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De la promotion immobilière à la construction, le bâtiment s'enfonce dans la crise
Enquête France # Bâtiment # Conjoncture

De la promotion immobilière à la construction, le bâtiment s'enfonce dans la crise

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De la promotion immobilière à la construction, la crise qui secoue les professions liées au bâtiment risque, sans mesures fortes et immédiates, de s’aggraver en 2024. D’une même voix, les représentants des entreprises de ces secteurs regrettent que leurs appels et propositions pour sortir de l’ornière restent lettre morte. Avec pour conséquences, des centaines de milliers d’emplois en jeu.

Entre la remontée des taux d’intérêts, l’inflation, la hausse des coûts des matériaux et les normes environnementales qui renchérissent les coûts de la construction, le secteur du bâtiment s’enfonce dans la crise — Photo : sebastien rabany

"Jusqu’à mi-2025, c’est fichu !". Olivier Salleron, le président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) ne décolère pas. "Si rien n’est fait, 150 000 emplois sont sur la sellette", prévient celui qui craint "une grave crise sociale avec une fabrique à gilets rouge écarlate !". Car ses quelque 50 000 adhérents entreprises du bâtiment traversent la crise de la construction qui secoue le pays.

Fort recul de la construction de logements

Pressentie il y a déjà de longs mois, elle se traduit aujourd’hui très concrètement. En 2023, l’activité du bâtiment baisse de 0,6 % en volume. Le logement neuf recule, lui, de 7,8 % avec 286 000 mises en chantier, "un niveau proche de ses plus bas historiques des années 90", relève la FFB.

"Les promoteurs immobiliers sont inquiets et en colère". Des sentiments que partage donc avec ses confrères constructeurs, Pascal Boulanger, président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI). "Nous produisons en moyenne 165 000 logements par an. En 2023, on sera aux alentours des 85 000 logements. On fait deux fois moins et ce qu'on vend, souvent à des bailleurs sociaux, c'est à perte", déplore-t-il.

Ce qui explique l'arrêt du marché

La situation résulte de plusieurs facteurs :

  • le quadruplement des taux d'intérêt et l'arrêt de l'accès au crédit pour une majorité de ménages
  • l’euphorie de la reprise post-Covid a laissé place à une inflation galopante renchérissant le coût des matériaux
  • le prix de l’énergie a bondi avec à la guerre en Ukraine
  • l’instauration de normes environnementales, notamment la RE 2020, qui renchérissent le coût de la construction.

Tout cela "a conduit par l'augmentation de 20 à 25 % du coût de la construction neuve individuelle comme collective", indique Olivier Salleron.

La crainte d'un marché à l'arrêt en 2024

D’après Pascal Boulanger, toutes les régions souffrent, les Hauts-de-France en tête. Les promoteurs réduisent la voilure, certains, à l’instar de Vinci Immobilier, ont même déjà commencé à lancer des plans sociaux.

Et la tendance devrait encore s’accélérer en 2024. Car "on ne vend plus rien, on n’achète plus de terrains, on ne met plus rien à l’offre, c’est un marché à l’arrêt". Plus largement, le président de la FPI n’hésite pas à avancer "150 000 pertes d’emplois supplémentaires dans les métiers de l’acte de construire que sont les notaires, les architectes, les bureaux d’études, les bureaux de contrôles…". Outre des défaillances qu’il commence à voir se profiler, Pascal Boulanger craint le jour du redémarrage de la machine si la tempête sévit trop longtemps. "Nos collaborateurs risquent de partir dans d’autres secteurs. On est donc en train de perdre de la compétence alors qu’il faut compter 4 à 5 ans pour former des professionnels capables de monter des opérations immobilières".

"L'année marquera l'entrée en récession du bâtiment, avec un recul de 5,5 % du chiffre d'affaires en volume, tiré vers le bas par la chute de 14,6 % du neuf. Précisément, l'activité en logement neuf plongera de 21,3 %", annonce la FFB, qui anticipe un effondrement des ouvertures de chantier de 16 % pour tomber à un plancher historique de 241 000 unités.

Front commun des professionnels du bâtiment

L’incompréhension demeure chez les professionnels du bâtiment comme de l’immobilier qui ne cessent d’alerter le gouvernement. Qui reste sourd aux appels de tous bords. En témoigne à l’heure où nous imprimons ces lignes, de la disparition pure et simple d’un ministère dédié au logement.

Olivier Salleron, président de la FFB : "L’année marquera l’entrée en récession du bâtiment, avec un recul de 5,5 % du chiffre d’affaires en volume, tiré vers le bas par la chute de 14,6 % du neuf — Photo : Arthur Maia

De manière inédite fin 2023, un front commun baptisé Alliance pour le logement s’est formé (derrière la FFB, la FPI ou encore les professionnels de l'immobilier de la Fnaim), des entreprises de bâtiment aux promoteurs en passant par les notaires, bureau d’études et agences immobilières, appelant de ses vœux "un plan d’urgence compte tenu de la catastrophe largement annoncée".

"Depuis le 1er janvier, le prêt à taux zéro (PTZ) est arrêté sur 93 % du territoire. Quant au Pinel qui se termine fin 2024, on l’a tellement essoré qu’il n’intéresse plus personne ! Où va-t-on donc trouver les investisseurs pour faire du logement ?", fulmine Olivier Salleron, qui appelle à la mise en place d'une "vraie politique du logement". "Il faut sevrer l’immobilier de la drogue fiscale", déclarait en décembre Patrice Vergriete. La saillie du dernier ministre du Logement n’a pas manqué de heurter l’ensemble des professionnels, y voyant une provocation tant la crise est aujourd’hui palpable.

La rénovation et la performance énergétique, planches de salut ?

À la recherche de solutions pérennes, les acteurs de l’Alliance ont porté de multiples mesures conjoncturelles et structurelles. Toutes balayées par Bercy.

Du côté des artisans du bâtiment, "le secteur est plombé par la crise de la construction neuve avec un recul à -4,5 % au quatrième trimestre 2023 par rapport au quatrième trimestre 2022", calcule Jean-Christophe Repon. Le président de la Capeb veut croire que 2024 sera l’année de la "TPE solutions", ce segment d’entreprise étant historiquement en position de force sur le marché de l’entretien et de l’amélioration de l’habitat, un segment "en relative résistance", porté par la rénovation énergétique (+1,5 % en volume). Toutefois, la vigilance prédomine. En 2023, les transactions de logements anciens, souvent promis à des travaux de rénovation, ont chuté de 20 %. Conduisant au passage à une multiplication des défaillances d’agences immobilières, de 887 en 2023, à 1 400 potentiellement cette année, selon la Fnaim.

Pour Jean-Christophe Repon, président de la Capeb, la nouvelle mouture de Ma Prime Rénov' est contre-productive — Photo : Capeb

Quant à Ma Prime Rénov', censée booster le marché, elle vient de se voir complexifiée. D’une part avec la mise en place de Mon Accompagnateur Rénov', dont le nombre de personnes habilitées à accompagner les ménages dans leurs travaux de rénovation énergétique est aujourd’hui insuffisant. D’autre part, l’obligation d’engager des travaux globaux plutôt que par gestes, laisse un reste à charge aux ménages souvent trop élevé à assumer. Jugée trop difficile à mettre en place, la nouvelle mouture de Ma Prime Rénov' pourrait, selon Jean-Christophe Repon, s’avérer contre-productive. Un constat que redoute aussi son homologue de la FFB.

Le message semble pris au sérieux par le gouvernement. Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu vient d'annoncer la tenue en février d'un "comité de suivi de la rénovation énergétique", chargé d'étudier les simplifications possibles.

Las, faute de marché dans le neuf, les PME en quête de nouveaux relais de croissance, pourraient bien se repositionner sur cette typologie de travaux qui reste dynamique. Ce en venant chasser sur le terrain de jeu des artisans, qui pour contrer la donne, veulent miser sur les groupements momentanés d’entreprises (GME). De quoi reconfigurer durablement l’écosystème ? Sans mesures fortes et rapides, les métiers de l’acte de construire et de l’immobilier risquent de s’enfoncer encore un peu plus dans la crise en 2024, contrecarrant les objectifs économiques d’Emmanuel Macron. Car, comme le rappelle Olivier Salleron, "le plein emploi sans le bâtiment, ça n’existe pas".

France # Bâtiment # Immobilier # Conjoncture # Organisations professionnelles # Politique économique