Lot-et-Garonne
Ecolience fait éclore son modèle hybride de ferme industrielle
Lot-et-Garonne # Agriculture # Investissement industriel

Ecolience fait éclore son modèle hybride de ferme industrielle

S'abonner

La société Ecolience, modèle hybride entre l’exploitation agricole et le transformateur agroalimentaire, s’apprête à accélérer son développement commercial dans un marché du bio fortement chahuté par l’inflation. Son couple fondateur revendique un modèle vertueux et moins dépendant de la sous-traitance. Il espère que sa viabilisation permettra de le dupliquer.

L’exploitation d’Ecolience regroupe notamment 450 chèvres poitevines — Photo : Ecolience

L’année de l’éclosion. C’est ainsi que Frédéric Grünblatt, cofondateur avec sa femme Marlène Castan de la société lot-et-garonnaise Ecolience, décrit ce que l’année 2024 représentera pour son projet hybride, à cheval entre l’agriculture et l’industrie. Fondateur de la société campinoise Vitafrais, grossiste de produits bio revendu en 2016, le couple a "ressenti l’envie de retourner à la terre en profitant de nos expériences sur la distribution et la mise en marché. Le concept que nous voulions développer allait de la graine au produit fini".

Frédéric Grünblatt et Marlène Castan, co-fondateurs d’Ecolience — Photo : Ecolience

Indépendance agricole

Imaginé dès 2016 et fondé en 2020, le projet Ecolience, qui fait aujourd’hui travailler 25 personnes, regroupe 22 cultures différentes en bio et 23 agriculteurs partenaires situés à moins de 100 kilomètres de l’exploitation ; 260 hectares de culture et d’élevage dont 450 chèvres poitevines et 20 vaches limousines et, en plein milieu, 4 000 m2 de bâtiments industriels. Industriellement, il est composé d’une première ligne de triage et d’une seconde de décorticage, auxquelles il faut ajouter une douzaine d’ateliers de transformation pour fabriquer huile, farine, pâtes, bière, pain, biscuits et, en 2024, des produits traiteurs (pizza, crêpes, quiches, tartes, galettes de sarrasin…). L’ensemble a nécessité 14 millions d’euros d’investissements : 6 millions d’euros de dettes, 3 millions de subventions (dont le FEDER) et le reste en fonds propres, "y compris le déficit des premières années", précise Frédéric Grünblatt.

L'atelier pâtes d'Ecolience — Photo : Ecolience

Si elle ressemble à une coopérative, Ecolience se définit plutôt comme "un modèle alternatif dont l’ambition est de faire en sorte que la valeur ajoutée reste sur le territoire agricole et limite la dépendance des agriculteurs à des tiers, y compris sur la phase de transformation", poursuit le cofondateur. Dont acte : au-delà du fait qu’en tant que transformatrice, elle impose ses prix aux distributeurs, elle effectue une prestation de triage pour permettre aux agriculteurs de réutiliser des semences. "La règlementation européenne s’est assouplie en 2022, leur permettant d’utiliser des semences fermières. Nous ne leur revendons pas de semences, mais nous trions ce qu’ils nous donnent pour qu’ils puissent semer leurs propres graines, adaptées à leur terroir, et faire des économies financières et énergétiques" explique Frédéric Grünblatt. Pour renforcer cet aspect, l’entreprise envisage de travailler avec des industriels. "Nous avons établi des premiers contacts avec des généticiens pour être multiplicateurs de semences fermières. Ce marché ne s’ouvrira pas avant 2025 ou 2026."

La promesse initiale d’Ecolience passe aussi par la transformation de déchets en coproduits. "Nos poussières sont revendues à une entreprise pour agglomérer des granulés de bois, les écarts de tri de la chaîne sont valorisés dans un élevage de porcs bio situé à 10 km, ceux de l’atelier brasserie iront nourrir nos chèvres et les drèches finiront en engrais. Les coproduits les plus nobles vont pouvoir être utilisés dans nos ateliers de transformation, comme la fabrication de houmous tartinable pour les pois chiches par exemple", raconte Frédéric Grünblatt. Si Ecolience revalorise aujourd’hui 170 tonnes, elle espère dépasser les 1 200 à son rythme de croisière.

Inversion de marché

Le développement de l’entreprise a aussi été traversé de soubresauts, causés par "l’inversion du marché du bio et la guerre en Ukraine, qui a retardé la livraison de nos équipements. Nous avons pris dix-huit mois de retard sur nos plans initiaux et eu beaucoup de mal à décrocher des rendez-vous avec des acheteurs. Le marché se rouvre depuis juin. Pour les négociations de fin d’année, nous avons pu rentrer en contact avec quasiment toutes les chaînes de magasin bio", rassure le gérant d’Ecolience. En octobre, l’enseigne girondine So. Bio (71 magasins, 135 M€ de CA en 2021) a ainsi étendu son partenariat à "un peu moins d’une quarantaine de références" dans les rayons des magasins So. Bio et Bio c’Bon après une première collaboration sur les graines de courge débutée en 2021.

Le projet Ecolience dispose d'une ligne de triage et d'une ligne de décortiquage des graines, ainsi que d'une douzaine d'ateliers de transformation — Photo : Ecolience

Il reste encore quelques investissements à réaliser pour Ecolience avant la fameuse "éclosion". En cours de R & D sur l’atelier traiteur, elle est actuellement en discussion pour mettre en place des poulaillers mobiles et une microcasserie, afin d’utiliser ses propres œufs pour les incorporer dans ses produits. Elle prépare aussi une boutique physique à la ferme et un atelier boulangerie local pour 2024, et va démarrer en fin d’année la culture d’environ un hectare de maraîchage pour alimenter la vente directe, la restauration collective et le futur atelier traiteur. Elle va enfin se doter de nouvelles machines pour compléter sa ligne de décorticage pour pouvoir trier les graines de tournesol et de chanvre, le tout pour environ 200 000 euros supplémentaires.

Cap de rentabilité

L’entreprise espère devenir rentable et duplicable. Elle vise 8 à 10 000 tonnes de denrées collectées et transformées, pour un chiffre d’affaires de 16 à 17 millions d’euros et 60 à 65 salariés en 2028.

Pour atteindre ces objectifs, elle va multiplier les débouchés : les magasins spécialisés bio (So. Bio, Bio C’Bon, Marché de Léopold, les épiceries vrac Day by Day…) resteront la part la plus importante de son chiffre d’affaires (40 % prévus contre 75 % aujourd’hui) mais seront suivis par le B2B et la restauration collective. Misant sur la polyvalence de ses équipiers pour soutenir son accélération, Ecolience se développe aujourd’hui principalement autour d’une marque ombrelle, "Sans Détour", qu’elle réserve aux magasins spécialisés, épiceries vrac et supermarchés, mais ne s’interdit pas d’en créer d’autres, comme elle l’a déjà fait pour sa bière "La Picto-Charentaise". "La création de nouvelles marques se fera en fonction des canaux de distribution."

Ecolience espère atteindre un chiffre d’affaires de 16 à 17 millions d’euros en 2028 — Photo : Ecolience

Enfin, ses créateurs aimeraient accueillir un public de scolaires, familles ou professionnels sur l’exploitation et jouer un rôle d’ambassadeur, peut-être via une filiale. "Si nous avons l’énergie pour porter ça nous-mêmes, ce ne sera pas avant 2024 ou 2025 et ça nécessitera des investissements et un accompagnement fort des pouvoirs publics."

Lot-et-Garonne # Agriculture # Agroalimentaire # Investissement industriel # Start-up