Le textile vosgien s'engage dans la course à la valeur ajoutée
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Le textile vosgien s'engage dans la course à la valeur ajoutée

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Les prémices d’un mouvement de relocalisation des filières amont et aval se font sentir dans la filière textile vosgienne. Ce nouvel élan, accéléré par la crise sanitaire du Covid, apportera-t-il davantage de valeur ajoutée aux entreprises du secteur ? S’il est trop tôt pour le dire, le regain d’intérêt pour les fibres plus écologiques et pour le "made in France" demeure indéniable.

La PME vosgienne Schappe Techniques a livré six tonnes d'un fil à base de fibres de carbone à un sous-traitant de la Nasa pour la mission spatiale Mars 2020 — Photo : Philippe Bohlinger

La mission spatiale "Mars 2020" en cours sur la planète rouge devrait en partie réussir son retour sur Terre grâce à une PME textile des Vosges. Schappe Techniques a en effet livré il y a quelques mois à un sous-traitant de la Nasa six tonnes d’un fil à base de fibres de carbone. Un fil qui entre dans la composition de renforts du bouclier thermique du module spatial qui traversera l’atmosphère terrestre vers 2031 avec, à son bord, de précieux échantillons du sol martien.

Le label "Vosges terre textile" comme précurseur

La trajectoire de cette pépite de la filière textile vosgienne, née en 1835 à La Croix-aux-Mines (Vosges), est emblématique de la compétition mondiale qui secoue le secteur depuis plusieurs décennies. L’usine, passée dans le giron du fabricant de prêt-à-porter Burlington dans les années soixante, ne doit sa survie qu’à sa spécialisation dans la production de fils techniques pour les vêtements professionnels, l’automobile, les joints de plateformes pétrolières, etc. Parallèlement, comme le précise Laurent Chaigneau, dirigeant et principal actionnaire de l’entreprise (110 salariés, 9,5 millions d’euros de chiffre d’affaires), "Schappe Techniques est une des rares filatures au monde capable de cracker du carbone", à savoir étirer jusqu’à leur rupture les filaments de fils continus en vue d’éliminer leur point de faiblesse et leur apporter de nouvelles propriétés de résistance. Un savoir-faire qui intéresse l’industrie spatiale, l’opérateur français de systèmes de lancement spatiaux Arianespace en tête.

Se réinventer sans cesse en vue de capter davantage de valeur ajoutée, c’est le credo que prennent de plus en plus d'entreprises textiles des Vosges. Il y a dix ans, une vingtaine d’entre elles a lancé le label "Vosges terre textile" garantissant que les trois quarts des étapes de fabrication sont réalisés localement. Cette innovation en matière de traçabilité a depuis été dupliquée dans toute la France. La crise du Covid-19 semble avoir donné un coup d’accélérateur supplémentaire à la mutation du secteur si on en croit Paul de Montclos, le président du syndicat textile de l’Est et PDG de Garnier-Thiébaut, fabricant de linge de maison à Gérardmer (Vosges). "La pandémie a relancé la réflexion sur les process de production, d’innovation et les projets de relocalisation", analyse-t-il.

Des chaussettes en plastique recyclé

Les milliards d'euros du plan de relance du gouvernement ne sont pas étrangers à ce mouvement. La demande des consommateurs non plus. Le goût pour les fibres plus respectueuses de l’environnement que le coton semble ouvrir de nouvelles opportunités dans le prêt-à-porter, mais aussi dans le linge de maison, un secteur trusté par les PME vosgiennes.

Le polyéthylène recyclé (rPET), issu de la valorisation des bouteilles plastiques, a le vent en poupe. Réputé pour ses marques Bleu Forêt et Olympia, la PME Tricotage des Vosges (235 personnes, 20 millions d’euros de chiffre d'affaires) annonce le lancement en 2022 d’une paire de chaussettes Olympia composée à 80 % de rPET. De même, le fabricant de textiles techniques Maille Verte des Vosges utilise désormais 10 % de rPET dans sa production. "Depuis un an, l’usage du rPET s’accroît à la faveur d’un tassement des prix, cette matière étant devenue à peine 20 % plus chère que le PET vierge", analyse Éric Néri, le gérant de cette société (35 salariés, 6 millions d’euros de chiffre d'affaires). Un peu plus au nord, à Nancy, la société Infinity (20 salariés, 13 millions d'euros de chiffre d'affaires) veut convaincre les grands loueurs de vêtements professionnels et leurs clients de la pertinence de sa solution de pull technique consigné. Fabriqué à 100 % à partir de bouteilles recyclées, ce vêtement est le fruit de plusieurs années de recherche et développement pour la société.

Le retour en force du chanvre et du lin

Les matières naturelles rustiques, peu gourmandes en eau et en pesticides, cultivées en France, font également un retour en force. Pour preuve, le fabricant de linge de maison Garnier-Thiébaut a décidé de relocaliser une partie de la production de tissus à base de lin. Alors qu’elle importait la totalité de ces textiles de Chine, l’entreprise de 220 salariés (40 millions d’euros de chiffre d'affaires) va assurer elle-même 5 à 10 % de cette production. Elle s’investit parallèlement dans un consortium de quatre entreprises du territoire (avec Maille Verte, Peltex et Polytex) afin d’identifier les freins à l’utilisation de ces ressources nouvelles.

Les planètes semblent alignées pour une relocalisation progressive de la production de fil de lin. Pour preuve, les groupes Velcorex et Safilin relancent des filatures de lin, une fibre produite massivement en Normandie, respectivement dans le Haut-Rhin et dans le Pas-de-Calais. Parallèlement, un autre bassin textile du Grand Est, l’Aube, joue la carte du chanvre en s’appuyant sur une production agricole de 10 000 hectares. "Cette culture initialement destinée à l’industrie papetière a été maintenue grâce au regroupement des exploitants dans la coopérative La Chanvrière. Ils ont développé les usages de cette plante (bâtiment, plasturgie, etc.). L’enjeu consiste maintenant à bâtir un projet de filature", éclaire Estelle Delangle, cheffe de projet du jeune Pôle européen du chanvre.

Miser aussi sur la confection

Dans les Vosges, la réflexion se focalise également sur l’autre extrémité de la chaîne de valeur, la confection, autrement dit la fabrication des vêtements et produits textiles. En effet, la partie centrale de la filière est plutôt bien couverte par les entreprises du territoire : filature, tissage, tricotage et ennoblissement (blanchiment, teinture, impression, contrecollage, etc.).

La confection est un terrain de jeu sur lequel Séverine Crouvezier entend bien capter de la valeur ajoutée et compenser les difficultés rencontrées sur ses marchés traditionnels. Cette représentante de la sixième génération de dirigeants familiaux à la tête de la société d’ennoblissement Crouvezier Développement (47 personnes, 6,8 millions d’euros de chiffre d'affaires), à Gérardmer, confie en effet "devoir se battre au centime près sur l’ennoblissement d’un mètre de tissu ! Nous allons devoir réinvestir dans le traitement de nos effluents pour être conforme aux normes européennes, une réglementation exigeante que nous ne contestons pas, mais qui instaure une distorsion de concurrence. Dans ce contexte, nous recherchons de nouvelles niches parallèlement aux gros volumes d’activité pour les secteurs hôteliers et hospitaliers. Nous développons depuis peu la fabrication de tissus personnalisés pour de petits créateurs qui veulent commercialiser leurs propres lignes."

L'enjeu de la formation des couturières

La dirigeante a lancé il y a un an UpTextile, une petite société de six personnes (720 000 euros de chiffre d'affaires) qui se porte plutôt bien, grâce notamment au créneau des masques textiles personnalisés. "Notre investissement en 2017 dans l’impression numérique nous a donné davantage de souplesse pour traiter les petites commandes. Afin de proposer un service complet (tissu, impression et confection), nous cherchons à monter un petit atelier avec deux couturières", livre Séverine Crouvezier.

Sur le volet de la confection, l’enjeu réside dans le développement des compétences. En mai, une dizaine de candidats a démarré le programme de formation de couturier/couturière (399 heures dont 70 heures en entreprise) proposé par le Syndicat Textile de l’Est, en partenariat avec l’organisme de formation professionnelle Greta et Pôle emploi. "Sur 300 curriculum vitæ reçus, nous avons convoqué 100 candidats. Une cinquantaine s’est déplacée et une vingtaine a été sélectionnée pour suivre la formation", résume Paul de Montclos.

La filière textile, qui emploie 2 500 personnes dans les Vosges, est-elle à l’aube d’un renouveau ? Il semble trop tôt pour préjuger des retombées en termes de valeur ajoutée de ce mouvement de relocalisation des filières amont et aval. "Nous commençons petit avec l’idée d’enclencher un processus, de reformer des opérateurs", résume Bertrand Plaze, directeur de production de Garnier-Thiébaut. Certains acteurs pointent la faible valeur ajoutée inhérente à la confection, par comparaison aux procédés complexes de teinture. Tricotage des Vosges, qui a relocalisé un quart de sa production de chaussettes Olympia ces deux dernières années à Vagney (Vosges), le reconnaît : "Le prix de revient entre une chaussette tricotée en Bulgarie et son homologue tricotée en France est double. Cette relocalisation nous a surtout permis de saturer notre outil de production, face à la baisse de la demande de la grande distribution", appuie André Leidelinger, le directeur de production.

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