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Loger ses salariés, un enjeu crucial pour les entreprises de la région Paca
Enquête Région Sud # Immobilier # Qualité de vie au travail

Loger ses salariés, un enjeu crucial pour les entreprises de la région Paca

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Alors que le recrutement reste au centre des préoccupations des dirigeants d’entreprise, la crise de l’immobilier vient encore compliquer la donne. Au sein de la région Paca, troisième région la plus tendue pour accéder à un logement abordable, des employeurs, mais aussi des collectivités se mobilisent pour trouver des solutions.

La reconversion d’une ancienne résidence de tourisme a permis de créer 86 logements. Grâce à un partenariat entre Action Logement Services et Soliha Var, Les Terrasses Blanches, à Bandol, enrichit l’offre de logements dédiés aux saisonniers des entreprises locales — Photo : Action Logement

C’est une nouvelle résidence qui a été inaugurée le 16 avril 2024. La Ville de Bandol, l’Établissement public foncier de Paca, le bailleur Unicil et Action Logement Services ont réalisé une opération "sur mesure" pour permettre le maintien des jeunes Bandolais en début de vie active sur le territoire et enrichir l’offre de logements dédiés aux saisonniers. Coût de l’opération : 4,5 millions d’euros de travaux pour transformer une résidence de tourisme en une résidence de 86 logements. "Cette opération est pour nous emblématique de notre capacité à mobiliser des fonds et des acteurs pour faciliter l’accès au logement et ainsi favoriser l’emploi", confie Sandrine Bordin, directrice régionale d’Action Logement Services Paca et Corse.

L’opération est aussi révélatrice d’un problème bien réel en région Paca : aux difficultés de recrutement s’ajoutent celles pour les nouveaux embauchés de trouver un logement ! "La région Paca Corse est la troisième région la plus tendue, après Mayotte et l’Île-de-France. Cette tension s’établit à 14,8, ce qui signifie que pour une offre de logement, il y a 14,8 demandes", précise Sandrine Bordin.

Le manque de logement entache l’attractivité

Un chiffre qui n’est pas sans conséquence pour les entreprises en quête de main-d’œuvre, que ce soit pour des postes de cadres ou d’employés, en CDI ou en contrats saisonniers. Pour Pierre Ippolito, président de l’UPE 06 et dirigeant du groupe qui porte son nom, "le logement des actifs est devenu un tel problème qu’il impacte le développement économique et l’attractivité de notre territoire. Nous n’avons pas d’indicateurs, mais c’est un fait, ce sont les retours de nos entreprises adhérentes, chaque jour, des PME, ETI ou grands groupes, voient leur problématique de recrutement encore aggravée par le fait que nous ne pouvons pas faire venir de gens d’autres territoires."

Ce constat, dressé sur la Côte d’Azur, peut tout à fait être extrapolé aux autres départements de la Région Sud et est même exacerbé dans certaines zones littorales où les prix de l’immobilier flambent. Comme dans le très prisé Golfe de Saint-Tropez : "Ici, le recrutement est compliqué pour toutes les entreprises. Nous pouvons avoir jusqu’à 1 100 offres, soit environ 1 500 postes à pourvoir en pic de saison. Hors saison, nous n’avons jamais moins de 450 à 480 offres ouvertes", confie Nathalie Minana, directrice de l’agence France Travail du Golfe de Saint-Tropez, qui effectue, elle-même, 120 km aller-retour chaque jour entre son domicile et son lieu de travail.

Il faut dire que, selon Sandrine Bordin, "la région concentre toutes les problématiques : un manque d’offres abordables et de logements sociaux, un assèchement de l’offre locative, la vétusté d’une partie du patrimoine, l’absence de solutions adaptées pour les jeunes actifs et les saisonniers et désormais des exigences énergétiques et environnementales sur le bâti qui risquent d’entraîner une vacance supplémentaire."

Des autorisations en chute libre

À tout cela s’ajoute une crise du logement. En 2023, 26 100 logements ont été autorisés à la construction en Provence-Alpes-Côte d'Azur, selon la base de données Sitadel du ministère du Logement. Ce chiffre, le plus bas enregistré depuis l’an 2000, accuse une baisse de 31,8 % par rapport à 2022. Quant à la production de logements locatifs sociaux, elle s’élève à 6 698 logements agréés en 2023, soit 61 % de l’objectif de 11 0000 logements. Du côté des mises en chantier, ce n’est guère mieux puisque l’an dernier, seuls 23 200 logements ont vu leurs travaux de construction démarrer en Paca, soit une baisse de 15 % par rapport à 2022.

"Il faudrait que nous arrivions à produire 7 000 à 8 000 logements par an. Cette année, ce sera plutôt 2 500."

Pierre Ippolito confirme : "Nous ne produisons pas assez de logements. Globalement, il faudrait que nous arrivions à produire 7 000 à 8 000 logements par an. Cette année, ce sera plutôt 2 500, alors que la moyenne s’établit en général autour des 5 000." Pour Sandrine Bordin, "le plus compliqué reste à venir…"

Le diagnostic ainsi posé, quelles solutions s’offrent aux territoires et aux chefs d’entreprise pour loger leurs salariés?

Les aides d’Action logement

Il y a d’abord Action Logement, qui gère paritairement la participation des employeurs à l’effort de construction pour remplir ses deux missions : construire et financer des logements sociaux et intermédiaires, accompagner les salariés dans leur mobilité résidentielle et professionnelle. "En 2022, nous avons investi 164,2 millions d’euros pour la production de logements sociaux et intermédiaires, nous avons logé plus de 6 600 ménages et attribué 86,1 millions d’euros d’aides et de services auprès des salariés des entreprises, hors garantie Visale", souligne Sandrine Bordin.

Photo : ALS

Pour préparer le futur, les filiales d’Action Logement en régions Paca et Corse ont aussi "largement répondu à l’appel à manifestation d’intérêt du groupe pour acquérir 30 000 logements neufs auprès de promoteurs confrontés à une crise inédite. Nos filiales en région représentent 10 % de cet appel et pourront ainsi proposer une offre de logements abordables, dont les livraisons s’échelonneront entre 2025 et 2028."

Si ces solutions ont le mérite d’exister, "force est de constater que cela ne suffit pas, en tous cas dans les Alpes-Maritimes", souligne Pierre Ippolito, qui est à l’origine d’une "task force", créée en début d’année. Elle regroupe l’UPE 06, la CCI Nice Côte d’Azur et des acteurs des fédérations concernées (BTP, promoteurs, architectes, notaires…). "L’idée est de créer un groupe de travail avec les services de l’État et les services de l’urbanisme des différentes collectivités, afin que, dans le respect de la loi, nous arrivions à débloquer des permis de construire qui sont bloqués pour de mauvaises raisons." Le dirigeant milite aussi pour que l’entreprise puisse avoir plus de liberté pour acquérir et loger ses collaborateurs, à l’image d’une proposition de loi, portée par des députés, qui permettrait à l’entreprise d’acheter la nue-propriété à des bailleurs sociaux et d’utiliser l’usufruit pour leurs collaborateurs. L’entrepreneur concède que cette solution serait difficile d’accès pour les TPE et évoque donc l’idée de créer des foncières communes pour celles-ci. Pour lui, "cela devient vital. Si les entreprises veulent continuer à survivre et à se développer, il faut qu’elles aient aussi cette capacité à maîtriser le logement de leurs collaborateurs."

Des logements de fonction, à l’image des grands groupes

En attendant des évolutions législatives, des entreprises agissent. C’est en 2005 que Philippe Gervais, président de l’entreprise varoise CashMag (CA : 20 M€), se trouve confronté à la question du logement d’un salarié. "Originaire du Sud-Ouest, il avait été recruté en CDI à Lyon et n’arrivait pas à se loger, malgré un très bon dossier. Je lui ai alors proposé de mettre le bail au nom de l’entreprise et de lui proposer un logement de fonction", raconte l’entrepreneur. Aujourd’hui, l’entreprise CashMag, spécialiste des solutions d’encaissement, emploie 140 salariés et a 40 logements de fonction. Philippe Gervais n’y voit que des avantages : "Nous proposons un avantage en nature à nos salariés, ce qui nous permet de les attirer et de les fidéliser. Nous leur offrons un cadre global de travail beaucoup plus confortable, nous menons ainsi une vraie action sociale, qui fait la différence face à des entreprises, qui ont plus de moyens."

Philippe Gervais, PDG de CashMag. — Photo : CashMag

D’autres achètent des logements pour leurs salariés dans des conditions difficiles. C’est le cas du groupe Ippolito (1 140 collaborateurs, CA 2023 : 299 M€), qui a quelques studios à disposition de ses collaborateurs pour les aider au démarrage. Puis, Pierre Ippolito, avec d’autres entrepreneurs du club ETI, a aussi pensé à créer des opérations de promotion collectives : "Nous pourrions par exemple faire sortir une promotion de 30 logements, dont nous nous répartirions 3, 4 ou 5, 10 logements en fonction de la taille de l’entreprise."

La relocation, une activité d’origine anglo-saxonne

À Marseille, l’association Poussy Crèche, qui compte 120 salariés sur cinq établissements, s’est quant à elle tournée vers une agence de relocation. Confrontée au manque criant de candidats, l’association a élargi sa zone géographique de recrutement et s’est donc confrontée au manque de logement. "Nous avons travaillé avec Action Logement, puis des chasseurs de têtes, avant de nous tourner vers Sun Mobilité", explique Muriel Gasco, la présidente. Avec quatre consultants présents dans le Var et les Bouches-du-Rhône, Sun Mobilité (CA 2023 : 150 000 euros) se charge de trouver un logement à un nouveau salarié qui se délocalise, afin qu’il soit parfaitement opérationnel dès son premier jour de travail. "Ce service coûte entre 1 000 à 1 500 euros par salarié", précise Nicolas Thienard, le dirigeant de Sun Mobilité. "Un service un peu onéreux, mais indispensable", selon Muriel Gasco, qui a mené quatre opérations en huit mois. À chaque fois, Sun Mobilité a joué son rôle d’intermédiaire entre les professionnels de l’immobilier et le futur salarié. "Nous réalisons les visites, montons le dossier, gérons les branchements nécessaires. Nous pouvons même organiser le déménagement. Une opération prend en moyenne un mois", précise Nicolas Thienard, sollicité, dans 99 % des cas, par les employeurs.

90 000 saisonniers recrutés chaque année

Il y a les salariés. Mais en région Paca, deuxième région de métropole la plus touristique derrière l’Île-de-France, il y a aussi 90 000 saisonniers, embauchés chaque année, pour lesquels la problématique du logement est primordiale et récurrente. Après une première expérience réussie lors de l’été 2023, la Région Sud s’est associée aux Crous Nice/Toulon et Aix/Marseille/Avignon pour permettre la location de 1 000 logements étudiants inoccupés cet été.

Dans le Golfe de Saint-Tropez, où 1 000 à 1 200 postes de saisonniers sont ouverts chaque année, "les plus grands groupes, les hôtels de luxe ou tables étoilées proposent dans leurs contrats de travail, un logement sur place ou en proximité immédiate et travaillent ainsi positivement leur marque employeur", souligne Nathalie Minana. Les communes se sont aussi saisies du sujet. "Il en est ainsi de la ville de Saint-Tropez, qui a voté des lignes budgétaires pour créer des appartements à destination des travailleurs du Golfe, et ainsi permettre à l’économie de se développer." A quelques kilomètres, la commune de La Croix-Valmer, avec l’Établissement public foncier, a réussi à redonner vie à l’ancien centre de vacances Grand Cap. Racheté en 2017 par le groupe de promotion Édouard Denis, ce centre a été transformé et la commune est notamment usufruitière de 47 logements loués à des entreprises afin qu’elles y hébergent leurs travailleurs saisonniers.

"Le salaire est parfois moins un enjeu lors du recrutement que le logement"

Loger ses quelque 1 000 saisonniers, le groupe marseillais Villages Clubs du Soleil (120 permanents, CA 2022 : 74 M€) l’a toujours fait. "Parce ce qu’il est devenu impossible de trouver des logements à des tarifs réalistes", l’entreprise loge actuellement près de 60 % de ses saisonniers, soit environ 600 personnes. "Nous réservons toujours quelques chambres de nos résidences pour nos salariés, mais il n’est pas possible de répondre à toute la demande. Alors, sur les deux dernières années, nous avons racheté 8 à 9 appartements que nous louons, en plus de la trentaine de logements que nous louons à l’extérieur pour nos salariés", explique Nicolas Dewit, directeur d’exploitation des Villages Clubs du Soleil, pour qui le problème du logement devient encore plus crucial avec les nouvelles générations de recrutés, qui souhaitent avoir plus d’intimité : "Le salaire est parfois moins un enjeu lors du recrutement que le logement et nous cherchons avant tout de l’emploi local", ajoute le directeur.

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