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Lyon : la Vallée de la Chimie peut-elle devenir verte ?
Enquête Lyon # Chimie # RSE

Lyon : la Vallée de la Chimie peut-elle devenir verte ?

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La Vallée de la Chimie est responsable à elle seule de 26 % des émissions de gaz à effet de serre de la métropole lyonnaise. Sur la plateforme, les projets industriels visant à améliorer les performances énergétiques et environnementales des unités de production se multiplient. Mais il faudra encore attendre quelques années pour percevoir la plupart des effets de ces projets.

14 000 salariés travaillent dans la Vallée de la Chimie, qui s’étend sur une dizaine de kilomètres, au sud de Lyon — Photo : cc

Dans les salons de la préfecture du Rhône, par une chaude matinée de juillet, le directeur Auvergne-Rhône-Alpes de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dréal), Jean-Philippe Deneuvy énumère, devant une assemblée de journalistes, les mesures de contrôle renforcées mises en place dans la Vallée de la Chimie, vis-à-vis des substances per- et polyfluoroalkylées (Pfas). Des produits chimiques synthétiques, utilisés depuis les années 1950 dans l’industrie et dont certains, avérés dangereux pour la santé, sont aujourd’hui interdits. L’origine de ces mesures renforcées ? Une enquête diffusée au mois de mai sur France Télévision, dénonçant de graves contaminations aux perfluorés à Pierre-Bénite. Un reportage ciblant plus particulièrement les rejets de deux entreprises : le spécialiste de la climatisation Daikin France (580 M€ de CA en 2021, 562 salariés) et le groupe Arkema France (9,5 Md€ de CA en 2021, 20 200 salariés). Le chimiste est également visé — tout comme Elkem Silicones — par un référé déposé fin mai par la branche lyonnaise de l’association Notre Affaire à tous, pour non-respect du droit des installations classées protection de l’environnement (ICPE).

Deux affaires qui font bien mauvaise figure alors que la Métropole de Lyon et les industriels de la Vallée de la Chimie s’efforcent depuis plusieurs années de montrer que cette plateforme industrielle, moyennant des investissements se comptant en dizaines de millions d’euros, une politique d’implantation choisie et une concertation accrue, peut réduire son impact sur l’environnement. Voire devenir "l’usine énergétique de la métropole". Doux rêve que caressent les écologistes, arrivés à la tête de la collectivité il y a deux ans.

26 % des émissions de la métropole

La tâche reste colossale pour ce territoire au lourd passif industriel, qui rassemble 100 000 habitants et 14 000 salariés sur 14 communes. À lui seul, il est responsable de 26 % des émissions de gaz à effet de serre (1 800 kt d’équivalent CO2 par an en 2020 selon l’observatoire de la qualité de l’air Atmo) et d’un quart de la consommation énergétique de la métropole. Les nouvelles données, en cours d’analyse, montrent "une légère baisse des émissions en 2021, avec quelques pics, qui correspondent vraisemblablement à des défauts de pollution", explique Émeline Baume, vice-présidente de la métropole en charge de l’économie. Mais pour que la collectivité tienne l’objectif qu’elle s’est fixé, à savoir une baisse de 30 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 (par rapport à 2011), les industriels de la Vallée de la Chimie devront mettre la main à la pâte. Le message est clair : "Le territoire est tel qu’il est, constate Émeline Baume. Nous accompagnons au maximum les industriels sur ces sujets complexes. Mais pour ceux qui ne veulent rien faire en matière de réduction des pollutions, on ne sera pas là."

Collectivité et acteurs économiques travaillent en réalité conjointement depuis plus de dix ans à faire évoluer ce territoire. L’Appel des 30 et son ambitieuse reconquête des friches industrielles a permis, dans les années 2010, d’y implanter des entreprises dans les domaines des cleantech (Metalor) et des énergies vertes (Terre et Lac). "Aujourd’hui, le foncier est de plus en plus rare, explique Amandine Jacquet, qui a pris la tête de la Mission Vallée de la Chimie, qui rassemble Métropole et industriels, fin 2021. Nous avons le luxe de pouvoir choisir qui s’implante. Et nous les sélectionnons pour la plus-value qu’ils apportent au territoire."

Des implantations choisies

L’exemple que beaucoup aiment brandir pour illustrer cette politique est celui de Symbio (dont l’installation a été actée sous la précédente mandature). La PME spécialisée dans la production de pile à combustible s’installera à Saint-Fons en 2023 dans un bâtiment de 40 000 m², disposant de la classification environnementale Breeam very good. Une implantation qui devrait générer 1 000 emplois nouveaux et accélérer la transition du territoire vers l’hydrogène vert. La CNR et Engie se sont déjà engagés à livrer pour 2025 un électrolyseur capable d’alimenter le site à hauteur de 5 à 10 tonnes d’hydrogène vert par jour. Symbio va également créer une "Symbio hydrogène academy", qui dispensera des programmes de formation dans le domaine de l’hydrogène, qui bénéficiera à l’ensemble de l’écosystème.

Deltalys fait également partie des exemples d’implantation "réussie". Installée sur le site de Kem One (1,2 Md€ de CA en 2021, 1 400 salariés dont 230 à Saint-Fons), la société conçoit des systèmes de filtration de biogaz à partir de produits biosourcés, remplaçant les charbons actifs. Une solution qui bénéficie directement à un certain nombre d’industriels de la Vallée.

Une nouvelle gouvernance pour plus de mutualisations

Cette stratégie d’implantation s’intègre dans une volonté plus large de concertation et de mutualisations accrues sur la plateforme. "Nous travaillons sur l’industrie circulaire", explique Émeline Baume. Un premier cercle rassemblant une quinzaine d’industriels a été formé pour échanger, au sein du collectif La Ruche industrielle, sur les pistes de mutualisations. Des discussions qui pourraient aboutir à l’automne. "Il faut intensifier l’usage des matériaux, pour réduire les gaspillages. Nous voulons favoriser les mutualisations entre industriels qui n’utilisent pas la même molécule d’un matériau par exemple."

Pour mener à bien cette stratégie, la Mission Vallée de la Chimie s’apprête à renouveler sa gouvernance. L’organe réunissait jusqu’alors autour de la Métropole, dix grands industriels, la préfecture, la Région et France Chimie Auvergne-Rhône-Alpes. La nouvelle gouvernance devrait accueillir "les personnes les plus en capacité d’infléchir les décisions", explique Émeline Baume. "Nous voudrions intégrer les communes, les habitants", ajoute Amandine Jacquet.

Plus de transparence des données

Ce nouveau fonctionnement a aussi pour objectif de favoriser le partage des données, en particulier celles relatives aux pollutions et risques. Pour favoriser le dialogue et "adapter les politiques publiques en conséquence", la métropole souhaite s’inspirer du dispositif mis en place à Fos-sur-Mer. Mais "la culture du secret est encore très présente, indique la directrice de la Mission. Ils partagent volontiers leur feuille de route mais ont encore des réticences à communiquer, même entre eux, sur les nuisances et la gestion des risques."

Néanmoins, "je n’ai pas rencontré un industriel qui n’a pas lancé une stratégie de réduction de son empreinte environnementale. Tous sont engagés", insiste Amandine Jacquet. La conjoncture économique et géopolitique accélère cette trajectoire, la chimie faisant partie des secteurs énergo-intensif, fortement dépendants du gaz naturel. Les projets liés à l’optimisation de la facture énergétique — les électrolyseurs notamment — se multiplient sur cette plateforme dont 10 % des émissions de CO2 proviennent de la production d’hydrogène gris.

Hydrogène vert et vapeur décarbonée

Quelques jours avant l’annonce de l’électrolyseur de Symbio, la CNR et Engie, Domo Chemicals (1,90 M€ de CA en 2021, 2 500 salariés) et Hynamics (1,80 M€ de CA en 2020), filiale d’EDF ont annoncé la construction d’une unité d’électrolyse de 85 MWh à l’horizon 2027. Un projet d’une "centaine de million d’euros", selon Wilfried Debus, en charge de la stratégie et du développement durable chez Domo Chemicals. Il doit permettre d’économiser entre 80 000 et 85 000 tonnes de CO2 par an. "Du début du procédé jusqu’à la sortie d’usine, entre 5 et 10 % des émissions liées à la production de nos polyamides sont liées à l’hydrogène aujourd’hui", détaille Wilfried Debus. Le pari reste complexe d’un point de vue économique, car la production d’hydrogène vert coûte aujourd’hui deux à trois fois plus cher que le gris. Complexe aussi d’un point de vue industriel et foncier, puisque cette unité de très grosse taille, dimensionnée pour les besoins de Domo Chemicals, sera modulaire pour permettre l’ajout de capacités de production afin d’alimenter les voisins du chimiste qui le souhaiteraient.

Domo Chemicals, qui s’est implanté dans la Vallée de la Chimie il y a deux ans en rachetant la branche polyamide de Solvay, porte également un important projet de décarbonation de sa production de vapeur avec le groupe Suez. "Cette production constitue actuellement notre plus importante source d’émission", rapporte Wilfried Debus. "Mais nous utiliserons bientôt des déchets jusqu’à présent enfouis. C’est un moyen d’être moins dépendant du gaz naturel. On se dérisque et on dérisque nos clients, avec un procédé plus durable."

Baisse des émissions et barges hybrides

Ce projet va également bénéficier à son voisin, Kem One, qui est aujourd’hui son plus gros client de vapeur. Le fabricant de PVC anticipe grâce à ce projet et d’autres initiatives, de décarboner 60 % de la vapeur de son site d’ici six ans. Et il ne s’agit là que de l’un des projets de Kem One. "Entre 2018 et 2020, nous avons divisé par huit à dix nos émissions de chlorure de vinyle monomère (CVM) [un gaz explosif cancérigène] grâce à un plan de modernisation de nos installations" de près de deux millions d’euros, fait savoir Yannick Jan, le directeur du site. Le groupe a également investi une vingtaine de millions d’euros afin de faire construire deux barges hybrides (diesel et électrique) afin d’acheminer sa matière première, le CVM, de son site de Lavéra dans les Bouches-du-Rhône à Saint-Fons. Un projet qui permettra de contribuer à l’objectif de 8 % de réduction des émissions de CO2 liées au transport que s’est fixé le groupe.

Il faudra encore attendre plusieurs années pour mesurer les résultats de l’ensemble de ces projets. "La temporalité des industriels est longue, rappelle Amandine Jacquet. Il leur faut réunir des fonds considérables pour mener des études et investir dans des technologies qui ne sont pas toujours matures, comme celles permettant de capturer du carbone par exemple." De l’avis général, cette transition est indispensable. "L’enjeu d’image de la Vallée de la Chimie est tel que les industriels sont obligés de s’engager dans cette voie, souligne Émeline Baume. Les Français ont plutôt validé le sujet de la souveraineté industrielle, mais il faut qu’elle soit exemplaire. Et les industriels se doivent d’être exemplaires s’ils veulent recruter. Les futurs salariés attendent de leur employeur qu’il soit engagé."

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