pas à aller au bout ! C’est très respectable de diriger, d’avoir un budget de 3milliards pour organiser une région par exemple. Mais je trouve que leur rôle est difficile, ils ont du mal à aller d’un point A à un point B sans rencontrer des tas d’embûches.

Pourriez-vous figurer sur une liste électorale ?

L.A. : Non, je considère qu’on ne peut pas mélanger le business et la politique. Et en plus, je les aime tous donc je ne pourrais pas choisir.

Comment gère-t-on 1.400 salariés ?

L.A. : Je ne connais évidemment pas tout le monde, j’ai un DRH et je suis davantage en lien avec mon Codir de 10 personnes. Mais néanmoins, je me déplace beaucoup, je vais dans les agences. Mais j’insuffle un état d’esprit. Qui est celui d’un hyperactif : j’avance, je ne reviens jamais en arrière.

Quel est le prochain projet ?

L.A. : Parmi nos projets nous avons en tête une nouvelle croissance externe qui devrait être finalisée en mars 2017.

Comment occupez-vous votre temps libre ?

L.A. : J’en ai peu, mon travail a pris toute ma vie ! Je déteste voyager, mes meilleures vacances sont chez moi à Lyon, j’adore ma ville, j’y suis les jeudis et vendredis, je déambule rue Édouard-Herriot, au Café des Négociants.

Comme proche de Gérard Collomb, êtes-vous devenu un des mécènes de la campagne d’Emmanuel Macron ?

L.A. : Ça, c’est secret.

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